Comprendre les enjeux de l'agriculture

La société de services décentralisés (SSD)

Ce troisième modèle tend à se développer comme en Mauritanie par exemple où il est institutionnalisé depuis 2001. Certains pays comptaient déjà en 2017 un nombre significatif d’entreprises d’une certaine taille : 15 en Ethiopie, 36 en Tanzanie et 42 Kenya. Il se retrouve aussi en Afrique du Sud, au Maroc, au Botswana et au Sénégal, avec des partenaires internationaux. Les SSD offrent d’une part des services marchands (téléphonie, séance de TV-DVD, location de kits photovoltaïques pour divers usages) et d’autre part des services non marchands d’intérêt général dans des locaux communautaires (centre de santé, école, salle de réunion) et un éclairage public des rues du village. La gestion du site est assurée par une SSD de droit local sur un territoire défini qu’elle reçoit en concession pour une durée de 10 à 15 ans renouvelables. Elle doit desservir au moins 10 000 clients, soit environ 60 à 150 000 personnes selon la taille et la structure des cellules familiales au sein des zones concernées. Les SSD, sur le modèle des partenariats public-privé, agissent donc pour le compte de la puissance publique dans un cadre réglementaire explicite (concession d’électrification, cahier des charges, tarification régulée, etc.) nécessitant la mise en place préalable d’un cadre institutionnel adapté. Ce modèle est de plus en plus privilégié par les promoteurs internationaux.

Comment s’organise la participation des usagers ?

Dans chacun des trois modèles d’organisation précédents, la position occupée par les usagers-bénéficiaires est la clé de son efficacité et de sa pérennité. En l’absence d’appropriation réelle du projet par la communauté ou par ses représentants, les installations ne sont pas entretenues et deviennent rapidement non fonctionnelles. La durabilité du projet est dans ce cas ouvertement compromise et les équipements entreront bientôt dans le « cimetière de l’aide », déjà bien occupé. La participation est la condition absolue pour se rapprocher d’une approche de type Communs et pour en extraire tous les avantages. Dans le meilleur des cas, les usagers comprennent l’importance des modalités de gestion du site et le détail des coûts qui justifient la tarification (salaire, amortissement, maintenance). Ils peuvent émettre des suggestions pour une éventuelle adaptation du dispositif retenu. Ils sont informés des performances du service et sollicités sur les décisions importantes dans un souci de redevabilité et, dans le meilleur des cas, de démocratie locale. Pour autant, point d’angélisme, l’adhésion dans un village n’est jamais totale. Si le constat des avantages de l’électrification peut attirer dans un second temps des villageois au départ rétifs, le nombre d’abonnés à un mini-réseau reste souvent limité, inférieur à celui souhaité. A Madagascar, on l’estime en moyenne à seulement 70 abonnés pour une commune de 300 à 400 ménages (selon Fondations Energies pour le Monde, Electrification rurale décentralisée dans le Sud de Madagascar, retour d’expérience du projet Resouth, sans date).

Parmi les usagers, certains réclament d’être davantage impliqués que d’autres. Le  projet HERi à Madagascar sollicite par voie d’affichage de posters la candidature de femmes pour la gestion des kiosques. Electriciens Sans Frontières, dans la région de Matam et Kanel au Sénégal et à Lalgaye au Burkina Faso, identifie clairement le collectif des femmes des villages comme l’acteur incontournable pour l’efficience du projet et l’associe tout au long des décisions. Les femmes sont interrogées pour apprécier les besoins réels. Leur expérience de vente dans les marchés leur confère des qualités relationnelles et commerciales recherchées. Elles sont formées à la maintenance des installations et sensibilisées aux risques électriques. Enfin, une représentante du collectif est associée au comité de gestion, en charge de la bonne utilisation et de l’entretien des installations électriques.

Des systèmes de régulation parfois peu performants

La plupart des décisions de régulation relatives aux petits opérateurs d’énergie et aux sociétés de services décentralisés relèvent d’une entité nationale de régulation autonome. Des Agences d’électrification rurale (ADER) existent à présent dans une vingtaine de pays d’Afrique subsaharienne. Elles ont été créées dans le but de voir des organismes de régulation autonomes et indépendants prendre des décisions, techniquement mieux fondées et moins politisées qu’un ministère. Dans la plupart des cas, la législation prévoit que les ADER ont pour mission de maximiser le nombre de nouveaux ménages bénéficiant de l’électricité. Les ADER agissent comme des « quasi régulateurs », car elles doivent établir un équilibre entre la viabilité commerciale et l’accessibilité tarifaire des services qui seront fournis par les POE et aux SSD postulant à l’attribution de subventions.

Trois types de décisions régulatrices les concernent :

  • des décisions de nature technique (normes de tension, fréquence, gestion de la courbe de charge, qualité de l’électricité, normes de sécurité des systèmes de distribution),
  • des décisions de nature commerciale et économique (principalement le prix que l’opérateur est autorisé à facturer),
  • et des décisions relatives au processus de mise en œuvre (modalités de consultation des parties prenantes, délai dans lequel l’opérateur doit répondre à une demande de connexion).

De ces trois types de décisions, celles techniques et économiques sont les plus sensibles parce qu’elles ont un impact évident sur les usagers. La conformité aux règles à visée régulatrice est coûteuse, en temps et en argent. Les régulateurs doivent être particulièrement vigilants à l’égard des coûts de la régulation pour les POE et les SSD, car un grand nombre d’entre eux sont à la limite de la viabilité commerciale. Quand les tarifs reflétant les coûts ne sont pas autorisés parce que les tarifs de l’opérateur sont plafonnés à un niveau inférieur (en raison de pressions politiques ou d’une obligation légale de tarif national uniforme), la viabilité commerciale de l’opérateur ne sera pas assurée et il disparaîtra rapidement, à moins de subventionner la production d’électricité par une autre source de revenus.

 

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