Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le changement climatique, les modes de consommation, les nouvelles sources alimentaires, l’agriculture urbaine ou les biotechnologies : autant d’éléments à prendre en compte dans les futures stratégies de refonte des systèmes alimentaires. L’objectif des États est de satisfaire les ODD – Objectifs de Développement Durable –, notamment ceux portant sur la garantie d’un accès à une nourriture saine et suffisante pour l’ensemble de la population mondiale. Pour l’atteindre, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture –  a défini quatre piliers : la production, la nutrition, l’environnement et la qualité de vie. L’agroalimentaire devra se réinventer, être capable d’appréhender les tendances ou les risques et faire preuve de résilience.

Le rapport de la FAO Thinking about the future of food safety [1], a foresight report présente les leviers et opportunités à prendre en compte dans les prochaines politiques de sécurité alimentaire. Sans être exhaustive, cette publication décrit les domaines émergents et leurs effets potentiels sur la sécurité alimentaire. Il reste moins de dix ans pour réaliser l’Agenda 2030 et transformer le système alimentaire pour lui permettre de produire et distribuer assez de denrées pour nourrir les 9,7 milliards d’habitants à l’horizon 2050.

Le changement climatique

L’activité humaine a modifié l’atmosphère, les océans, la faune et la flore. Les événements climatiques sont désormais à plus grande échelle et difficilement réversibles du fait de leur intensité. Élévation du niveau des océans, fonte des glaciers, vagues de chaleur, sécheresses, incendies, ouragans et inondations… les effets du réchauffement climatique impactent 80% des terres et 85% de la population mondiale (Callaghan et al., 2021[2]).

La réduction de ces effets passe par l’adoption d’une activité moins émettrice de GES – gaz à effet de serre. En 2021, une centaine de pays participant à la conférence UN Climate Change s’est engagée à réduire les émissions de méthane, un gaz qui libère plus de chaleur dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone.

Sur le plan de la sécurité alimentaire, tous les maillons de la chaîne sont impactés : la production, le rendement agricole et l’approvisionnement, conséquences : les sols s’appauvrissent, les océans s’acidifient, la composition des denrées se modifie et notre santé est susceptible d’être impactée. Le système alimentaire mondial s’appuie sur des flux internationaux qui s’accélèrent et diffusent plus rapidement le risque, à l’image de la pandémie de Covid 19.

Une autre façon de consommer

Les consommateurs qui le peuvent prennent en compte des critères environnementaux ou nutritionnels dans leurs achats : ils sont sensibles à la cause animale, au transport et au gaspillage. L’industrie alimentaire répond par un étiquetage complémentaire qui fait la promotion des circuits vertueux (approvisionnement responsable), de la qualité nutritionnelle ou qui souligne sa faible empreinte carbone.

Le végétal a la préférence des consommateurs depuis quelques années, au point que les industriels innovent dans des alternatives à la viande ou au lait. De nouvelles denrées entrent aussi dans l’offre, comme les algues ou les insectes. Les consommateurs au pouvoir d’achat élevé cherchent une offre nutritionnelle personnalisée. Les industriels exploitent la data, la technologie et les connaissances nutritionnelles pour proposer des denrées selon un régime particulier. La nutrigénomique permet par exemple d’indiquer aux consommateurs les denrées à privilégier en fonction des profils génétiques ou de considérations de santé (obésité, diabète, cancer…) ou du mode de vie. L’augmentation des coûts des soins et les préoccupations liées à santé favorise la reconnaissance de l’alimentation comme vecteur de santé et de bien-être.

Nouvelles denrées et nouvelles productions

En 2009, la FAO a estimé qu’il fallait augmenter la production mondiale de 70% pour répondre aux besoins d’une population estimée à 9,7 milliards d’individus en 2050. Le défi réside dans la nécessité de gagner en productivité en limitant l’impact environnemental du secteur agroalimentaire. Celui-ci génère actuellement 34% des émissions des GES et consomme une partie importante des ressources naturelles. Il faudra également composer avec le changement climatique qui modifie déjà les rythmes de croissance et la qualité des denrées. Les études montrent que ce changement climatique impacte prioritairement les pays confrontés à une forte insécurité alimentaire.

Les insectes, comestibles mais à risques

La consommation d’insectes n’est pas nouvelle mais elle relevait de traditions gastronomiques locales sans faire l’objet de filières industrialisées. Les industriels proposent aujourd’hui de les utiliser comme un ingrédient privilégié dans la fabrication de produits transformés. Bien que source de protéine, de fibres, de vitamines et de minéraux, l’insecte comestible n’a pas bonne presse auprès des consommateurs occidentaux. Pour les communautés rurales consommatrices, l’insecte est une ressource gratuite et accessible récoltée dans la nature. Pour les industriels, l’insecte est une protéine d’élevage plutôt destinée aux chaînes de transformation. Ils disposent de peu de données sur les cycles de vie des insectes et elles concernent seulement quelques espèces. Les arguments avancés pour l’élevage d’insectes sont l’économie en termes de surfaces et de ressources, ainsi que la faible émission de GES engendrée par l’activité. Parmi les espèces commercialisables on retrouve les mouches « soldat » noires, les vers de farine jaunes, les grillons et les sauterelles. Ces insectes comestibles présentent toutefois des risques qui ont été décrits dans le rapport Edible Insect. Ces risques proviennent des maladies transportées par l’insecte lui-même, de l’alimentation qui lui est fournie pour sa croissance et des pratiques d’élevage, de stockage et de transport. Comme pour les variétés de plantes cultivées, une espèce unique concentrée en un même lieu facilite la propagation des maladies.

Les méduses, une consommation régulatrice

On trouve ces invertébrés marins en grande quantité dans les océans quelles que soient la température et la profondeur. Sans preuve scientifique, il semble que la population de méduses augmente avec les années, voire apparaît pour la première fois dans certains espaces marins. Le réchauffement climatique et l’acidification pourraient expliquer leur expansion, dans ces zones impactées, le plancton augmente et les prédateurs comme la tortue ou le thon disparaissent. Les aménagements côtiers constituent aussi de nouveaux habitats : plateformes pétrolières, digues, éoliennes, etc. Par endroit, les méduses nuisent aux activités humaines, elles obstruent les filets des pêcheurs, perturbent les élevages de poissons, bloquent les canalisations des centrales électriques ou des usines de dessalement.

La création d’une filière consommable pourrait résoudre la pénurie alimentaire, mais aussi limiter les effets néfastes de ces populations sur la faune marine. Les méduses sont déjà consommées en Asie (Japon, Malaisie, Corée du Sud et Thaïlande) pour leur valeur nutritionnelle, elles sont riches en protéines et minéraux, et pauvres en glucides et lipides. Certaines espèces s’avèrent toxiques pour l’homme.

D’une manière plus générale la consommation de méduses est possible pour l’homme avec toutefois des risques microbiologiques et chimiques. Le premier risque est lié à leur fragilité de stockage en dehors de leur habitat, sinon elles ne présentent pas un risque pathogène. Des travaux (Bleve et al. 2019[3]) ont pu démontrer exceptionnellement la présence de staphylocoques sur un groupe de méduses collectées dans un environnement spécifique.

Le deuxième risque est chimique, il est induit par l’accumulation de polluants dans l’écosystème marin. Les méduses absorbent et retiennent divers types de polluants : métaux lourds, toxicités algales, allergènes. Des études démontrent que les personnes allergiques aux crustacés peuvent consommer des méduses, en revanche, les personnes ayant été piquées par une méduse peuvent présenter une réaction allergique.

Les substituts végétaux sans perdre les saveurs

Par croyance religieuse, préoccupation environnementale ou action envers la protection animale, une partie de la population oriente son alimentation vers un régime spécifique. Le nombre de consommateurs exclusifs de fruits, légumes, graines et légumineuses s’accroît mais les consommateurs recherchent toujours les saveurs et les textures nouvelles. Les ventes de substituts à base de plantes (viandes et boissons) devraient représenter $162 milliards d’ici 2030 alors qu’elles représentaient $29,4 milliards en 2020.

Les dangers de cette source alimentaire sont avant tout microbiologiques avec un risque de contamination dû aux agents pathogènes contenus dans les plantes : bactéries, micro-organismes, virus. Les protéines végétales ne supportent pas les températures que subissent les produits d’origine animale pour garantir leur innocuité, leur goût s’en trouve altéré. Il existe aussi un risque chimique, les mycotoxines sont présentes dans les produits de base tels que les céréales, noix, légumineuses qui entrent dans la fabrication des substituts. Par ailleurs, des études ont relevé la présence de phytoœstrogènes (isoflavones, lignane, coumestan) que l’on peut retrouver dans les produits finis et qui affectent le système endocrinien (Thompson et al., 2006[4]).

Les algues marines, nutritionnelles et durables

Brunes, rouges ou vertes, les algues sont déjà utilisées à des fins nutritionnelles mais aussi dans les secteurs cosmétiques et pharmaceutiques. Leurs bienfaits sur la santé et leur polyvalence leur assurent une place dans les nouvelles propositions alimentaires. Elles contiennent des minéraux, des vitamines, des fibres, des protéines ainsi que des omega-3 à longue chaîne.

Bien connues en Asie pour leurs propriétés anti-inflammatoires, probiotiques et antioxydantes, elles sont par exemple utilisées comme vermifuge ou pour compenser les carences en iode. Les algues marines constituent un ingrédient intéressant pour l’alimentation des ruminants et réduisent les émissions de méthane. Elles ont une croissance rapide, ne nécessitent pas d’engrais et n’occupent pas de surfaces agricoles. Elles répondent largement aux attentes décrites dans les objectifs de développement durable (ODD).

Le risque microbiologique est présent dans la mesure où les algues sont consommables crues ou qu’elles restent sensibles au processus de transformation. Lorsqu’elles sont cultivées en fermes aquacoles, une attention particulière doit être portée à l’environnement immédiat : sources polluantes, animaux sauvages… Elles forment aussi des réservoirs à métaux lourds qui proviennent des activités minières ou de pétrochimie. Comme les plantes terrestres, elles peuvent accumuler des toxines d’origine marine.

Les cellules de culture, des risques encore inconnus

Entre la volonté de réduire la production de viande et une demande qui croît, il y a une opportunité pour la production cellulaire. Elle permettrait de cultiver des cellules animales sans élevage, sans abattage et sans gaspillage.

Via la culture in vitro, il est possible de multiplier des cellules animales et de les transformer selon les besoins. Seules les parties intéressantes de l’animal seraient développées.

L’innovation comporte son lot de risques et de résistances de la part des consommateurs.

Les cellules sont issues d’un animal vivant ou abattu, il existe des risques de :

  • Zoonoses qui s’estompent lorsque les scientifiques ont recours à des cellules-souches ;
  • Traces d’antibiotiques.

Le sérum de bovin est le composant le plus courant du milieu de croissance mais il augmente le risque de contamination. Des formulations alternatives sont développées.

Les architectures support de croissance des cellules sont des biomatériaux comme la chitine ou le chitosane qui peuvent provoquer des allergies chez les personnes intolérantes aux crustacés et fruits de mers.

La multiplication cellulaire présente en elle-même des risques de mutation génétique et les cellules obtenues doivent être stabilisées dans une solution cryoprotectrice telle que le sorbitol.

 

Conclusion

Chaque nouvel aliment, ou composant alimentaire, présente un risque particulier, lié à ses caractéristiques intrinsèques, à son environnement ou à la façon dont il est exploité.

Demain, sa production ne se fera plus exclusivement en zone rurale mais dans les espaces urbains. L’agriculture urbaine doit trouver un modèle d’exploitation qui préserve les cultures des pollutions, permet une exploitation en espace contraint et présente un bilan économique viable.

L’Afrique et l’Asie sont les deux continents qui vont connaître la plus forte urbanisation dans les années à venir. Les systèmes alimentaires urbains auront un rôle important à jouer dans la stratégie de sécurisation alimentaire. La proximité de production est une première garantie.

Les fermes urbaines redonnent vie à des espaces désaffectés et limitent les émissions de GES dues au transport. Elles recréent une vie économique et sociale, participent à l’éducation alimentaire et offrent aux habitants des espaces verts rafraîchissants.

Source : FAO

 

 

[1] Thinking about the future of food safety A foresight report: https://www.fao.org/3/cb8667en/cb8667en.pdf

[2] Callaghan, M., Schleussner, C., Nath, S., Lejeune, Q., Knutson, T.R., Reichstein, M., Hansen, G. et al. 2021. Machine-learning-based evidence and attribution mapping of 100,000 climate impact studies. Nature Climate Change, 11(11): 966–972. (Article cite dans le rapport de la FAO cité ci-dessus)

[3] Bleve, G., Ramires, F.A., Gallo, A. & Leone, A. 2019. Identification of safety and quality parameters for

preparation of jellyfish based novel food products. Foods, 8: 263. (Article cite dans le rapport de la FAO cité ci-dessus)

[4] Thompson, L.U., Boucher, B.A., Liu, Z., Cotterchio, M.& Kreiger, N. 2006. Phytoestrogen content of foods

consumed in Canada, including isoflavones, lignans, and coumestan. Nutrition and Cancer, 54(2): 184–201.

doi: 10.1207/s15327914nc5402_5