Comprendre les enjeux de l'agriculture
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Contrairement aux apparences, agriculture et industries minières possèdent de nombreux points communs : En particulier, la course au gigantisme est un de leurs points communs. Ce n’est pas nouveau concernant les mines. Mais contrairement aux idées reçues, il en est de même en agriculture, au moins lorsqu’il s’agit d’approvisionner les marchés mondiaux. D’immenses exploitations agricoles fournissent les industries agroalimentaires et les centrales d’achats des supermarchés. Or ces exploitations se consacrent souvent à une seule production. Elles ne sont pas dispersées au hasard, mais sont regroupées dans un petit nombre de régions agricoles très spécialisées.

Au Moyen âge, L’Europe était parsemée de petites mines de plomb, zinc, étain, cuivre…Trop petites, trop isolées et peu rentables, ces mines et les unités industrielles associées du Massif central en France, de Thuringe en Allemagne ou de Bohême en République tchèque, n’ont guère passé le cap de la première guerre mondiale. Malgré leur passé glorieux, les bassins houillers du Nord de la France, de la Belgique, de la Grande Bretagne ou même de la Ruhr ont à leur tour peu à peu fermé après la seconde guerre mondiale.

Seules s’imposent encore aujourd’hui dans le monde, les mines géantes comme au Canada, au Chili, en Mauritanie, en Afrique du Sud ou en Australie par exemple. Ce sont des exploitations à ciel ouvert qui traitent des quantités énormes avec des coûts de production très faibles. Elles sont reliées par chemin de fer à des ports spécialisés où viennent s’approvisionner les grands cargos de fret.

Quoiqu’avec un peu de retard sur le secteur industriel, le même phénomène de concentration s’est produit en agriculture. Aujourd’hui, de grands bassins de production agricole approvisionnent les marchés mondiaux. Ils sont constitués d’immenses exploitations agricoles de dizaines, voire de centaines de milliers d’hectares. Par exemple, 47 000 exploitations brésiliennes ont plus de 1000 hectares (dont un quart plus de 10 000 hectares) et couvrent près de la moitié de la surface cultivée alors que 5 700 000 de moins de 100 hectares n’en exploitent que 21. En Ukraine une exploitation gère 600 000 hectares et plusieurs firmes aux mains d’oligarques russes dépassent 1 million d’hectares. Ces véritables firmes sont parfaitement équipées, gérées rationnellement et évidemment emploient de la main d’œuvre salariée. Les récoltes sont acheminées vers les ports d’embarquement en utilisant selon les cas une voie d’eau, le train ou une noria de camions. C’est le cas des plaines nord-américaines avec le Mississipi et le St Laurent, des pays dits « de la mer Noire » vers les ports de la mer d’Azov, ou encore de l’Argentine avec le terminal de Rosario sur le Parana.

Mais malgré leur taille, ces bassins de production ne couvrent au total qu’une fraction des surfaces cultivées dans le monde et n’assurent qu’une part certes importante mais non majoritaire de l’alimentation humaine. Car la plus grande partie de celle-ci reste entre les mains des centaines de millions de tout petits paysans. Bien sûr, leurs micro-exploitations ne jouent qu’un rôle tout à fait marginal lorsqu’il s’agit d’approvisionner les marchés mondiaux. Mais elle est essentielle pour nourrir la grande masse des populations rurales et même les villes voisines.

Les grandes régions agricoles dédiées aux exportations

Quelques grands bassins de production dominent donc tous ces marchés internationaux, qu’il s’agisse de ceux des céréales, du sucre, des oléagineux ou des produits laitiers. Et il en est de même des bananes, des avocats, du café, du cacao ou du thé. Car chacune de ces grandes productions provient d’un tout petit nombre de régions très spécialisées qui sont en mesure d’offrir d’énormes quantités de produits, strictement normalisés et à un prix très compétitif. Ce sont justement ces caractéristiques que recherchent les grands traders, les industriels de l’agroalimentaire, les organismes d’achat des pays acheteurs et au final la grande distribution.

 Certes, les consommateurs bénéficient à leur tour, et toute l’année, d’un approvisionnement régulier de produits d’une qualité constante et à bas prix. Mais évidemment ces produits peuvent provenir de l’autre bout du monde, car c’est le marché qui en décide.

Prenons le cas du blé. Cette céréale, largement cultivée et consommée dans le monde, exige beaucoup d’espace. Mais le cœur des zones approvisionnant le marché mondial du blé se situe dans des régions particulièrement favorables à cette culture en raison de leurs conditions pédo-climatiques et des structures de production des exploitations. C’est le cas des plaines Nord-américaines entre les grands lacs et les Montagnes rocheuses (soit près de 20 millions d’hectares consacrés au blé), de la Pampa en Argentine, des terres noires d’Ukraine et du Sud de la Russie ou encore des plaines de l’Union européenne.

 En 2019-2020, la production totale de blé devrait atteindre 765 millions de tonnes. Le commerce international pourrait porter sur environ 175 millions de tonnes (22,6 %). Sur ce total, les pays de la mer Noire devraient exporter 60 millions de tonnes, Etats-Unis et Canada 24 à 25 millions de tonnes chacun et l’Union européenne à peu près autant (dont 11,7 pour la France). Il faut ajouter l’Argentine avec 14 millions de tonnes et peut-être autant en Australie, sachant que ce dernier pays est, plus encore que d’autres, soumis à de très fréquents aléas climatiques. Au total, cette petite poignée de pays va exporter 162 millions de tonnes, c’est-à-dire près de 93 % du total mondial.

Face à eux, les pays acheteurs sont beaucoup plus nombreux. Et certains sont très déficitaires eu égard à des besoins croissants et à des récoltes structurellement déficitaires. Ainsi pendant cette campagne 2019-2020, les cinq pays d’Afrique du Nord devraient importer 28 millions de tonnes de blé. Mais les pays du Moyen Orient, l’Indonésie, la Corée du Sud ou le Japon sont aussi de gros importateurs, tandis que l’Afrique subsaharienne accroît rapidement ses importations de blé.

Si on passe à l’ensemble des céréales (à l’exception du riz), il faut ajouter à ce petit groupe les grands exportateurs de maïs, essentiellement, outre les Etats-Unis, le Brésil et loin derrière l’Afrique du Sud.

Le marché du soja est encore plus concentré puisque trois pays, les Etats-Unis, le Brésil et l’Argentine assurent l’essentiel de la production et des exportations. La Chine absorbe 60 % de ces dernières et l’Union européenne une bonne partie du reste. De même l’huile de palme qui est principalement produite en Indonésie et en Malaisie, est majoritairement destinée aux consommateurs chinois et indiens.

Le marché des produits laitiers est dominé par la Nouvelle Zélande et l’Union européenne suivies de loin par les Etats-Unis.

 Les productions de fruits exotiques, légumes ou fleurs sont également très concentrés. Prenons les bananes. Elles sont consommées en grande quantité aux Etats-Unis ou en Europe et proviennent d’immenses plantations installées sur de petites et riches plaines côtières de quatre pays d’Amérique centrale ou du Sud (Costa-Rica, Guatemala, Colombie et Equateur). Si on ajoute les Philippines, cinq pays couvrent 83 % du marché international des bananes. Les plantations et le commerce sont entre les mains de grands consortiums comme Chiquita, Dole ou Del Monte qui exploitent chacune des dizaines de millions d’hectares.

Pour leur part, le Ghana et la Côte d’ivoire assurent 60 % de la production de cacao, tandis que celle de café est dominée par le Brésil, le Vietnam et la Côte d’Ivoire.

Cette concentration des productions agricoles offre donc des avantages évidents pour les grands fermiers, les intermédiaires et les transformateurs, mais aussi, et au moins à court terme, pour les consommateurs. En revanche, elle présente aussi de gros inconvénients.

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