Comprendre les enjeux de l'agriculture
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En ce début de décennie la France est engagée depuis 7 ans dans une guerre au Sahel dont on voit mal l’issue. L’objectif de cette analyse est de rappeler qu’après la guerre du désert focalisée sur le nord Mali, l’expansion djihadiste vers le sud et la multiplication rapide des actions armées depuis 3 ans dans les zones agricoles du centre du Mali, du nord et de l’est du Burkina et du nord-ouest du Niger se déroule dans un environnement de pauvreté, de fragilités et de piètre gouvernance locale. L’agriculture y est fragile, peu productive, menacée par le réchauffement climatique et la sécurité alimentaire incertaine. Certes les racines du (des) conflits en cours sont loin d’être essentiellement économiques. Interviennent en effet des perceptions d’injustice de la part de certaines communautés ou individus, un besoin de sécurité dans un contexte où presque tout le monde est armé, la volonté de vengeance après des exactions des forces armées nationales ou de groupes d’autodéfense, la tentation de poursuivre différemment le brigandage pour d’anciens coupeurs de route et enfin la dimension religieuse qu’il ne faut pas minimiser. L’analyse portera sur les trois pays qui sont au cœur de cette guerre, le Mali, le Burkina et le Niger.

Une caractéristique du déplacement du centre de gravité du djihadisme au Sahel vers le sud, est son articulation avec des conflits locaux larvés souvent anciens qui ont en quelque sorte sédimenté et dont la base est souvent économique. L’arrivée de noyaux djihadistes dans ces environnements difficiles et conflictuels, véritables barils de poudre, a servi et sert encore d’étincelle. Cette guerre du Sahel se présente finalement tant dans le centre du Mali qu’au Burkina, et ceci au-delà de son affichage djihadiste, comme un ensemble d’insurrections paysannes[1] et de conflits intercommunautaires. Ces conflits sont liés à une démographie incontrôlée, un sous-emploi massif, des dégradations environnementales, des problèmes fonciers ou à des difficultés économiques et sociales qu’une meilleure gouvernance locale et des programmes de développement adaptés auraient peut-être pu désamorcer.

Des économies marquées par le sous-emploi

Toute cette région sahélienne souffre en premier de son enclavement. Les ports du golfe du Bénin sont à plus de 1000 km et de nombreux obstacles liés au mauvais entretien des infrastructures et aux contrôles routiers licites et illicites entravent les échanges régionaux. Le secteur privé est très faible par suite de cet enclavement, de l’étroitesse du marché intérieur, de coûts des facteurs élevés et d’un environnement des affaires défaillant. Le développement industriel reste très limité en dehors de la transformation primaire des produits agricoles (égrenage du coton – rizeries) et de l’uranium du Niger qui est en crise. La faiblesse de l’industrie et du secteur privé provoque un sous-emploi urbain généralisé et le développement d’un secteur artisanal et de services informel à très faible productivité. La révolution des TIC est par contre en cours avec une rapide pénétration du téléphone. Ces pays peuvent jouer un rôle de nœuds de communication régionaux entre le golfe du Bénin, en particulier la Cote d’Ivoire et le Nigéria avec le Maghreb. Mais cette activité est pour l’instant limitée à un commerce portant sur des biens présentant de forts différentiels de prix en particulier avec l’Algérie (fuel, pâtes alimentaires, téléviseurs, etc.)  le transport des migrants, ou des activités franchement illicites (armes de Libye, cocaïne provenant d’Amérique latine, cigarettes du moyen orient, hashish provenant du Maroc …)

Une démographie hors de contrôle alimente une bombe sociale

La démographie qui est absolument hors de contrôle avec des taux de fertilité extrêmement élevés (de l’ordre de 7) et qui n’ont pratiquement pas changé depuis les indépendances, bloque ces pays dans une trappe à pauvreté. Le cas le plus inquiétant est certainement celui du Niger où la population est passée de 3 millions à l’indépendance à 21 millions aujourd’hui. Or le taux de croissance de la population augmente et atteint 4 % par an ce qui constitue un record mondial. Les perspectives à horizon 2035 pour ce pays (avec un minimum de 40 millions d’habitants) sont très inquiétantes au regard du potentiel agricole ou industriel. A l’horizon 2050 elles sont franchement angoissantes (de 60 à 89 millions d’habitants selon l’évolution du taux de fécondité). Cette démographie induit dans tous les pays des charges sociales insupportables en particulier en matière de santé et d’éducation, face aux cohortes de jeunes qu’il faut scolariser chaque année. Malgré des efforts budgétaires considérables et une rapide augmentation des taux brut de scolarité l’enseignement en milieu rural est très peu performant et inadapté ; la couverture sanitaire est insuffisante et de médiocre qualité.

Une agriculture fragile à très faible productivité

Le pays le moins bien doté en capacités de productions agricoles est le Niger dont la zone agricole est extrêmement restreinte (8% du territoire), le Mali bénéficiant en revanche d’un important potentiel en matière d’irrigation dans le delta intérieur du fleuve Niger. Au Burkina la question foncière devient particulièrement aigue et nourrit le conflit largement perçu localement comme un affrontement entre paysans Mossis et éleveurs Peulhs (ce qui correspond à une vision très simplifiée). Toute cette région souffre d’une économie à très faible productivité, essentiellement fondée sur une agriculture extensive soumise à des chocs climatiques récurrents. Cette agriculture dont vit selon les pays de 70 à 80 % de la population reste ainsi une activité très aléatoire. Par suite de ces aléas climatiques, l’intensification de l’agriculture pluviale est pour l’instant très risquée et peu rentable en dehors des périphéries urbaines et des zones irriguées et la consommation d’intrants chimiques est extrêmement faible (6 à 10 kg /ha). La production irriguée est certes en rapide développement, mais son impact sur la sécurité alimentaire reste et restera sauf au Mali marginal. Enfin l’avenir du pastoralisme transhumant est incertain face à l’extension vers le nord des zones de cultures et la disparition des jachères.

Une activité agricole très aléatoire

Malgré ces handicaps, la production agricole dans ces trois pays a globalement suivi les besoins d’une population en croissance extrêmement rapide, ce qui est remarquable vu ces conditions agro-climatiques défavorables. Même au Niger cette croissance agricole s’est globalement maintenue mais a toutefois été extrêmement volatile à cause de la vulnérabilité d’un secteur dépendant d’une pluviométrie très irrégulière. Ainsi, au cours des dernières années, la croissance agricole au Niger a connu des variations extrêmes (+16,2% en 2008, -9,5% en 2009, +16,7% en 2010 et -3,7% en 2011). Outre leurs effets immédiats sur la production du secteur et la consommation des ménages agricoles, l’impact de ces chocs continue à se faire sentir pendant plusieurs années, en décapitalisant les exploitations agricoles et les privant de leurs outils productifs, en entrainant des pertes fiscales et en devises pour le pays (dues à la diminution des exportations et l’augmentation des importations de denrées alimentaires) et en détournant des ressources financières substantielles pour gérer les crises au lieu de financer le développement du pays.

Une pauvreté accentuée par la démographie

Malgré cette bonne croissance agricole, la pauvreté qui a diminuée en pourcentage a augmenté en termes absolus dans ces trois pays. Au Mali il est remarquable de souligner que la pauvreté est plus marquée dans les zones à fort potentiel agricole (manifestement mal valorisé) comme Mopti ou Sikasso que dans les régions semi désertiques comme Kidal et Gao qui vivent largement des divers commerces et trafics transsahariens, ou que la région de Kayes qui bénéficie d’importants transferts des migrants. Au Niger neuf pauvres sur 10 se trouvent en zone rurale. Or contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les zones les plus au sud, bénéficiant d’une meilleure pluviométrie, présentent des niveaux de pauvreté parmi les plus élevés du pays (certains cantons des régions de Tillaberi ou de Maradi connaissent ainsi un taux de pauvreté supérieur à 70%).


Un des facteurs déterminants du niveau de pauvreté rurale semble donc avoir été la forte augmentation de la densité de population dans le sud qui a réduit la superficie des exploitations et donc la production agricole et les revenus de chaque ménage. [1] Il faut noter que les régions où l’incidence de la pauvreté est la plus forte sont celles où la part de la population engagée dans l’agriculture est la plus forte et où la taille des familles et les ratios de dépendance sont aussi élevés. Les grandes familles tendent à être les plus pauvres, ce qui semble indiquer que bien que les activités agricoles exigent une main d’œuvre importante, l’accès de plus en plus difficile au capital foncier à cause de la pression démographique rend la productivité marginale de cette main d’œuvre de plus en plus faible.

Des relations sociales intercommunautaires fragilisées par la démographie


Le système de production agricole extensif est fondé sur des rotations impliquant de longues jachères habituellement fertilisées par des troupeaux transhumant. Il était bien adapté et probablement optimal dans un contexte de très faible densité de population. Il était encore viable pour des densités atteignant environ 40 hab /km2. Mais dans les régions où la pluviométrie permet l’agriculture pluviale sans risques excessifs, (plus de 350 mm), les densités dépassent fréquemment 100 voire 150 hab/km2. Dans ces conditions, faute d’espace, les durées de mise en jachère diminuent, et dans les zones les plus peuplées les jachères disparaissent au détriment de la fertilité des sols. La réduction et disparition des jachères sont désormais une source de conflits constants entre agriculteurs et éleveurs dont les parcours sont bloqués par l’extension agricole.  Les frictions habituelles entre communautés s’aggravent désormais par suite de la circulation des armes. Tant les éleveurs que les agriculteurs forment au Mali et au Burkina des groupes d’auto-défense qui procèdent à des règlements de comptes entre communautés aboutissant dans certains cas à des massacres. Les mosaïques ethniques d’une grande complexité compliquent singulièrement la résolution pacifique de ces conflits.

Une agriculture menacée par le réchauffement climatique

Dans ces conditions il ne faut pas s’étonner de conditions de vie rurale particulièrement misérables. Les villages ont très rarement accès à l’électricité[1] et souffrent du manque d’entretien des pistes d’accès. Or en dehors des opérations cotonnières qui au Mali et au Burkina sont des succès, il n’y a ni mécanisme ni institution permettant d’agir rapidement et massivement sur les conditions de vie en milieu rural. Point particulièrement préoccupant, le déplacement historique des isohyètes vers le sud et le réchauffement climatique menacent cette agriculture à l’horizon 2035 en accroissant le caractère aléatoire des pluies. Ainsi, les pertes de rendement attendues sont de l’ordre de 20 à 30 % pour le mil et le sorgho.

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