Comprendre les enjeux de l'agriculture
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The African Heads of States and Governments pose during African Union (AU) Summit for the agreement to establish the African Continental Free Trade Area in Kigali, Rwanda, on March 21, 2018. / AFP PHOTO / STR (Photo credit should read STR/AFP/Getty Images)

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC)[1], dont le projet  a été adopté dans l’enthousiasme le 21 mai 2018, est formellement entrée en vigueur le 30 mai 2019, après le dépôt de la 22ème ratification auprès de la Commission de l’Union africaine (UA). Cette ratification a permis d’atteindre le seuil minimal requis de l’accord pour déclencher l’entrée en vigueur de la zone. Le lancement de la phase opérationnelle aura lieu lors du sommet extraordinaire de l’UA à Niamey le 7 juillet 2019. La ZLEC est un vieux projet. Selon les objectifs du Traité d’Abuja de 1991, le processus d’intégration de l’Afrique devait être achevé par la création de la Communauté économique africaine selon une approche séquentielle en six étapes de 34 ans. La ZLEC vise la réduction des tarifs douaniers pour 90 % des produits et la mise en place d’un marché libéralisé des services entre les États membres de l’UA.

 

L‘architecture de la ZLEC est construite autour de plusieurs protocoles :

Phase 1. Protocole relatif au commerce des marchandises ·      Élimination des droits de douane et restrictions quantitatives à l’importation

·      Les importations ne doivent pas être traitées moins favorablement que les produits nationaux

·      Facilitation du commerce et transit

·      Recours commerciaux, protections pour les industries naissantes et exceptions générales

·      Coopération sur les normes et réglementations de produits

·      Élimination des barrières non tarifaires

·      Coopération des autorités douanières

·      Assistance technique, renforcement des capacités et coopération

Phase 1. Protocole sur les services ·      Transparence des normes et des règles

·      Reconnaissance mutuelle des normes, licences et

Certification des fournisseurs de services

·      Libéralisation progressive des secteurs de services

·      Les fournisseurs de services ne doivent pas être traités moins favorablement que les fournisseurs nationaux dans les secteurs libéralisés.

•      Provision pour les exceptions générales et de sécurité

Phase 1. Protocole sur le règlement des différends ·      À convenir
Phase 2. Négociations •      Droits de propriété intellectuelle

•      Investissements intra-africains

•      Politique de concurrence

Les avantages annoncés sont multiples

La zone constituera un marché de 1,2 milliard d’individus pour un PIB cumulé de 2 500 milliards de dollars. Si elle est effectivement mise en place, la ZLEC sera le plus grand espace de libre-échange du monde.

Grâce à la libéralisation progressive des échanges de marchandises et des services, les fournisseurs auront accès aux marchés de tous les pays africains à des conditions non moins favorables que celles des fournisseurs nationaux.

La libéralisation des échanges entre les pays africains facilitera la mise en place de chaînes de valeur régionales dans lesquelles des intrants seront fournis par différents pays africains afin d’ajouter de la valeur avant d’exporter à l’extérieur.

Pour se protéger des pics imprévus des marchés mondiaux, les États auront recours à des mesures correctives commerciales pour faire en sorte que les industries nationales puissent être sauvegardées, si nécessaire.

Un mécanisme de règlement des différends offrira un moyen, fondé sur des règles, de résoudre les différends pouvant survenir entre les États parties lors de l’application de l’accord.

Enfin, les négociations de la « phase deux » créeront un environnement plus propice à la reconnaissance des droits de propriété intellectuelle en Afrique, à la facilitation des investissements intra-africains et au traitement des problèmes anticoncurrentiels.

Le cas du Nigeria

Actuellement 52 États sont signataires de l’accord. Le Bénin et l’Érythrée ne l’ont pas encore paraphé. Il manque surtout  au tableau de la ZLEC le Nigeria, représentant le premier PIB d’Afrique. L’agenda actuel de ce pays n’est pas continental, mais d’abord national et régional. L’intégration économique recherchée est d’abord celle d’un État de 185 millions d’habitants et d’un million de km2, avec une forte fragmentation Nord-Sud, avant d’être celle de l’Afrique. L’économie politique des réformes commerciales au Nigeria est complexe, car son marché intérieur est vaste et fortement protégé. Il  exporte peu en Afrique, seulement 9 % de ses produits. D’où le souci de défendre ses industries par une politique d’import-substitution et de protection à ses frontières plutôt que de jouer avec un libre-échange qui pourrait menacer son économie par des importations massives, en particulier d’Asie, via des pays de transit voisins (Bénin, Cameroun). Il est logique de ne complexifier le tableau et de limiter au maximum les situations d’inconfort. Dans l’espace ouest-africain qui est le sien, le Nigeria trouve déjà son compte dans la communauté régionale existante, la CEDEAO qui compte 15 pays où son PIB représente la moitié du total. Si tôt ou tard, le projet de la ZLEC qui sera fort complexe à mettre en œuvre et qui mettra des années avant de produire ses effets, se met effectivement en œuvre, le Nigeria rejoindra à n’en pas douter les autres membres.

En pratique, l’intégration est un processus multiforme se caractérisant par une intensification des mouvements d’échanges avec la suppression des obstacles à l’intérieur d’un bloc régional, un tarif extérieur commun et une mobilité des facteurs de production. Elle peut aussi se manifester par des projets de coopération portés par les acteurs gouvernementaux ou non, par une coordination des politiques économiques ou sociales et par la mise en place de règles ou de transferts de souveraineté avec des structures institutionnelles de type fédéral. Au regard de ces ambitions, déjà portées par les pères fondateurs de l’Union africaine, les défis à relever sont d’une ampleur considérable.

Dix paraissent les plus fondamentaux.

Enjeu 1. Synchroniser les communautés économiques régionales

La stratégie d’intégration de l’UA est fondée sur l’existence des Communautés économiques régionales (CER) comme « socles » pour aboutir à la création d’un bloc commercial continental unique. Un espoir qui s’inscrit dans le long terme et qui passe nécessairement par la consolidation puis par la synchronisation des diverses entités régionales existantes.

Les organisations régionales en Afrique sont nombreuses et forment une architecture complexe et plus ou moins dynamique. On en compte aujourd’hui 14 censés représenter autant d’espaces de libre circulation des personnes, des biens et des services. Certains États sont membres de plusieurs organisations à la fois. Elles forment « le bol de spaghettis ».

La multi-appartenance à des blocs qui se recouvrent parfois, voire qui se posent en concurrents, a un coût financier. « La question de chevauchement des appartenances des États membres dans de nombreuses CER continue de poser un défi de démarrage important et demeure un obstacle insoluble à une intégration régionale et continentale plus poussée. Le chevauchement des adhésions des États membres à de nombreuses CER aggrave non seulement les problèmes persistants de financement et de capacités humaines à l’appui des programmes régionaux, mais pose également des problèmes de coordination efficace des politiques et des programmes pour favoriser une intégration régionale et continentale plus étroite et plus profonde » (Commission de l’Union africaine, 2019, p.2).

Figure 1. Le bol de spaghettis des communautés régionales africaines

Pour limiter le nombre de communautés régionales, l’Union africaine a élaboré le Programme minimum d’Intégration (PMI) autour de huit principales entités et décidé en 2006 un moratoire pour la reconnaissance de nouvelles institutions régionales.

La plupart des zones ont adopté des accords de libre-échange en abaissant les droits de douane et en améliorant les règles d’origine (un sujet de contentieux fréquents) applicables. Peu d’organisations régionales bénéficient véritablement de transferts de souveraineté, c’est le cas, mais encore de manière très partielle, du COMESA.  La SADC et la CEDEAO jouent un rôle croissant en matière de paix et de sécurité. La CEDEAO et la CAE ont introduit un passeport communautaire pour faciliter la circulation des personnes et construire une identité régionale. Si l’on relève les réalisations clés, l’EAC reste actuellement la CER la plus avancée en termes de niveau d’intégration, avec la réalisation d’un marché commun, dont l’objectif est de réaliser une union monétaire et, à terme, une confédération politique. Plusieurs résultats louables ont été obtenus dans le domaine du développement des infrastructures, en particulier en ce qui concerne les routes régionales, les lignes ferroviaires, le transport. En revanche, nonobstant, le riche potentiel inexploité de ressources de la région CEEAC, le potentiel intra-CEEAC reste très faible. Une infrastructure médiocre, des procédures douanières et d’immigration restrictives, des conflits persistants, une mauvaise coordination des politiques ainsi que d’énormes contraintes financières et humaines

Tableau 1. Principales organisations reconnues par l’Union africaine

Principales communautés économiques Pays membres Nombre d’habitants et PIB régional en 2017
UMA

Union du Maghreb arabe

Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie 100 millions d’habitants

PIB : 330 mds.

CEN-SAD

Communauté des États sahélo-sahariens

Bénin, Burkina Faso, République centrafricaine, Comores, Côte d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Érythrée, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Liberia, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tunisie. 568 millions d’habitants PIB : 1050mds$
COMESA

Marché commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe

Burundi, Comores, Djibouti, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Libye, Madagascar, Malawi, Maurice, Ouganda, RDC, Rwanda, Seychelles, Soudan, Swaziland, Zambie, Zimbabwe. 480 millions d’habitants PIB : 600 mds$
CAE (EAC)

Communauté de l’Afrique de l’Est

Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie. 155 millions d’habitants PIB : 100 mds$
CEEAC

Communauté Économique des États de l’Afrique centrale

Angola, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, RCA, RDC, São Tomé et Principe, Tchad. 150 millions d’habitants PIB : 230 mds$
CEDEAO (ECOWAS)

Communauté Économique des États d’Afrique de l’ouest

Bénin, Burkina, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. 330 millions d’habitants PIB : 410 mds$
SADC

Conférence pour
la Coordination
du Développement de l’Afrique Australe

Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Swaziland, Tanzanie, Madagascar, Maurice, RD Congo, Seychelles, Zambie, Zimbabwe. 295 millions d’habitants PIB : 660 mds$
IGAD

Autorité intergouvernementale pour le développement

Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Somalie, Soudan. 240 millions d’habitants PIB : 180mds$

Principes sur le rôle des CER dans la ZLEC

Les États parties membres des CER qui ont atteint entre eux des niveaux d’intégration régionale supérieurs à ceux de la ZLEC maintiendront ces niveaux plus élevés entre eux.

  • Les CER qui ont atteint le niveau d’intégration nécessaire pour former des unions douanières soumettront des offres communes d’accès au marché pour le commerce des marchandises.
  • À long terme, à mesure que le niveau d’intégration continentale s’intensifiera, les fonctions des CER liées au commerce devraient être consolidées au niveau continental.

On imagine l’envergure du travail à réaliser pour synchroniser l’ensemble de ces organisations avec leurs procédures particulières et des volontés politiques qui ne sont pas toujours spontanément tournées vers la collaboration. La Banque africaine de développement pose clairement la question des conditions de l’intégration : « Le processus d’intégration régionale et de croissance économique peut créer dix fois plus d’emplois qu’il n’en détruit, mais bien souvent, la perte d’un petit nombre d’emplois qu’entraîne la libéralisation est politiquement inacceptable. Les pays souhaitent souvent bénéficier de l’accès aux marchés mais rechignent à ouvrir les leurs en contrepartie. Pour pouvoir introduire des réformes économiques et commerciales et les transposer dans la législation du pays, il faut un gouvernement disposant d’une majorité forte et agissant à la faveur d’une période de croissance économique soutenue » (BAD, 2014, p. 11). Les organisations existantes disposent de tous les instruments institutionnels mais ils ne fonctionnent pas de manière satisfaisante, notamment parce que l’intérêt national prime toujours sur celui de la région.

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