Comprendre les enjeux de l'agriculture

En agriculture conventionnelle comme en bio, un sol bien pourvu en matières organiques est une des clés de la réussite pour allier performance écologique et économique. 

Le labour, le semis direct et le travail simplifié du sol réitérés depuis 41 ans sur des parcelles témoins à Boigneville en France, sur la station expérimentale d’Arvalis (1), institut du végétal, n’ont aucun réel impact sur le stock de matières organiques contenu dans les trente premiers centimètres du sol cultivés (la paille des céréales a été dans tous les cas enfouie). Les différences portent sur sa répartition. Le taux de carbone organique est plus important dans la couche superficielle des parcelles conduites en semis direct que dans celle des superficies labourées. Sur ces dernières, la teneur du sol en matières organiques est en fait homogène sur toute la profondeur.

Alors de quels leviers dispose-t-on accroître le stock de matière organique dans le sol ?

« Il est illusoire de penser qu’il est possible d’accroître d’un point en trois ans en recourant uniquement au semis direct », affirme Thibaud Deschamps, ingénieur en gestion durable des sols d’Arvalis. Augmenter le taux de matière organique d’un sol cultivé exige du temps et requiert de l’expérience.

Avant d’enclencher un processus de stockage, parfois hasardeux, pour augmenter le stock de matière organique dans le sol, il faut avant tout disposer de suffisamment de substrats d’origine végétale ou animale pour stabiliser le taux.

Influence des conditions pédoclimatiques pour apport d’un même substrat (fumier de bovin)

Dans les départements des Côtes d’Armor (Bretagne) et de la Meuse (Grand-Est), des expérimentations ont porté sur des parcelles cultivées alternativement en blé et en maïs fourrager. Les résultats obtenus  montrent que l’augmentation du taux de matière organique est très liée aux conditions pédoclimatiques en vigueur dans ces régions.

Sur la plateforme d’essai du Crecom (Côtes d’Armor), où 23 tonnes de fumier par hectare et par an ont été épandues pendant dix ans, le taux de matière organique dans le sol n’a progressé que de 0,22 %. Mais en épandant 46 tonnes par hectare et par an sur des parcelles similaires de blé et de maïs, le taux a crû de 0,36 %.

A Saint Hilaire en Woëvres (Meuse), le taux n’a crû que de 0,1 % alors que 31 tonnes de fumier par hectare ont été épandues chaque année pendant dix ans.

Mais un apport de 28 t/ha de fumier de bovin dans une rotation colza/blé a permis d’augmenter de 0,55 % le taux de matière organique dans le sol.

En fait, l’assolement impacte significativement l’évolution du taux de carbone organique.

Une culture de colza (rendement de 35 quintaux par ha) permet en effet d’enfouir  850 kg de carbone humifié (sous forme d’humus) par hectare. A contrario, une parcelle implantée de pommes de terre (50 t/ha) ou de betteraves sucrières (90 t/ha) ne génère respectivement que 250 kilogrammes et 400 kilogrammes de carbone humifié par hectare et par an.

Un bilan humique, proposé dans les analyses de sol ou grâce à l’utilisation de SIMEOS AMG (outil Arvalis gratuit accessible via internet) permet de surveiller l’évolution de la teneur en carbone dans les rotations.

Les cultures intermédiaires dans la rotation des cultures

L’introduction de cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan) ou cultures intermédiaires dans la rotation des cultures contribue à augmenter le stock de carbone organique dans les sols dans les systèmes céréaliers, notamment si ces couverts ne sont pas exportés.

A Boigneville, où l’expérience a là aussi été menée pendant 41 ans sur des parcelles labourées, les résultats obtenus sont éloquents. En combinant l’enfouissement de la paille des céréales récoltées et des Cipan, le stock de carbone organique a progressé de 4 tonnes par hectare. Mais depuis une vingtaine d’années, il a atteint un équilibre : il plafonne à 46 t/ha.

Un  couvert végétal (2 tonnes de matière sèche par hectare) restitue l’équivalent de 250 kilogrammes de carbone.

Ainsi, la combinaison de plusieurs pratiques agricoles accélère l’enrichissement du sol en matière organique mais il est illusoire de penser que le stock de carbone organique puisse croître indéfiniment.

L’initiative 4 pour 1000 retenue par la conférence sur le climat CAP 21 pour stocker du carbonique dans le sol ne dispensera pas les hommes de réduire l’utilisation des hydrocarbures fossiles. Quelle que soit la nature du sol, l’enrichissement d’un sol en matière organique conduit inéluctablement à des teneurs plafond.

(1) https://www.arvalis-infos.fr/index.html

Un sol enrichi en matières organiques n’offre que des avantages

Un sol fonctionne comme le moteur d’une voiture en utilisant comme carburant, la matière organique en stock. Celle-ci accélère la vitesse d’infiltration de l’eau dans le sol et améliore sa structure. Un sol riche en matière organique est aussi moins sensible au compactage. L’effet sur la réserve utile est possible mais limité. Une hausse de 0,5 point du taux de matière organique dans le sol augmente la minéralisation de l’azote organique (+ 50 kg N par ha), du soufre (+12.5 kg par hectare) et elle rend le phosphore plus disponible (+20 %). La libéralisation de ces éléments est liée à l’activité microbienne du sol. Augmenter la teneur en matière organique demande du temps ! La stabiliser suffit parfois pour atteindre les objectifs recherchés! Dans tous les cas, l’apport de matière organique accélère l’activité biologique du sol. Mais l’action fertilisante et la capacité à stocker durablement du carbone organique, dépendent de la nature des effluents et de la cinétique de minéralisation des composants organiques dont ils sont composés.  Si un fumier composté de bovins et de porcs est épandu, seuls 20 % de l’azote et du carbone organique contenu sont minéralisés dans l’année. Les 80 % restants vont être stockés sous forme d’humus stable et être libérables dans les années qui suivent l’épandage.  A contrario, les fientes de volailles et les lisiers porcs épandus sont essentiellement constitués d’azote sous forme minérale et peu sous forme organique. Ils sont valorisés principalement dans les semaines qui suivent l’épandage. Ces effluents remplacent des engrais minéraux apportés lorsque les plantes ont besoin d’être fertilisées pour se développer rapidement.