Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les combinaisons des possibles

Est-il possible et souhaitable de combiner les approches, associant semences paysannes, conventionnelles et biotechnologiques pour améliorer l’efficacité globale du système agricole et alimentaire africain ?

Revenons aux bienfaits principaux attendus des semences. Ils sont de contribuer à la résilience contre la sécheresse et les contraintes du sol (salinité, carence en phosphate, azote) ; de lutter contre les parasites et pathogènes ; d’augmenter les rendements en employant toute la gamme des technologies disponibles. Or le fait est là, les plantes biotech, et en particulier transgéniques, ne rencontrent pas pour l’instant, ou alors modestement aux préoccupations des petits paysans.

©Jacquemot/Gret

En Afrique, de 60 à 80 % des exploitations agricoles sont des petites exploitations, inférieures à 2 ha. Pont d’angélisme ! Face aux enjeux de la durabilité, les systèmes conventionnels montrent leurs limites. Qu’il s’agisse du travail du sol, de la gestion de l’eau, de l’utilisation des intrants, les pratiques conventionnelles dégradent la fertilité des sols, engendrent des dégâts environnementaux et des risques sanitaires.

L’approche du Gret

Dans l’Androy, une région très pauvre du sud de Madagascar, le manque de semences est un problème chronique pour beaucoup de familles. Les variétés populations de l’Androy ne sont pas assez stables et homogènes pour satisfaire aux critères classiques de la DHS (Distinction, Homogénéité et Stabilité). Vu le cadre juridique malgache inspiré par l’Upov, elles ne peuvent donc pas être reconnues en tant que variétés et être multipliées par des fermes semencières ou des groupements paysans agréés par L’État.

Une solution a été proposée par le Gret (projet HOBA soutenu par l’Union européenne), en se basant sur le modèle de « Semences de Qualité Déclarée » (SQD) avec pour objectif d’augmenter la production de semences de variétés en appliquant des règles de multiplication assouplies (les critères DHS sont moins stricts que les standards Upov-OCDE) et adaptées aux conditions paysannes. Ce système repose sur un système d’enregistrement spécifique validé par l’Ancos (Agence nationale du contrôle officiel des semences et plants) et reposant sur des procédures simplifiées et des critères plus souples. Un organisme régional joue un rôle de premier filtre pour identifier les variétés à inscrire. Un registre régional SQD a été mis en place ; il comporte les principales variétés devant être multipliées pour assurer la sécurité alimentaire des populations. Parmi elles, figurent un grand nombre de variétés populations issues de sélections paysannes. Les semences de base issues de ces variétés sont multipliées dès les phases de caractérisation dans une ferme semencière.

Au fil des saisons, les variétés satisfaisant aux critères d’homogénéité, stabilité et distinction requis par le système SQD ont pu être enregistrées. La seconde édition de ce registre a été publiée en mars 2016 avec 21 variétés locales caractérisées. En avril 2017, la troisième édition de ce registre comporte 37 variétés locales inscrites. Les semences obtenues au niveau de la ferme semencière sont multipliées par des groupements semenciers paysans avec des normes adaptées permettant, par exemple, quelques associations de cultures considérées comme importantes par les paysans multiplicateurs. La production de ces groupements est ensuite triée et conditionnée et les semences SQD sont ensuite vendues dans les zones rurales de l’Androy via un réseau de plus de 100 boutiques. Pour les espèces qui ont un intérêt agroécologique reconnu (par exemple le pois d’Angole), des subventions diminuent les prix de vente aux paysans des semences.

(Source, Gret et Inf’OGM).

Sur la base de ce constat, largement partagé, l’agroécologie est plus sûrement susceptible d’apporter la réponse la plus adaptée à cette réalité dominante. Fondée sur de nouvelles pratiques d’intensification, vise à restaurer l’activité biologique du sol, à améliorer l’efficience de l’eau et à recourir la régulation biologique des bioagresseurs pour limiter leurs dégâts. Comme on le sait, elle renonce au forçage artificiel des rendements ; elle cherche à trouver des solutions en s’inspirant du fonctionnement de la nature pour régénérer les sols appauvris par l’érosion et l’aridité. Elle utilise les gains que l’on peut attendre de la maîtrise du milieu naturel (sol, eau, pratiques culturales).

Ses applications sont multiples. Citons à titre d’exemple la technique du « semis direct » qui rencontre de nombreux adeptes. Le principe est simple : le paysan sème sur le sol non retourné et recouvert d’une litière de résidus de la récolte précédente, ce qui permet de préserver les micro-organismes et l’humidité, tout en prévenant l’érosion, à la différence d’une terre trop travaillée et exposée au ruissellement.

En prenant du recul, on peut considérer qu’à l’échelle d’un terroir assez étendu, et pour un nombre diversifié de modes de production aux fonctions différentes, il peut exister un spectre élargi de solutions qui empruntent à l’un, à l’autre, voire aux trois régimes d’intensification dans lesquels s’insère la semence : conventionnel, transgénique, agroécologique, dans lesquels la semence joue son rôle central.

L’important n’est-il pas d’offrir aux agriculteurs la plus large gamme de combinaisons productives ? Cette position est aujourd’hui celle par exemple de l’African Seed Trade Association et de l’Alliance pour une Industrie semencière en Afrique de l’Ouest[16].

Tableau 2. Régimes d’intensification agricole comparés

Intensification

conventionnelle

Intensification biotech Intensification biologique
Vise l’intensification sur la parcelle.

Recours aux semences paysannes et améliorées et à des apports d’intrants d’origine chimiques (nitrates, phosphates, pesticides) sur l’espace cultivé.

Recours possible à la traction animale pour les travaux de labours
Possible sécurisation de la production contre le stress hydrique par l’irrigation.

Vise l’amélioration des plantes.

Recours aux semences transgéniques de la biotechnologie (OGM) permettant de résister aux ravages des insectes et aux effets des herbicides et d’obtenir des rendements plus élevés là où les produits phytosanitaires d’origine chimique sont d’un usage inapproprié ou trop onéreux.

Vise l’amélioration du milieu.

Utilisation de la biodiversité fonctionnelle : photosynthèse, fixation symbiotique de l’azote, fertilité organique, recyclage des éléments minéraux, récupération des eaux de pluies.

Techniques diversifiées : agroforesterie, barrages antiérosifs, pisciculture des mares…

Augmentation significative des rendements mais hausse du temps de travail et des coûts.

Fatigue progressive des sols et parfois impact sur l’environnement de la diffusion des intrants chimiques.

Augmentation des rendements mais coût élevé au regard des capacités financières des petits agriculteurs.

Dépendance au monopole des détenteurs de propriété intellectuelle.

Méthodes « durables », encore souvent expérimentales, avec préservation de la biodiversité, avec des coûts de production moindres mais une augmentation graduelle des rendements.

(Source, Jacquemot, 2017)

En pratique, dans de nombreuses situations, il faut faire du sur-mesure afin de maîtriser les interactions complexes sols-plantes, tout en tenant compte des usages agricoles dominants localement.

L’« optimum semencier » est probablement à rechercher dans la combinaison d’options qui permettent de concilier cinq éléments clés :

1/l’acceptation sociale,

2/la hausse des rendements,

3/le coût de l’innovation,

4/la maîtrise technique,

5/ la préservation de la biodiversité.

© l’encre noire

Le travail de recherche portant sur l’amélioration et la diversification du patrimoine semencier trouve ici sa pleine nécessité. Les capacités de recherche existent en Afrique, avec en particulier quatre centres rattachés au réseau du Consultative Group on International Agricultural Research (GCIAR) : ILRI (élevage) à Nairobi, World Forestry Center (agroforesterie) également à Nairobi, ITA (agriculture tropicale) à Ibadan et AfricaRice à Cotonou. Les recherches se concentrent sur 
la création de nouvelles variétés mieux adaptées au milieu dans lequel elles seront cultivées, mais aussi sur les thèmes associés comme celui de l’occupation des territoires qui permet une intégration harmonieuse et synergique des différentes activités qui y sont menées en améliorant les services écologiques comme la purification de l’eau, la régulation des crues et du climat, l’accès à des lieux ou la biodiversité est développée et valorisée, etc.

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