Comprendre les enjeux de l'agriculture
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Le numérique envahit l’agriculture

1. La troisième révolution agricole

Le couple infernal agriculture/climat

Créée au sommet climat de l’ONU en septembre 2014, l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat (GASCA) est l’héritière du Climate smart agriculture lancé par la FAO en 2010. Il s’agit, dans les deux cas, de faire d’une pierre deux coups : d’une part, réduire l’insécurité alimentaire et de l’autre, tempérer freiner le réchauffement climatique. C’est un rêve : réconcilier ce couple infernal que forment le climat et l’agriculture. Ces deux initiatives, malgré ses augustes parrains, ont été dénoncées par des universitaires et des ONG de renom comme des fourreaux des grands groupes chimiques et agro-industriels. Le débat n’est pas donc pas clos et n’est pas prêt de l’être. Qui s’en s’étonnerait ? Toute tentative d’optimiser l’utilisation des intrants chimiques est considérée par leurs adversaires comme une tentative à peine déguisée de leur légitimation.

Il n’existe pas de réponse simple à ce débat car l’agriculture occupe une position paradoxale. Elle est tout à la fois victime et coupable. Victime, l’agriculture pourrait voir ses rendements réduits de 10 à 20% par l’alternance des périodes de sécheresse, d’inondation et autres invasions de parasites. Coupable, l’agriculture est à l’origine de 30% des émissions mondiales des gaz à effet de serre. Juge de paix honnête, la Climate smart agriculture (CMA) organisée, entre autres, par la CIRAD, l’INRA, AGROPOLIS ou la FAO, a cru trouver la bonne réponse. Il demande à l’agriculture d’être à la fois productive, résiliente et durable. Bel exemple d’irrésolution qui ne mange pas beaucoup de pain mais qui finira par aboutir à un compromis nommé agriculture de précision.

En un mot comme en cent le recours aux fertilisants organiques demeurera certainement une nécessité. La question est comment en réduire l’impact environnemental. Nous en étions là sans nous rendre compte qu’une révolution silencieuse était, probablement, en train de résoudre cette quadrature du cercle : oui, on peut tout à la fois protéger les plantes, fertiliser les cultures et élever des veaux tout en réduisant les émissions de gaz. Mieux, on dispose de techniques moins gourmandes en intrants et plus généreuses en rendements. Cette révolution silencieuse porte un nom : la révolution numérique. Comme souvent, en histoire des sciences, les hommes prennent conscience des révolutions bien après qu’elles aient eu lieu.

Rarement révolution pouvait mieux tomber à point. Les pays pauvres d’Afrique sub-saharienne, entre autres, où l’agriculture, représentant 20 à 30% du PIB, est toujours et désespérément tributaire des incertitudes climatiques. Près d’un milliard d’êtres humains, presque tous, paradoxalement fermiers vivent au dessous du seuil de pauvreté. Faut-il en rajouter ? Rappelons ces chiffres archi-connus : pour nourrir les 9 millions d’êtres humains que comptera la planète en 2050, la production alimentaire devra augmenter de 70%. Et encore, eût-il fallu apprendre à produire sous le joug de l’épée de Damoclès des catastrophes climatiques (inondations et sécheresses) et, ce, avec moins de ressources (moins d’eau, moins de terre arable…).

Comme si cela ne suffisait pas, ce défi démographique est aggravé par une évolution sociologique de grande ampleur. D’ici 2035, plus de 3 milliards d’habitants des pays émergents jouiront d’un niveau de vie proche de celui des classes moyennes des pays développés. Ces « nouveaux riches » consommeront plus de voitures, mais aussi plus de viande. Il faudra leur fournir une part de steaks ou de gigots plus ou moins équivalente à la nôtre. L’extension de l’élevage, activité agricole la plus gourmande en eau – une vache en lactation consomme 100 litres d’eau par jour –provoquerait un stress hydrique insupportable. Certains ont déjà élaboré de nouveaux modèles de consommation plus frugaux.

L’agriculture est coutumière des aléas naturels, des désordres économiques, risques sanitaires et nous en passons. A ces fragilités, viennent s’ajouter des défis démographiques et sociologiques.. L’irruption du numérique apporte un espoir d’ordre et de rationalité et de réduction des incertitudes. Ses enjeux dépassent les seuls agriculteurs, ils sont devenus ceux de tous les citoyens.

Et l’agriculture devint intelligente

La digitalisation a bousculé l’agriculture comme elle l’a fait pour toutes les activités économiques. Son irruption dans les champs est moins brutale parce que, s’il est une activité plus attachée à la tradition – et pour de bonnes raisons que nous aimons tous – c’est bien l’agriculture. La rencontre est prometteuse.

On voudra bien se souvenir comment la « révolution verte », pendant les années 60-90 sauva des milliards d’êtres humains de la famine grâce à la combinaison de variétés résistantes, à l’utilisation massive de fertilisants chimiques et à l’irrigation. Le prix à payer fut certes élevé : pollution, eutrophisation et perte de biodiversité.
C’est donc contre les ravages de cette première révolution qu’est née la notion d’une agriculture durable inspirée de l’agroécologie, c’est-à-dire de pratiques écologiques appliquées à l’agriculture. Les concepts font d’ailleurs florès : écoagriculture, agriculture raisonnée… L’objectif est partout le même: la révolution verte moins ses effets dévastateurs.

Il est un concept qui aura la vie plus longue : celui d’agriculture de précision. Cette technique est née quand s’est posée la question de savoir s’il était possible de moduler le traitement de parcelles voisines en fonction de la nature de leur sol et de leur culture et d’y adapter , semences, fertilisants, quantité d’eau, pesticides…Ce traitement «sur mesure » peut diaboliquement varier d’un mètre carré à l’autre grâce aux capteurs terrestres ou embarqués (sur des tracteurs). Les drones complétaient le travail par leur capacité à dénicher des poches d’animaux nuisibles. Les stations météo terrestres fournissaient de précieuses indications sur l’hygrométrie. La robotisation des matériels a emboîté le pas à la mesure et au traitement des données.

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