Comprendre les enjeux de l'agriculture
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Au 21ème siècle, contrairement à toutes les prévisions antérieures, l’activité agricole apparaît au cœur des problèmes les plus préoccupants du moment. Jusqu’ici et pendant des siècles, la grande angoisse des peuples était de produire suffisamment pour se nourrir à peu près convenablement. Mais aujourd’hui, c’est de l’avenir des sociétés humaines et même de la pérennité de la vie sur terre dont il est question. Il est évident que l’agriculture ne résoudra pas seule ces problèmes essentiels pour l’avenir de l’humanité. Mais elle peut contribuer à leur résolution.

Dans ce nouveau contexte, l’agriculture doit répondre aussi positivement que possible, à quatre grands défis:

  • Nourrir 9,7 milliards de personnes (contre « seulement » 7,8 aujourd’hui), sachant que plus de 800 millions souffrent toujours de la faim.
  • Modifier ses propres pratiques pour apporter sa contribution à la lutte contre l’excès de gaz à effet de serre et ainsi limiter le réchauffement climatique.
  • Protéger l’environnement et la biodiversité, mais néanmoins sécuriser les rendements agricoles.
  • Assurer un revenu suffisant et régulier aux centaines de millions d’hommes et de femmes qui travaillent la terre.

Personne ne peut contester l’importance de chacun de ces quatre domaines pris isolément. Le problème est que les objectifs à réaliser sont en partie incompatibles les uns avec les autres. C’est au fond une véritable quadrature du cercle qu’il faut résoudre en conservant l’essentiel de ces objectifs mais en faisant des sacrifices sur certains aspects.

1- Nourrir 9,8 milliards d’habitants en 2050

 

En 2015, la FAO avait estimé qu’il serait nécessaire d’augmenter la production agricole de 50 % d’ici 2050. C’était un objectif ambitieux qui semblait compatibles avec les progrès observés au 20ème siècle. Mais l’est-il avec nos trois autres objectifs ? C’est malheureusement peu probable. Car une telle augmentation suppose tout à la fois la poursuite de l’accroissement des rendements des récoltes, une augmentation significative des surfaces cultivées et une multiplication des élevages industriels[1].

Or cette forte augmentation de la production agricole est probablement incompatible avec la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Car elle impliquerait tout à la fois, de poursuivre le défrichement des forêts et la mise en culture des meilleures prairies (les unes et les autres d’excellents pièges à carbone), d’utiliser de grandes quantités d’engrais azotés (source d’oxyde nitreux N2O très polluant) et de multiplier les élevages industriels. La FAO préconise également l’extension des rizières notamment en Afrique. Or celles-ci rejettent d’énormes quantités de méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre dont les effets sur le réchauffement climatique représenteraient plus de 10 % des émissions globales du secteur agricole.

Ainsi, cette poursuite d’une augmentation de la production agricole, à un rythme au moins aussi rapide qu’au cours des années passées, ne peut que nuire gravement à l’environnement et à la biodiversité. Il faut donc envisager de modifier plus ou moins profondément les prévisions antérieures tout en assurant aux populations du globe une alimentation suffisante et saine.

Peut-on revoir à la baisse cet ambitieux programme ?

La lutte contre l’obésité et le gaspillage alimentaire devrait permettre de réduire les besoins globaux. Effectivement, soucieuse de sa santé, une fraction de la population des pays occidentaux limite déjà sa consommation de viande, de sucre et d’huile. Mais on sait aussi que, jusqu’ici dans le monde, l’obésité continue de progresser, notamment (mais pas seulement) dans les pays en transition. L’excès de poids concerne déjà plus de 50 % de la population dans certains pays. D’importants gains dans ce domaine sont donc possibles mais restent malheureusement bien lointains. En revanche, toute avancée dans la lutte contre les pertes de récoltes (jusqu’à 30 % dans certains pays) et le gaspillage alimentaire constitue un progrès immédiat dans la réduction des besoins.

Plusieurs dizaines de millions d’hectares de terres arables sont affectés à la transformation de céréales, d’oléagineux et de canne à sucre en éthanol ou en diester. Y renoncer permettrait de libérer des terres ou d’éviter de défricher des milliers d’hectares de forêts supplémentaires. Par exemple, les Etats-Unis affectent plus de 300 millions de tonnes de maïs à la production d’éthanol, ce qui nécessite environ 30 millions d’hectares de bonnes terres agricoles. C’est 2 % des terres arables dans le monde (environ 1600 millions d’hectares). Or ce pays, premier producteur mondial de pétrole, n’a nul besoin de ce type de carburant. Il pourrait donc y renoncer sans dommage, sauf pour les industriels concernés.

Les dernières statistiques disponibles montrent que, contrairement aux espoirs (et aux objectifs) de la FAO, le nombre de personnes souffrant de la faim, qui avait diminué de 200 millions au début du 21ème siècle, est à nouveau en augmentation. En 2017, il s’élevait à 821 millions, soit une personne sur 9 dans le monde. Il apparait malheureusement vraisemblable que ce nombre se maintienne dans l’avenir et peut-être même augmente. Ce serait tout à la fois la conséquence de la surpopulation (dans plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne notamment), des changements climatiques à venir et de l’insécurité politique dans divers pays. Certes, si par malheur cette hypothèse se révèle juste, la production alimentaire globale sera mécaniquement réduite. Ce qui, il va sans dire, n’est pas moralement acceptable.

2- Lutter contre le réchauffement climatique

 

Bien entendu, l’agriculture, comme toutes les autres activités économiques, participe à la production de gaz à effet de serre. On estime qu’elle y contribue pour 13,5 % (30 % avec l’apport des entreprises d’aval). Les sources de gaz sont multiples : consommation directe d’énergie par les machines agricoles, émission de N2O par les engrais azotés, dégagement de méthane … Or si on veut limiter le réchauffement climatique, il faut de toute urgence réduire ces émissions. Bien sûr, l’agriculture doit y contribuer, mais sous quelles formes et dans quelles proportions ?

L’agriculture peut-elle réduire sa production de gaz à effet de serre ?

En priorité, cessons de défricher forêts ou prairies et luttons efficacement contre les feux de forêts qui en font disparaître plusieurs millions d’hectares chaque année. De même, essayons d’éviter de mettre le feu aux immenses savanes africaines lors de chaque saison sèche.

Les techniques culturales simplifiées permettent de limiter la consommation de carburants. Ces pratiques se développent rapidement partout dans le monde. Elles doivent se poursuivre.

En modifiant certaines pratiques agronomiques, il est aussi possible de réduire l’emploi d’engrais azotés et donc la fraction qui s’échappe dans l’atmosphère. Mais on évitera difficilement une baisse des rendements (dans les pays où ceux-ci sont très élevés comme en Europe ou en Chine) alors qu’il faut tout de même continuer d’augmenter la production agricole parce qu’il faudra bien nourrir 2 milliards d’habitants supplémentaires en 2050.

La plus grande partie des 3300 millions d’hectares de prairies naturelles bien que le plus souvent peu productives, sont néanmoins trop souvent surexploitées. Il faut mettre fin à cette situation, réduire les troupeaux, reconstituer les pâturages et ainsi stocker du CO2 dans les sols.

Les scientifiques s’efforcent de mettre au point des rations alimentaires qui conduisent à une moindre production de méthane par les ruminants. Il convient d’avancer dans cette voie. Mais il est aussi possible de réduire le nombre d’animaux, par exemple en mangeant moins de viande rouge ou en élevant des vaches laitières plus productives donc moins nombreuses. Pensons aussi aux millions de vache indiennes quasi- improductives qui émettent néanmoins du méthane !

3- Protéger l’environnement et la biodiversité

Il est incontestable que l’agrandissement de la taille des exploitations et la généralisation des techniques modernes de production ont porté atteinte à l’environnement et notamment à l’ensemble de la flore et de la faune sauvage. Des parcelles toujours plus grandes, la disparition des haies, la destruction des zones humides et la multiplication des traitements phytosanitaires, sont à l’origine de ces phénomènes. On sait maintenant que leurs conséquences sur la protection des sols, la qualité des eaux ou de l’air et tout simplement l’avenir de la production agricole, sont extrêmement graves et rémanentes. Par exemple, l’atrazine, interdite depuis plus de 20 ans dans le traitement du maïs, n’a toujours pas disparu des nappes phréatiques.

 Ces difficultés ne doivent pourtant pas conduire à renoncer à ces objectifs, même si leur réalisation est lointaine.

Est-il possible de reconstituer un environnement durable ?

A l’évidence, ce sera très difficile. En effet, on imagine mal la division des grandes parcelles de cultures des pays neufs pour revenir à un territoire à taille humaine. En revanche, les petites ou moyennes exploitations sont mieux adaptées à la préservation du parcellaire traditionnel et à une bonne occupation du territoire rural. Il faut les protéger.

La priorité serait de renoncer à défricher des forêts et à mettre en culture les prairies naturelles. Or c’est moins que jamais le chemin que prennent des pays comme le Brésil qui revendique le droit de développer à volonté ses exportations de soja, de céréales ou de viande[2].

De même, la réhabilitation des sols avec leur flore et leur faune est une opération compliquée car elle suppose de modifier complètement les modes de culture. C’est un des objectifs de l’agriculture biologique et de l’agroécologie.

 Il faudrait aussi créer ou recréer un réseau de haies arborées autour des champs. Certes en France, la Bretagne commence à replanter quelques haies, notamment dans les bassins versants pour bloquer l’écoulement des produits chimiques vers les rivières. Aujourd’hui, 2500 kilomètres de nouvelles haies sont ainsi créés chaque année, ce qui est bien. Mais dans les années 1960- 1970 on en a détruit 250 000 kilomètres !

Tout cela à un coût qui peut être élevé et renchérir les prix de revient des produits agricoles[3]. Si les responsables des grandes exploitations sont parfaitement capables de gérer ces modifications dès lors qu’elles leur sont imposées, il faudra prévoir de former les petits paysans à ces nouvelles techniques.

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