Comprendre les enjeux de l'agriculture
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On le sait, l’insuffisance d’infrastructures handicape lourdement l’agriculture africaine. Outre les routes, les entrepôts de stockage ou les réseaux de télécommunication, l’absence d’un réseau électrique fiable obère lourdement les activités agricoles. En l’absence de réseaux électriques centralisés, l’Afrique a inventé, avec l’aide internationale, les projets électriques hors réseaux décentralisés qui peuvent desservir une famille, un village ou une région. Comme dans bien d’autres domaines, dont les multiples usages du téléphone portable, l’Afrique fait preuve de beaucoup d’imagination en matière énergétique. Pierre Jacquemot recense dans ce dossier bien documenté les différentes solutions techniques off grid, les modèles d’organisation et de gestion de ces mini-réseaux. Pierre Jacquemot est prudent quant à l’efficacité de réseaux décentralisés, mais n’en estime pas moins, à l’instar de l’Agence internationale de l’énergie, qu’en 2040, 530 millions d’Africains n’auront d’autre choix que de recourir à l’électricité hors-réseau. Ne serait-ce que pour satisfaire les besoins les plus élémentaires en matière d’éclairage domestique, de fonctionnement des réfrigérateurs ou d’irrigation.

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Un chiffre donne la mesure du défi énergétique africain: l’Ethiopie qui compte 94 millions d’habitants consomme un tiers de l’électricité utilisée à Washington qui compte 600 000 habitants. Dans tout le continent, le chalenge est considérable : 640 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Mais les réponses s’organisent, avec une forte dose d’innovations et sur des bases décentralisées. Selon les estimations de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), environ 100 millions de personnes en Afrique, ont déjà accès à l’électricité grâce à des modes de production d’énergie décentralisés. Partout de nouveaux projets hors-réseaux (off-grid) voient le jour. Des dispositifs techniques adaptés sont mis en œuvre par des entreprises, des coopératives et des groupements, des collectivités locales, des agences d’électrification rurale et des ONG. La question centrale est aujourd’hui de savoir si les systèmes décentralisés contribuent effectivement à la solution pour les populations rurales du « trilemme  énergétique » : comment garantir une énergie à la fois accessible, de qualité et à un prix abordable.

Les dispositifs très divers qui se déploient appartiennent à diverses familles de solutions selon leur taille et les besoins à satisfaire: pico, micro et mini. Font-ils système et  pourraient ils se multiplier à grande échelle? Pour répondre il faut interroger le terrain. Les retours d’expériences sont riches d’enseignements sur la place et sur l’efficacité des modèles d’organisation dans le temps et dans l’espace, sur les rôles respectifs des acteurs et les modes de régulation. Ils donnent d’utiles leçons, sur la tarification à mettre en œuvre et sur les mécanismes de financements, et, bien que tous ne soient pas encore suffisamment documentés, ils apportent des premières indications sur l’envergure de leur contribution à la transformation des sociétés rurales.

1. Des options techniques de plus en plus diversifiées

Les technologies disponibles en matière d’électrification décentralisée appartiennent à trois familles situées aux  premiers niveaux de l’échelle de l’électrification. Les pico-dispositifs isolés, limités à l’approvisionnement d’un ménage ou d’une petite entité collective,  sont situés au premier échelon, pour des usages simples, de l’éclairage domestique à l’alimentation d’une école ou d’un centre de santé. Les micro-réseaux,  sous la forme de kiosques ou de plateformes énergétiques de taille modeste, offrent divers services domestiques et publics à l’équivalent d’une communauté villageoise. Enfin, les mini-réseaux composés d’un générateur central et d’un système de distribution en réseau, fonctionnent également en toute autonomie et peuvent répondre à des demandes de puissance relativement élevées à des fins sociales et économiques. Nombre de projets  – environ un quart parmi ceux recensés – font appel à au moins deux familles de solutions et combinent sous une forme hybride deux ou plusieurs sources d’énergie (thermique, solaire, éolien, hydraulique, biomasse).

La rapide diffusion des pico-technologies

Le terme de kit pico-photovoltaïque est utilisé pour désigner des systèmes solaires portatifs fournissant un éclairage (lampe solaire en dessous de 5W) ou mieux des fonctions élargies à l’échelle d’un ménage pour des appareils électriques de petite taille, avec une capacité allant de 6 à 200W. L’équipement complet d’un ménage revient  entre 100 et 1000 dollars, avec le plus souvent un panneau photovoltaïque, une batterie, une ou plusieurs lampes et éventuellement un régulateur.

Crédit photo : Velux

On trouve des pico-dispositifs (appelés aussi standalone off-grid systems)  dans plus de 25 pays d’Afrique, majoritairement au Kenya, en Tanzanie et en Ethiopie où ils touchent 15 à 20% des ruraux, avec le plus souvent un système de paiement payas-you-go que nous étudierons plus loin. Ainsi, Devergy créé en 2010 opère en zone rurale en Tanzanie auprès de 120 000 ménages. PowerGen, fondé au Kenya en 2011, a installé des centaines de dispositifs à partir d’énergie renouvelable dans 7 pays avec des méthodes innovantes (smart metering, pay-as-you-go, distributed storage, interconnections). GDF Suez Rassembleurs d’Energies, Schneider Electric et Orange France Telecom se sont quant à eux engagés financièrement auprès de la société Fenix Intl, installée en Afrique de l’Est et dans la Silicon Valley, qui commercialise avec l’opérateur MTN mobile des solutions individuelles d’électrification à plus de 100 000 clients (et six fois plus de bénéficiaires) en Ouganda.

La formule touche progressivement l’Afrique de l’Ouest. Autour d’une société commune, ZECI, en Côte d’Ivoire, Off Grid Electric, une entreprise américaine, et EDF ont engagé un partenariat pour la fourniture de kits individuels comprenant des panneaux solaires adossés à des batteries payables par simple utilisation d’un téléphone portable, avec pour projet d’alimenter près de 2 millions de personnes à l’horizon 2020. Un autre projet significatif est porté au Burkina Faso par la Fondation Energies pour le monde (Fondem), en partenariat financier avec les Caisses Populaires de la zone et un fournisseur-installateur local. Egalement créée avec la même fondation française, Energie du Ciel en Guinée produit et vend des kits solaires avec une particularité : leurs régulateurs électroniques sont composés de matériaux recyclés.

Dans les bourgs ruraux, la vente se fait souvent en boutique ou sur les marchés. Mais les solutions les plus pertinentes et durables sont sans aucun doute celles qui intègrent l’écosystème local dans la chaîne de distribution. Il peut s’agir d’associations et d’institutions de microfinance déjà implantés, de coopératives rurales, de petits commerçants itinérants, etc. Le projet Nafa Naana d’Entrepreneurs du Monde au Burkina Faso s’appuie sur un réseau de revendeurs franchisés et sur des partenariats avec des associations, des groupements de femmes, etc. Un autre exemple innovant est donné par Bboxx, une entreprise britannique qui en Ouganda fabrique et distribue des kits solaires de 250 W, avec Great Lakes Coffee, une coopérative de producteurs de café représentée sur tout le territoire et dont les membres se transforment ainsi en revendeurs de kits solaires. Le groupe Total possède de ce point de vue un avantage avec son propre réseau de distribution, le plus important en Afrique : ses stations services permettent de rayonner sur un large territoire.

D’aucuns parlent de « révolution » comme les rapports de Lighting Africa et d’Hystra qui mettent en évidence l’extraordinaire succès des pico-dispositifs : ainsi de 2009 à 2016, la vente de lanternes solaires a-t-elle été multipliée par 200 en Afrique. L’expansion de ce secteur s’explique par plusieurs raisons. Le montage des équipements peut se faire localement.

A Dédougou au Burkina Faso est fabriquée une lampe solaire, Lagazel K1500. L’entreprise a lancé une ligne de production « hors sol » répartie dans trois conteneurs en tôle et permettant de fabriquer 200 000 lampes par an. Son objectif d’ici à 2020  est de créer dix ateliers et vendre 1,3 million de lampes solaires. L’équipement simple répond aux primo besoins d’électricité des ruraux (éclairage, charge téléphone, radio, TV). Il peut servir à l’alimentation de très petits équipements en substitution au diesel. Les solutions sont évolutives ce qui permet aux ménages d’investir au fur et à mesure, en fonction de leurs ressources disponibles, lesquelles sont le plus souvent variables dans le temps. Par ailleurs, les ménages peuvent s’équiper très vite, du jour au lendemain, sans attendre le développement d’une formule collective, toujours longue et complexe à mettre en place.

La qualité de l’équipement est-il un critère décisif de choix  pour les pauvres ? Assurément l’option low cost ou « basique » séduit majoritairement les utilisateurs au faible pouvoir d’achat. Sur des marchés fortement tirés par la demande, des garanties sur la qualité et la durée de vie des équipements ne sont pas toujours considérées au premier abord comme essentielles, même si, avec le temps les comportements évoluent vers plus d’exigences dans un marché de « bouche à oreille ». L’initiative « Lighting Global » menée par la Banque Mondiale pour favoriser le développement d’un marché de solutions d’éclairage propre off-grid en Afrique, a défini depuis 2009 des standards stricts de qualité (puissance d’éclairage, durée d’éclairage, durée de vie de la batterie, qualité de l’assemblage, solidité).

 

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