Comprendre les enjeux de l'agriculture
Télécharger le dossier en PDF

Aborder la transition des systèmes agraires à l’échelle mondiale est un vrai défi – tant la question est vaste, diverse selon les pays et régions, et tant les enjeux économiques, sociaux, écologiques immenses. Cette transition est d’ailleurs constante ! Les réalités de l’agriculture, et plus largement des systèmes agraires dans toute leur complexité, ont toujours évolué. Cette mutation millénaire est racontée par M Mazoyer et L Roudart dans leur passionnant ouvrage « Histoire des agricultures du monde ». Quelles nouvelles raisons alors pour se pencher aujourd’hui spécifiquement sur la transition des systèmes agraires ? Probablement la vitesse et l’ampleur des changements, liés à la force des dynamiques à l’œuvre : poussée démographique, anthropocène (ère d’accélération massive caractérisée par le dépassement des limites planétaires et grande déstabilisation des écosystèmes), révolution chimique, génétique, numérique… qui devraient donc nous conduire à envisager un avenir radicalement différent et potentiellement très perturbé dans les cinquante prochaines années.

Ce qui est en jeu n’est pas « seulement » le défi de parvenir à nourrir l’humanité en volume et/ou de conquérir de nouveaux marchés, le plus souvent par l’introduction de nouvelles technologies.

C’est aussi assurer la santé physique et mentale des producteurs, consommateurs, habitants actuels et générations futures ; maintenir et restaurer les services écosystémiques dont nous bénéficions tous ; développer les territoires ruraux – par une économie locale viable et prospère, des emplois qualitatifs, des activités complémentaires bien articulées avec la production agricole ; doser de bons équilibres en termes de sécurité, souveraineté alimentaire et de balance commerciale pour chaque pays…

Comprendre le jeu d’acteurs et les leviers de la transition des systèmes agraires est alors précieux : pour l’agriculteur, pour l’agronome, pour l’habitant des territoires, pour les acteurs économiques opérant « du champ à l’assiette » et pour les dirigeants de ces structures, pour la puissance publique.

Nous ferons donc le choix dans ce dossier de trois clés de réflexion :

-une approche systémique : qu’est-ce qu’un système, et notamment un système agraire ? quelle est l’échelle à laquelle nous parvenons à raisonner, avec quelle complexité, et avec quel objectif ?

-une approche prospective : quels sont les futurs possibles, désirables, probables, et les grandes variables clés qui permettent de dessiner des scénarii prospectifs ?

-une approche des dynamiques de transitions : quels sont les freins et leviers pour une transition « réussie », s’il est possible d’envisager des réalités positives pour demain et dans quelques décennies ? Quelle convergence ou divergence d’intérêt entre acteurs ?

Nous proposons enfin d’analyser des exemples actuels au Nord et au Sud et de donner quelques clés d’actions pour une transition agraire viable et désirable.

 

Nous nous référons à l’excellent travail de synthèse de l’agronome Hubert Cochet sur le concept de système agraire. Il nous rappelle que la notion de système agraire a émergé au 20e siècle, tant chez les géographes comme Cholet (qui l’entendent comme une « structure » complexe d’éléments différents, ayant des interactions fortes), que par les agro-économistes.

Nous citerons ici deux définitions successives proposées par Marcel Mazoyer. La première : « un mode d’exploitation du milieu, historiquement constitué et durable, adapté aux conditions bioclimatiques d’un espace donné, et répondant aux conditions et aux besoins sociaux du moment ». La seconde : « l’expression théorique d’un type d’agriculture historiquement constitué et géographiquement localisé, composé d’un écosystème cultivé caractéristique et d’un système social productif défini, celui-ci permettant d’exploiter durablement la fertilité de l’écosystème cultivé correspondant »

L’échelle de description et d’analyse est celle d’un vaste territoire (région, pays) et dépasse donc très largement celui du système de culture. Au-delà de la taille, un système agraire inclut tous les éléments (physiques : terres et écosystèmes cultivés, équipements agricoles et de transformation, infrastructures écologiques ; éléments immatériels et organisationnels).

Source : H Cochet, Lexique en ligne « Les mots de l’agronomie »

« Penser ce grand système » nous conduit à réfléchir bien au-delà des « lignes de débat » habituelles entre agronomes sur la pertinence de tel ou tel choix technique à la ferme. Il peut nous permettre de resituer la question agricole dans la société, en introduisant donc une diversité d’acteurs et d’intérêts potentiellement divergents.

Notons que ces définitions posées au 20e siècle amènent rapidement à deux limites pour penser l’avenir :

– Celui du système ouvert ou fermé. Les systèmes agraires sont bien entendu dotés de nombreuses interfaces. Les flux de matières, équipements, savoir faire, main d’œuvre sont fort nombreux. Il est devenu impossible de décrire complétement un système régional tant il est lié de toutes parts. C’est précisément pour cela qu’une réflexion à l’échelle planétaire s’avère précieuse.

– Celui de la possibilité de décrire, même de manière théorique, un « système durable ». L’ensemble de systèmes vivants et des systèmes sociotechniques créés par les humains sont en constante mutation, toujours plus rapide.  Les activités agricoles pourraient trouver une forme d’équilibre avec le milieu naturel seulement si celui-ci était lui-même dans un bon équilibre ou du moins dans une dynamique d’évolution très lente.

Le système de production agricole ne peut opérer qu’en lien avec les écosystèmes, et avec le système sociotechnique global déployé par les humains. Il est totalement « encapsulé » dans des réalités planétaires interconnectées.

Or, ce qui caractérise probablement notre époque est la grande vitesse des mutations.

1 2 3 4 5 6