Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les eaux souterraines représentent la majeure partie des réserves d’eau douce mondiales (99%). Elles assurent la moitié de l’approvisionnement domestique et rural. Invisibles, les eaux souterraines ne bénéficient pas de l’attention requise en termes de protection et de gestion. La raréfaction des eaux de surface devrait augmenter notre dépendance à ces ressources souterraines et obliger les États à se préoccuper de leur sort.

L’augmentation de la consommation combinée à une diminution des régimes pluvieux devraient amplifier les craintes de pénurie. L’exploitation des eaux souterraines comporte des risques de pollution et leur bonne gestion implique, au préalable, de comprendre la place qu’elles occupent dans l’écosystème planétaire.

En publiant son rapport Eaux souterraines, rendre visible l’invisible, l’Unesco a souhaité dresser un état des lieux de cette ressource, de son potentiel, des usages actuels et des meilleures pistes pour une gestion durable.

Comme l’a rappelé Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, au sujet des eaux souterraines, leur invisibilité les rend d’autant plus vulnérables à la pollution et au tarissement.

Elles œuvrent pourtant à l’équilibre des écosystèmes terrestres sans être suffisamment considérées par les acteurs de l’eau.

L’UNESCO et l’ONU-Eau ont décidé de leur consacrer un Sommet mondial sur les eaux souterraines en décembre 2022, afin d’inviter les décideurs publics et privés à réfléchir à une exploitation plus éclairée et plus encadrée par le biais de  :

  • la recherche et l’innovation technique ;
  • règlements et de politiques favorables aux financements.

Gilbert F. Houngbo, président d’ONU-Eau et du Fonds international de développement agricole, confirme la nécessité de mieux connaître pour mieux gérer, rappelant qu’à certains endroits du globe, une partie des eaux souterraines est déjà surexploitée ou polluée tandis qu’ailleurs, elles restent à découvrir.

Le rapport vise un objectif ambitieux, renseigner experts et grand public sur la formidable opportunité de ces eaux dans le développement humain, au niveau de la santé, de l’agriculture et de l’environnement.

Pour l’édition 2022 du World Water Development report (WWDR), les auteurs ont préféré concentrer l’étude sur un élément, les eaux souterraines, plutôt qu’analyser l’ensemble de la ressource eau sous plusieurs angles (social, économique, environnemental).

Il ressort de ce rapport que les eaux souterraines constituent déjà une ressource incontournable pour la sécurité alimentaire, la consommation énergétique, les activités rurales et les industries.

Pour ces raisons, les experts ayant contribué au rapport, insistent sur l’importance de mutualiser et d’organiser les données les concernant, et leur exploitation, pour faciliter le financement de la recherche et l’établissement de politiques publiques pertinentes.

Des eaux fragiles à fort potentiel

Réparties inégalement sur terre, les eaux souterraines irriguent près de 40% des surfaces cultivées.

Cette ressource, ultime et fragile, offre de multiples services aux populations :

  • Approvisionnement pour l’homme ;
  • Fonction tampon pour le maintien des volumes d’eau et de sa qualité ;
  • Soutien aux écosystèmes bénéficiaires (environnement, faune et flore) ;
  • Services liés aux activités humaines : loisirs, traditions, religions…

Les défis principaux sont de protéger cette ressource d’un pompage au-delà de sa capacité de recharge et de réduire les pollutions aux nitrates, pesticides et agents chimiques utilisés en agriculture ou dans l’industrie. Dans la majorité des cas, les pollutions des nappes souterraines sont irréversibles.

Relever ces défis implique que les États s’approprient la question de la gestion des eaux souterraines et y répondent à différents niveaux :

  • Une gouvernance mutualisée au-delà des frontières ;
  • Un appel à l’innovation et à la compétence dans la mise en oeuvre ;
  • Une révision de la propriété des sols pour désolidariser la ressource du foncier et lui donner un statut de bien commun.

Si le sujet des eaux souterraines est traité indépendamment dans ce rapport, elles doivent bénéficier du même régime de protection que les eaux de surface. Leurs pompages excessifs a des conséquences sur les cours d’eau.

Les usages

L’agriculture

L’agriculture consomme de plus en plus d’eau, en particulier pour satisfaire la demande croissante en denrées alimentaires, à la fois pour la consommation humaine et pour les biocarburants.

L’intensification des prélèvements d’eaux souterraines n’est envisageable que si elle permet une augmentation de la productivité sans polluer ces ressources. L’électrification des zones rurales a stimulé le pompage des eaux souterraines en agriculture.

En Amérique du Nord et en Asie du Sud, les eaux souterraines alimentent presque 60% des installations d’irrigation, alors qu’elles n’interviennent qu’à hauteur de  5% pour l’irrigation en Afrique subsaharienne.

La pollution constatée est majoritairement agricole et provient de l’application d’engrais contenant des nitrates. Viennent ensuite les résidus d’insecticides, herbicides et fongicides, connus pour le risque cancérigène qu’ils produisent.

Les habitations

La moitié de la population urbaine dépend des eaux souterraines. Les plus pauvres vivent dans des zones excentrées et dépourvues de système d’approvisionnement ou d’évacuation.

Ces dernières années, les puits privés se multiplient dans les quartiers défavorisés, pour compléter des approvisionnements insuffisants ou trop coûteux. Ces équipements sont utilisés en dehors de tout contrôle sanitaire.

Les collectivités doivent aussi améliorer les infrastructures de récupération des eaux usées pour pratiquer un traitement avant le rejet dans le milieu naturel. Actuellement, de nombreuses villes dans le monde rejettent directement les eaux usées dans les cours d’eau avec un fort risque d’infiltration dans les nappes souterraines.

La politique urbaine doit favoriser les constructions à proximité d’installations de captage pour conserver la maîtrise des approvisionnements et la protection des sources.

En Afrique, les eaux souterraines présentent l’avantage d’être stockées dans des poches dispersées et répondent aux besoins des populations elles-aussi disséminées.

Les industries

Certaines industries sont particulièrement consommatrices d’eau, telles que :

  • L’exploitation minière, gazière ou pétrolière ;
  • La production électrique ;
  • La construction et l’ingénierie.

Le pompage des eaux souterraines est aussi utilisé lorsque l’industrie concernée a besoin d’une eau de qualité (boisson, cosmétique).

Globalement, l’ensemble des industries organisent des chaînes de production gourmandes en eau, notamment pour le lavage des installations ou des produits et le refroidissement des équipements.

De son côté, le secteur de la construction s’empresse d’assécher toutes les zones destinées à accueillir un tunnel ou un parking.

Les auteurs du rapport relèvent que le secteur industriel présente aussi des atouts dans la quête d’une gestion durable des eaux souterraines. En effet, les industries d’extraction disposent de connaissances avancées sur l’état des sous-sols , ces données sont collectées dans le cadre de leurs activités.

De plus, l’Industrie s’implique dans les projets de développement durable, et la gestion des ressources en eau en est un qui intéresse les investisseurs.

Les écosystèmes

Ces eaux occupent des vallées, des montagnes, des déserts ou des fonds océaniques. Elles alimentent les cours d’eau et amortissent les risques d’assèchement jusqu’à une certaine fréquence et intensité.

En milieu aride par exemple, les réserves d’eaux souterraines préservent la faune et la flore, à l’image des steppes.

Cette biodiversité va à son tour constituer une barrière en :

  • En filtrant les agents pathogènes qui pourraient polluer les nappes par ruissellement et capillarité ;
  • En biodégradant des contaminants.

Dans ces écosystèmes, le changement climatique a aussi un impact. Pour les zones où les équipements d’assainissement des eaux usées manquent, les épisodes de pluies diluviennes accélèrent le transport des agents microbiens et chimiques vers les nappes phréatiques si celles-ci sont proches de la surface.

La montée des océans provoque aussi une invasion des eaux salées dans les cours d’eau puis dans les nappes souterraines. L’impact reste minime comparé aux pollutions induites par les défauts d’assainissement des eaux usées.

Perspectives pour l’Afrique subsaharienne

Le continent dispose de ressources souterraines importantes qui pourraient être exploitées au bénéfice des populations et des territoires pour promouvoir l’activité humaine et la biodiversité végétale. A ce jour, environ 400 millions de personnes ne disposent pas d’un approvisionnement en eau viable.

En Afrique de l’Ouest  et en Afrique centrale, les eaux souterraines sont limitées mais les recharges en pluie nombreuses alors qu’en Afrique de l’Est et en Afrique australe, les nombreuses réserves souterraines sont peu rechargées par les pluies.

L’irrigation concerne seulement 3 % des terres agricoles, parmi lesquelles 5% sont irriguées par une eau provenant des nappes phréatiques. L’augmentation de la surface irriguée offre donc des perspectives intéressantes d’amélioration de la productivité.

Le développement de la production agricole se trouve limité par la pauvreté des infrastructures de captage des eaux souterraines, l’absence d’investissements et le manque d’expertise en la matière l’expliquent.

Dans l’attente de politiques publiques

Le rapport met en évidence le manque de données collectées sur les eaux souterraines alors que leur importance croît.

L’absence de connaissances sur la quantité, la qualité et l’état des réserves nuit à l’établissement de politiques adéquates en vue d’un approvisionnement suffisant combiné à une meilleure protection de celles-ci.

L’expertise hydrogéologique et la progression des outils de sondage doivent permettre de constituer une banque de données et d’observations utiles à l’élaboration de scénarios futurs et de recommandations à l’égard des États.

Les eaux souterraines sont connues pour l’approvisionnement direct qu’elles assurent, à hauteur de 25% de la totalité des extractions d’eau douce sur Terre.

Dans la réalité, elles fournissent beaucoup plus, en régulant les cours d’eau et leurs écosystèmes, s’exposant ainsi à de multiples pollutions, principalement dues à l’activité humaine.

Ce bénéfice invisible les prive d’une gestion et d’une protection adéquates, alors que leur rôle va s’accroître du fait d’une population urbaine croissante, de plus en plus consommatrice de denrées alimentaires.

Source : Unesco