Depuis août 2018, l’épidémie de la peste porcine africaine sévit durement dans les pays d’Asie. Bien qu’inoffensive pour l’homme, cette maladie virale emporte plus de troupeaux que n’importe quelle autre et représente un manque à gagner important pour la filière porcine. Alors que la Chine prévoit un fléchissement de 50 % de son volume de production, laissant craindre des ruptures d’approvisionnement et une accentuation de l’insécurité alimentaire à l’échelle mondiale, l’étude génotypique du virus focalise l’attention de la recherche.
L’Asie a perdu 10% de son cheptel porcin en un an
La peste porcine africaine (PPA) se trahit par des symptômes dévastateurs. Auparavant confinée en Afrique subsaharienne, cette maladie virale hautement contagieuse s’est répandue depuis peu en Europe orientale et en Asie. La Chine est la première victime, avec plus de 1,2 million de porcs morts ou abattus volontairement dans un but préventif. Pas moins de 126 exploitations familiales réparties dans 32 provinces chinoises ont été touchées. Des cas de peste porcine ont été également signalés dans les porcheries du Laos, du Viêtnam, de la Mongolie, de la Corée du Nord et du Cambodge. Plus inquiétante est la vitesse de propagation de l’épidémie. D’après le bilan de la FAO, 5 millions de porcs ont, d’ores et déjà, disparu des fermes d’Asie, depuis l’introduction de la PPA en août 2018. Ce chiffre équivaut à 10 % de la population porcine du continent.
La France n’est pas à l’abri
Inoffensif chez l’homme, le virus a un comportement infectieux, virulent et extrêmement meurtrier sur l’espèce porcine. Aux dires du Pr Helen Roberts, du ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales, ce dernier a une résistance phénoménale. « Il survit des mois aux températures glaciales, et il est capable de survivre à des mois, voire des années de séjour dans les viandes surgelées. Parce que les sangliers sauvages, aussi bien que les porcs domestiques, peuvent le transmettre, contenir le parasite n’est pas facile », estima la conseillère politique du G7 pour le contrôle des maladies exotiques. Traversant des milliers de kilomètres de distance, grâce à l’exportation, à la migration des sangliers et aux passagers d’avion qui transportent clandestinement des produits dérivés du porc dans leurs bagages, le virus attend patiemment le moment propice pour s’introduire dans un animal vivant et faire son œuvre.
Le ministre français de l’Agriculture ne cache pas son inquiétude, en jugeant que « cette guerre n’est pas gagnée ». En dépit des mesures de biosécurité, l’homme ne peut pas prétendre surveiller tous les sangliers qui bougent. Le virus survit dans les parcelles de forêt contaminées. L’occasion de trouver un vecteur potentiel, et le tour est joué ! Prudent, le ministre exhorte les producteurs à « ne pas baisser la garde », tout en sachant que la maladie arrivera inéluctablement aux portes de la France. Comme aucun vaccin ni traitement curatif n’est disponible pour l’heure, l’abattage immédiat de l’intégralité du troupeau est le seul moyen pour enrayer la contamination.
La Chine perd son statut de leader de l’industrie porcine
A l’heure actuelle, la communauté internationale a les yeux rivés sur la Chine, pour qui la peste porcine a été une véritable catastrophe. Avant l’épidémie, l’Empire du Milieu était le numéro un de l’industrie porcine. Il se classe au premier rang des pays producteurs de porc, devant les États-Unis, le Brésil, l’Union européenne et le Canada. En outre, la moitié du cheptel porcin de la planète est chinoise. La FAO affirme dans un communiqué qu’un peu moins d’un tiers de la population porcine de la Chine (200 millions) disparaîtra d’ici la fin de l’année 2020, soit un nombre sensiblement égal au cheptel de l’Europe. Comment rétablir la stabilité des échanges mondiaux de protéines, et plus largement des denrées animales, là est la question.
La fin du monopole chinois va instituer une nouvelle ère dans le commerce international de la viande. Pour répondre à la demande de sa population, la Chine a relevé ses quotas d’importation en provenance de l’Europe d’environ 30 %. Un Chinois au revenu moyen consomme autour de 30 kg de viande de porc par an. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne se taillent la part du lion de ce vaste marché. La Belgique se trouve hors course, dans la mesure où un test de contrôle a révélé 700 sangliers porteurs du virus de la PPA. Autres privilégiés : les éleveurs du Brésil, du Canada et d’Australie sourient sans doute à cette opportunité ; l’Amérique et l’Océanie étant déclarés indemnes. Les États-Unis sont, quant à eux, moins enthousiastes : le troisième exportateur mondial de porc est soumis à une taxe douanière de 62 %, due à son bras de fer commercial avec Pékin.
Les économistes s’attendent à de nouveaux modèles de consommation dans les prochaines années. Que les consommateurs chinois deviennent désormais plus friands de bœuf et de volaille, cela ne saurait tarder. Les poissons, les fruits de mer et les légumineuses pourraient compenser la baisse de la consommation de porc. Pour preuve, l’année 2019 a vu les importations chinoises de poulets bondir de 70 %.
Un coup de grâce pour les petits exploitants familiaux
Dans la société paysanne, le porc est un instrument d’épargne et n’est abattu que durant les fêtes et les occasions exceptionnelles. De solides études menées dans les communautés rurales pauvres d’Afrique et d’Asie ont établi le lien entre la pratique du petit élevage et la nutrition familiale. L’élevage de porc comble les trous de trésorerie, supprime les risques dramatiques d’une mauvaise récolte et finance les grosses dépenses liées à la campagne vivrière. Sous l’effet de la peste porcine, les petits producteurs chinois, vietnamiens et birmans perdent leur argent, mais plus grave encore, ils perdent leur assurance survie.
« Certains agriculteurs ont perdu tout leur troupeau de porcs à cause de la maladie, confie Lubroth, un chef vétérinaire de la FAO, et il faudra peut-être des années à des pays gravement touchés pour se remettre des effets socio-économiques de l’épidémie ». À la différence de l’élevage industriel, les porcs de basse-cour sont nourris avec des restes d’aliments ; la désinfection du vêtement, des chaussures ou des outils est négligée ; la frontière entre les porcs domestiques et les sangliers en liberté dans la nature n’est pas très nette. Autant de portes d’entrée pour le parasite.
L’épidémie de PPA aura donc des impacts négatifs sur la comptabilité des éleveurs, mais nous éloigne un peu plus de l’horizon « faim zéro » et de la réduction de la pauvreté.
Les résultats encourageants d’une recherche chinoise
Tandis que la nouvelle donne de la demande mondiale en protéines retient l’attention des autorités agricoles, la science s’intéresse à la lecture génotypique du virus. Des chercheurs de l’Institut de biophysique de l’Académie chinoise des Sciences, en collaboration avec l’Institut de recherche vétérinaire de Harbin, ont réussi cet exploit. Ils ont isolé la souche du virus de la PPA au bout de 4 mois de collecte de données :
- le virus est un ADN à double brin,
- il présente une architecture nucléique très élaborée (le génome est contenu dans une enveloppe centrale, elle-même protégée par une membrane interne à double couche, une capside et une membrane externe),
- il a une taille remarquable (10 fois plus grand que le virus de l’hépatite A),
- et, il regroupe plus de 30 000 sous-unités de protéines.
Le résultat est sans appel : le parasite tire son pouvoir infectieux de sa structure. Il fait intervenir des processus chimiques complexes entre les acides aminés pour vaincre le système immunitaire de l’hôte. Selon Rao Zihe, l’un des directeurs de la recherche, « les connaissances scientifiques sur la peste porcine africaine étaient quasiment nulles en comparaison des autres virus. Le décodage de la structure du virus constitue la première étape importante dans le long parcours pour s’attaquer à cette maladie », déclara-t-il. En effet, l’étude révèle la présence d’antigènes protecteurs susceptibles d’être exploités à des fins médicales pour la production d’anticorps. Des recherches approfondies attendent encore d’être conduites pour comprendre la relation hôte-parasite, élaborer un vaccin efficace.
John Mah’rav