Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les effets de la pénurie d’eau s’aggravent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord alors que les projections indiquent une demande croissante pour le prochain quart de siècle. Selon les estimations, 25 milliards de mètres cubes supplémentaires seront nécessaires annuellement, soit l’équivalent de la production de 65 usines de dessalement comme celle de Ras Al Khair, en Arabie Saoudite. Cette situation impacte les décisions de politiques publiques, notamment en ce qui concerne la gestion rationnelle des réserves hydriques et le lancement des grands projets visant le service aux entreprises et aux populations. Désormais, chaque projet doit s’appuyer sur des solutions durables et inciter les utilisateurs à réduire leur consommation tout en respectant l’enveloppe budgétaire et l’équilibre d’exploitation.

 

Le rapport Aspects économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : solutions institutionnelles répertorie les problématiques de prix, d’exploitation, de rentabilité et d’équité face à l’approvisionnement en eau et propose une nouvelle approche de la gestion de l’eau. Celle-ci serait confiée aux prestataires spécialisés, organismes nationaux et collectivités, investis de pouvoirs supplémentaires pour organiser la distribution entre agriculture et population et pour impliquer le citoyen.

Capter, transporter ou distribuer l’eau mobilise des compétences technologiques, sanitaires et sociales. La responsabilité vis-à-vis de la ressource hydrique est collective, entre fournisseurs, investisseurs et consommateurs.

La politique tarifaire est un premier levier d’adhésion. Il existe des mécanismes de minima en volume et en coût, qui traduisent la volonté d’une répartition équitable de la distribution.

Andrea Barone, coauteur du rapport, est économiste et expert en développement numérique à la Banque mondiale, il s’est spécialisé dans l’analyse des marchés et la promotion de la transparence. Son collègue, Edoardo Borgomeo, intervient au Pôle gestion de l’eau sous contrainte climatique.  Ancien de la FAO, il s’est spécialisé en planification des ressources hydriques. Et enfin, Dominick de Waal et Stuti Khemani sont économistes dans ce même organisme, le premier travaille sur les financements et la performance des services liés à l’eau tandis que la deuxième mène des recherches sur l’innovation en matière de politiques publiques, elle est aussi l’auteur de Making Politics Work for Development : Harnessing Transparency and Citizen Engagement.

Faire face à l’urgence et réviser le cadre public

La région MENA fait face à une pénurie extrême qui précipite les consommateurs, particuliers, industriels ou agriculteurs à consommer sans précaution les fragiles réserves en eau. A ce rythme, d’ici cinq ans, le seuil plancher de 500 mètres cubes par habitant ne sera plus garanti.

La tendance s’aggrave avec les projections démographiques de croissance, la région MENA comptait 100 millions d’habitants en 1960 contre un peu plus de 450 millions aujourd’hui et plus de 700 millions d’ici 2050.

La répartition de l’eau disponible fait face à une double urgence, alimenter la population sans léser l’appareil de production agricole, garant de la sécurité alimentaire.

Pour éviter la « guerre de l’eau », les autorités publiques tentent de multiplier les solutions de captage hydrique :

  • Construction de nouveaux barrages ;
  • Captations souterraines ;
  • Accélération des usines de dessalement…

Ces grands projets prioritaires relèguent au second plan les transitions attendues en matière de gestion durable des ressources et de protection des espaces naturels et de la biodiversité.

Une fois terminés, ces projets permettront des approvisionnements supplémentaires sans pour autant résoudre les problèmes de pertes et gaspillages existants. Dans la région MENA, les opérateurs de l’eau constatent qu’un tiers de l’eau distribuée n’est pas facturée, une partie se perd dans le transport, l’autre sans doute consommée illégalement.

Les infrastructures supplémentaires (barrages et usines) sont l’occasion pour l’homme d’augmenter son impact environnemental et de reporter la transformation des politiques publiques à l’égard de la gestion des ressources naturelles.

L’urgence justifie le développement de nouvelles solutions non sans risque pour l’environnement. La technique du dessalement, par exemple, provoque des rejets marins et modifie l’écosystème localement.

Distribuer l’eau plus équitablement

La répartition de la ressource eau se fait principalement entre les populations et le monde agricole. Les arbitrages éventuels sont gérés par des institutions centralisées qui ont peu de visibilité sur les spécificités locales, d’où la proposition des auteurs du rapport de déléguer localement ces décisions, et plus généralement la responsabilité de la prestation.

Transférer aux autorités et aux délégataires locaux la distribution d’eau confère à la prestation une meilleure adéquation avec les ressources, les contraintes (géographiques, climatiques, structurelles …), les installations et les besoins locaux.

Une réforme dans ce sens participerait à une amélioration de la confiance des usagers envers les opérateurs et atténuerait leur méfiance à l’égard des décisions tarifaires ou d’usage prises par des administrations centrales.

Selon les auteurs du rapport, une gestion transparente et légitime de l’eau favorise la recherche, facilite l’accès aux données et stimule l’innovation et le financement. Les exploitants peuvent par exemple améliorer la gestion du parc (pompage, distribution, collecte, traitement) en intégrant des objectifs durables.

Impliquer les usagers

Les usagers ont aussi un rôle à jouer dans leur façon d’utiliser la ressource eau. Les États doivent communiquer auprès des populations pour les inciter à contribuer individuellement en consommant moins et mieux.

A titre d’exemple, l’Afrique du Sud a mené une campagne de communication auprès du grand public, à l’occasion d’une nouvelle stratégie. L’opération consistait à diffuser en temps réel un tableau de bord de la consommation dans l’optique de faire changer les habitudes ou de faire respecter les restrictions.

Contrairement aux politiques tarifaires perçues comme des directives, les appels à initiative citoyenne sont mieux acceptés même si une majorité attend de son État qu’il cape les tarifs.

Une transition nécessaire

Malgré le réchauffement climatique, le Moyen Orient et l’Afrique doivent faire face à une croissance démographique et à un développement économique qui les obligent à imaginer une nouvelle distribution de l’eau.

La multiplication des infrastructures répond aux besoins à court terme mais accélère l’appauvrissement des ressources.

Avant de produire plus d’eau potable, il faut mieux distribuer et mieux consommer en privilégiant l’intérêt de la communauté, en limitant les solutions génératrices de déchets ou de pollutions et en orientant la stratégie tarifaire.

Le stress hydrique est un levier de transition, les pouvoirs publics craignent l’instabilité politique engendrée par la pénurie et les territoires redoutent l’impact de celle-ci sur leur développement.

Cette crise des ressources, couplée aux ambitions environnementales, est une opportunité pour les États de changer de modèle de gestion.

Source : Banque mondiale