Dans une récente publication, la FAO a mis en évidence l’impact des catastrophes sur le monde agricole et la nécessité d’organiser un écosystème global plus durable et plus résilient. Les experts prédisent une multiplication et une intensification des phénomènes climatiques extrêmes, avec des conséquences sur les ressources et la production alimentaire. Le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres (CRED) constate que le nombre d’événements a été multiplié par quatre en vingt ans. La FAO collecte les données sur les catastrophes agricoles afin d’alimenter les travaux de recherche et stimuler l’investissement dans des solutions de réduction des risques.
Si les catastrophes sont qualifiées de « naturelles », elles trouvent leur origine à la fois dans la configuration des lieux et dans les activités humaines. Des référentiels permettent de déterminer des indices de risque en fonction des territoires, des populations et du climat. Les aléas sont un élément clé de l’évaluation des risques, ils sont d’ordre géophysique, biologique, sociétal, environnemental ou hydrométéorologique.
La FAO a publié un rapport dans lequel les impacts de ces catastrophes ont été évalués dans quatre secteurs : les cultures, l’élevage, la forêt et la pêche. Il est possible d’en limiter les effets en réduisant les risques d’exploitation. La FAO recommande une approche coûts/bénéfices pour inciter les acteurs du secteur à investir dans des actions et des dispositifs préventifs
Les menaces principales sont liées aux déséquilibres de l’écosystème naturel (météorologique, géophysique, biologique), ou au contexte géopolitique (conflits). Elles provoquent plus de dégâts lorsqu’elles présentent un caractère soudain et étendu, combiné à des facteurs aggravants tels que la pauvreté, les inégalités, la surpopulation, les épidémies, la surexploitation des terres et les conflits.
Évaluation des impacts
Le réchauffement global est à la fois une conséquence et une cause des principales perturbations que vit le monde agricole. En parallèle de ce réchauffement qui rend difficile l’exploitation agricole, ce sont des événements extrêmes qui achèvent de décourager les populations rurales et les mènent à la migration, et à l’insécurité alimentaire localement.
Durant ces catastrophes, ce sont les femmes qui peinent à trouver les ressources (information, moyens) pour se relever.
L’évaluation actuelle des dégâts engendrés par les catastrophes se fait sous un angle économique et limite l’élaboration de stratégie de réduction des risques liés au climat.
Dans la majorité des cas, les bases de données sont internationales, on peut citer : EM-DAT, DesInventar, la Banque mondiale, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant‑Rouge, les groupes internationaux de réassurance.
Ces données collectées sont le fruit de deux évaluations, la première consiste à évaluer les besoins post catastrophe, la seconde mesure l’indicateur C2 déterminé par le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030. Ils sont 82 pays (sur 195) à communiquer les informations relatives aux pertes agricoles définies par l’indicateur C2, une quarantaine d’autres pays fournissent des données sous-sectorielles.
Tous types de catastrophes confondus, les impacts concernent presque un quart de pertes agricoles, ce ratio varie selon la nature de la catastrophe :
- Sécheresses : 65% des dégâts concernent les pertes agricoles ;
- Inondations, tempêtes, cyclones, activités volcaniques : pour chacune, 20% des dégâts sont agricoles.
Cultures et élevage
Sur la base des données partiellement collectées dans le cadre de l’indicateur C2, on constate que les inondations, incendies, sécheresses et autres catastrophes provoquent des pertes agricoles à hauteur de $13 milliards par an :
- Céréales : environ 70 millions de tonnes ;
- Fruits et légumes : 40 millions de tonnes ;
- Plantes sucrières : 40 millions de tonnes ;
- Viandes, produits laitiers et œufs : 16 millions de tonnes.
Les auteurs du rapport relèvent que les pays industrialisés enregistrent les plus grosses pertes économiques en valeur absolue mais que les pays émergents sont les plus touchés en proportion de la valeur ajoutée agricole.
La mesure des pertes prend aussi en compte la privation en nutriments et en énergie, ainsi on estime que quelque 400 à 500 millions d’individus sont privés de 150 kcal journalières, avec des carences en fer, phosphore ou magnésium.
Forêt et pêches
Le sous-secteur forestier est pris en compte dans l’étude, il est spécifiquement impacté par le changement climatique mais constitue aussi un levier essentiel dans la préservation des écosystèmes et l’atténuation du réchauffement climatique. L’activité humaine impacte fortement ce sous-secteur : affectation et gestion des terres, introduction de nouvelles espèces.
Le sous-secteur halieutique n’est pas épargné, tempêtes, tsunamis, réchauffement, acidification des océans, salinisation des eaux douces… participent à la fragilisation des activités de pêche en pleine mer ou de l’aquaculture.
Les pertes sont induites par une baisse de productivité, mais aussi par l’apparition de maladies liées au réchauffement combiné à une moindre santé des élevages.
La pêche reste néanmoins un sous-secteur très résilient par rapport au sous-secteur des cultures, après une catastrophe, les populations peuvent immédiatement reprendre leurs activités de pêche et assurer leur sécurité alimentaire. Dans certains cas, la catastrophe produit des impacts à plus long terme : en janvier 2022, le Royaume de Tonga (État polynésien) a connu une éruption volcanique sous-marine qui a endommagé les moyens de pêche, empêchant les populations côtières de reprendre immédiatement leurs activités.
Pour l’ensemble des secteurs, on identifie des facteurs de risque, liés entre eux :
- Le changement climatique ;
- Les pandémies et épidémies ;
- Les conflits de territoires.
Les pistes de réduction des risques
La résilience des systèmes agroalimentaires passe par deux actions, l’acquisition de bonnes pratiques de prévention et l’organisation de moyens d’existence résiliants en cas de catastrophe.
Les recommandations sont soumises à une analyse coût/bénéfice pour évaluer leur degré de pertinence et d’acceptation par les acteurs du secteur agricole.
Dans les exploitations agricoles
Dans les petites exploitations familiales, le destin des cultures est lié aux éléments naturels : irrigation par la pluie, absence d’intrants dans les sols… Ces exploitations sont donc les plus vulnérables lors d’événements extrêmes et doivent être l’objet de politiques et d’actions publiques prioritaires pour garantir l’approvisionnement alimentaire des populations locales.
Des gouvernements ont incité les agriculteurs à des pratiques plus résilientes :
- En Ouganda, la culture de bananes à haut rendement est privilégiée, en association avec le paillage, les tranchées et le compostage. Le rapport bénéfice/coût est évalué à 2,15 contre 1,16 pour les pratiques conventionnelles locales ;
- En Bolivie, des abris semi-couverts et des services vétérinaires ont été installés sur les hauts plateaux pour réduire la mortalité des lamas soumis au climat extrême. Dans ce cas, le gain net a été amélioré de 17% ;
- Aux Philippines, les riziculteurs ont planté du Green Super Rice (GSR), une variété tolérante avec un gain de productivité constaté tant sur la saison sèche que sur la saison humide.
Anticiper les actions
L’action anticipée s’appuie sur la mise en place d’un système d’alerte préalable aux effets d’une catastrophe sur l’humain et ses moyens de subsistance.
La capacité à prévoir est liée à la connaissance :
- Des indices météorologiques ;
- De la vulnérabilité des exploitations concernées.
Le dispositif peut aussi prévoir l’allocation de fonds spécifiques, mobilisables rapidement.
Globalement, l’action anticipée limite les effets des dégâts et permet aux populations touchées de rebondir plus facilement. Dans certains cas, elle empêche la dégradation irrémédiable des moyens de subsistance et l’abandon des terres par les exploitants.
L’action préventive est particulièrement favorable dans le cas des élevages, lorsque des dispositifs de mise en sécurité des animaux sont organisés. Les éleveurs conservent leurs ressources d’exploitation.
La lutte préventive est rendue possible par une meilleure observation des phénomènes, des moyens et des vulnérabilités. Durant les invasions de criquets sur le continent africain, la FAO a réalisé des enquêtes sur les essaims et les réponses déployées. Elle a élaboré une stratégie en concertation avec les exploitants et autorités locales pour améliorer la lutte contre cette espèce invasive. Ce meilleur ciblage des actions antiacridiennes a permis de sauver 4,5 millions de tonnes de récoltes de céréales, chaque dollar investi dans l’action économisant $15 dollars de perte selon les estimations de l’organisation.
Au niveau des États, les données sont plutôt disponibles à l’échelle sous-sectorielle, l’objectif est d’établir un indicateur C2 plus exhaustif qui pourra éclairer les gouvernements dans leur stratégie. L’étape suivante sera l’accompagnement et le financement des acteurs dans le déploiement de dispositifs résilients.
Source : FAO