En décembre 2019, le Kenya a décidé d’autoriser dans le pays la commercialisation du coton transgénique. « Elle doit permettre aux agriculteurs d’obtenir de meilleurs revenus grâce à une augmentation de la production », a expliqué le chef de l’État, Uhuru Kenyatta. Cette décision est largement passée inaperçue. Pourtant, elle représente un tournant. Le pays, qui s’était doté d’une loi de biosécurité en 2009, avait interdit toute importation de produit transgénique, qu’il s’agisse de denrées ou de semences destinées à la production. Les plantations GM (génétiquement modifiés) étaient proscrites. Seule la recherche, très encadrée, avait pu se poursuivre. D’un côté, l’African Agricultural Technological Foundation (AATF)[1], une organisation pro-OGM installée à Nairobi, pressait le gouvernement de lever son interdiction, pendant que de l’autre côté, Greenpeace l’appelait à maintenir l’interdiction afin d’empêcher « une prise de contrôle du système alimentaire par les entreprises ».
Le Kenya a finalement décidé d’adopter pour la mise en place des cultures transgéniques l’approche en trois étapes, appelée 3 F : Fiber-Feed-Food (fibre-alimentation animale-alimentation humaine). La première est celle de l’adoption du coton Bt[2], suivie de celle de cultures fourragères, puis viendra éventuellement la production d’aliments OGM destinés à la consommation humaine. Les autorités considèrent de la sorte avoir le temps de conduire les évaluations nécessaires sur les risques associés à ce choix. Les expérimentations en plein champ menées dans le pays ces dernières années du coton Bt ont permis d’observer des rendements supérieurs de 30 % par rapport au coton conventionnel. L’argument est donc agronomique ; l’autre argument est industriel, le pays ayant l’ambition de s’installer comme leader régional dans la production textile. Comme première économie d’Afrique de l’Est, la position du Kenya peut avoir un effet d’entraînement sur ses voisins qui partagent les mêmes défis agricoles et industriels.
Depuis les années 1980, de nouvelles technologies utilisées par les sélectionneurs de semences sont apparues, inspirées par le génie génétique et la science des génomes, avec notamment pour conséquence le développement de plantes GM. La recherche en biotechnologie a connu depuis un essor considérable. Alors que l’insécurité alimentaire continue d’affliger les populations africaines, le recours à ces ressources, notamment aux semences transgéniques, est présenté pour ses partisans comme devant permettre de lever la plupart des contraintes qui pèsent sur le développement de l’agriculture. Pour autant, les décideurs, les scientifiques et les agriculteurs africains demeurent divisés quant aux avantages et aux risques potentiels des cultures transgéniques[3].
Comment se présente la controverse et quelles sont les perspectives du recours aux semences issues des biotechnologies pour résoudre les problèmes agronomiques et de l’alimentation en Afrique ? Qu’en est-il de la cohabitation possible avec les procédures conventionnelles en matière de production de semences à l’échelle des paysanneries ? Ces questions sont fondamentales pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle du continent et vont se révéler encore plus pressantes dans le contexte de la sortie de la pandémie du COVID-19 qui aura perturbé les systèmes agricoles et alimentaires, tout en ouvrant de nouvelles perspectives.
OGM, les précédents sud-africain et soudanais
En 2018, la surface mondiale couverte par les OGM était de près de 192 millions d’hectares, soit 12 % des cultures mondiales dans 26 pays (ISAAA, 2018). Quatre cultures génétiquement modifiées dominent : le soja pour l’alimentation animale, le maïs, le colza et le coton, pour atteindre une quasi-saturation aux États-Unis à 93,3 % (moyenne pour le soja et le maïs), le Brésil (93 %), l’Argentine (proche de 100 %), le Canada (92,5 %) et l’Inde (95 %). Les cultures biotechnologiques se sont étendues avec la luzerne, les betteraves sucrières, la papaye, la courge, l’aubergine, les pommes de terre et les pommes, qui sont toutes déjà sur le marché. L’Indonésie a planté la première canne à sucre résistante à la sécheresse. La recherche sur les cultures biotechnologiques menée par les institutions du secteur public comprend le riz, la banane, le manioc, l’igname, la banane, le cacaoyer, le caféier, la pomme de terre, la patate douce, le blé, le pois chiche, le pois d’Angole (Cajanus cajan) et la moutarde avec divers traits de qualité nutritionnelle et d’importance économique bénéfiques pour les producteurs et les consommateurs d’aliments dans les pays en développement.
En Europe, le maïs MON810, qui produit un insecticide contre la pyrale, est la seule espèce autorisée. La France a quant à elle adopté un moratoire contre les plantations GM sur son sol. Pour autant, 70 OGM sont autorisés à la consommation en Europe, la plupart étant destinées aux animaux d’élevage. Ainsi, l’Europe importe du soja transgénique pour nourrir le bétail et donc en consomme indirectement.
Les cotons transgéniques sont aujourd’hui produits par la plupart des grands pays producteurs : Chine, États-Unis, Australie et Inde dans des exploitations de très grande taille. Le Brésil l’a autorisé en 2006. Deux pays africains ont rejoint ce groupe depuis plusieurs années : l’Afrique du Sud et le Soudan.
L’Afrique du Sud figurait parmi les 10 premiers pays du monde ayant planté 2,7 millions d’hectares de cultures biotechnologiques. Dès 1997 des cotonniers et des maïs transgéniques résistants à des lépidoptères ont été plantés à des fins commerciales sur plus de deux millions d’hectares. Le pays s’est par la suite mis au soja GM. L’adoption a été progressive. Aujourd’hui, 80 % du maïs, 85 % du soja et près de 100 % du coton sud-africains sont génétiquement modifiés, pour un total d’environ 3 millions d’hectares.
Pour sa part, le Soudan a cultivé 245 000 hectares de cotonnier Bt, avec un taux d’adoption de 98 % parmi les agriculteurs. Parmi eux, on en compte 90 000 disposant de petites exploitations, d’une superficie moyenne de 2,1 hectares. Dans le but de stimuler la diffusion de cette biotechnologie, certains de ces gènes ont été introgressés dans les variétés locales. Les résultats sont variables. Pour les petits agriculteurs pratiquant la culture manuelle, le coût additionnel associé aux licences du transgénique est rarement compensé par les augmentations de rendement qui demeurent faibles. En revanche, pour les exploitations de 50 hectares ou davantage, l’avantage économique est net, mais diversement selon de niveau d’infestation des champs et les conditions climatiques.