L’inflation, les droits de douane et les barrières non tarifaires régiront des échanges commerciaux plus difficiles entre l’Union européenne à Vingt-sept et la Grande Bretagne. Mal approvisionnés, les Britanniques redoutent au moins autant les pénuries alimentaires que les agriculteurs des Vingt-sept, les excédents agricoles, faute de débouchés Outre-Manche.
« Soft ou hard, la sortie du Royaume Unie de l’Union européenne occasionnerait des pertes pour les deux protagonistes, tant sous l’angle de la croissance du produit intérieur brut, de l’emploi que des échanges commerciaux. Membre de l‘Union européenne depuis 46 ans, le Royaume uni retrouve donc son autonomie de décision, encourant à la fois des risques et des coûts économiques incalculables, mais l’expérience historique l’a prouvé, pouvant reconfigurer ses propres politiques publiques et sa stratégie économique », écrivent Quentin Mathieu et Thierry Pouch (1) .
La Grande-Bretagne ne pourvoit qu’à 50% de ses besoins agricoles
En attendant, le choc pourrait être rude. La production agricole du Royaume Uni ne pourvoit qu’à la moitié de l’approvisionnement du marché intérieur. Le taux d’autosuffisance n’excède pas 60 % pour la viande de volaille, 55 % pour la viande porcine, 50 % pour l’alimentation animale et 40 % pour les pommes de terre réfrigérées ou transformées.
La Grande Bretagne importe massivement des biens alimentaires. Plus de 60 % d’entre eux étaient expédiés de l’Union européenne à Vingt-sept en 2017 ! Sans accord commercial sur les échanges et les droits de douane, l’Union européenne à vingt-sept membres sera commercialement assimilée à un pays tiers.
Le blé français et communautaire serait alors moins compétitif que celui produit sur les iles britanniques ou même importé par le Royaume uni en provenance de pays tiers (Russie, Etats-Unis) si des accords commerciaux avantageux sont conclus.
Les produits laitiers, la viande de boeuf et le sucre seraient taxés à 30 % ; les céréales, les volailles, le porc et les grains entre 10 % et 30 % et certains produits jusqu’à 50 %.
Outre les droits de douane imposés aux produits importés, l’instauration de barrières non tarifaires compliquerait aussi les échanges commerciaux de l’Union européenne à Vingt-sept et le Royaume Uni.
Les dévaluations de la livre sterling n’est qu’un avant-gout des répercussions économiques et financières du Brexit. Une baisse de la valeur de la monnaie britannique n’est ni plus ni moins assimilable à une taxe appliquée aux importations de denrées agricoles outre-manche. En renchérissant leurs prix, elle restreint la demande des consommateurs. En 2017, les prix des produits alimentaires à la consommation avaient crû de 5- 6 % alors que l’inflation britannique n’avait pas excédé 1,7 %.
50% des salariés agricoles du Royaume-Uni sont des citoyens d’Europe de l’Est
Par ailleurs, l’absence d’accord politique (ou la signature d’un mauvais accord) déstructurera le marché du travail car la main d’œuvre agricole est essentiellement étrangère (50 % des salariés). Les citoyens des pays de l’Est de l’Union européenne, venus offrir leurs services pourraient ne plus être autorisés à rester travailler en Grande Bretagne. A moins que ces salariés partent d’eux-mêmes, estimant que les salaires proposés en livres sterling dévaluées ne sont plus avantageux.
Or le Royaume Uni était le premier pays de l’Union européenne à avoir ouvert aux ressortissants des pays de l’Est son marché du travail. Et les Britanniques ne sont pas enclins à vouloir les remplacer pour travailler dans les exploitations agricoles.
Les agriculteurs des pays exportateurs devront penser une nouvelle stratégie d’exportation bers la Grande-Bretagne. Tous produits agricoles confondus, la fermeture du marché britannique pourrait avoir les mêmes impacts que ceux générés par l’embargo russe en 2014. Les produits qui ne seront plus exportés vers le Royaume Uni engorgeront le marché communautaire si les principaux pays exportateurs européens (France, Irlande, Belgique, Pays-Bas) ne trouvent pas de nouveaux débouchés vers les pays tiers.
Plus de 70% des importations de produits laitiers dans l’UE à 27 en 2014-2017 provenaient du Royaume-Uni (2). En 2017, l’Union européenne à vingt-sept membres a exporté près de 4 millions de tonnes de produits laitiers vers le Royaume-Uni (en équivalent lait), soit 20% du total des ventes.
Plus de 500 000 porcs (porcelets et porcs engraissés) sont exportés du continent au Royaume-Uni chaque année. Réciproquement, Royaume-Uni est l’un des principaux fournisseurs d’ovins vivants des vingt-sept pays membres.
Sorti de l’Union européenne, le Royaume Uni ne se passera pas de vin, importé depuis l’Empire romain! En 2017/2018, 7,7 millions d’hectolitres de vin européen ont été importés sur l’ile, soit 24% des exportations de vin de l’UE-27 en volume et 19 % en valeur (2,6 milliards d’euros en 2017). Le vin importé est italien à 44%, français à 23% et espagnol à 18%.
Selon une étude du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), les exportations agroalimentaires européennes à destination du Royaume Uni diminueraient de 62 % à l’horizon de 2030 si la Grand Bretagne sortait de l’Union sans accord commercial et politique. La France verrait à elle seule son chiffre d’affaires réduit de moitié à 4,07 milliards de dollars américains conte 9,1 milliards dollars actuellement.
Frédéric Hénin
(1) Brexit : scénario du pire et les conséquences sur le marché agricole