Après avoir décliné, la faim progresse de façon inquiétante en Afrique. Elle touche particulièrement les enfants, compromettant durablement leur avenir d’adultes. Les explications de cet inquiétant déclin ne manquent pas : explosion démographique, changement climatique, baisse de la productivité, etc, ne manquent pas. Les solutions – accès au marché des petits fermiers, investissement et amélioration de la productivité – sont tout aussi connues. Et pourtant….
Le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde est en nette augmentation. S’agissant de l’Afrique subsaharienne, un peu moins d’un habitant sur 4 (22,3 %) en 2017 n’avait pas accès à une nourriture en qualité et quantité suffisantes, contre 23,2 % en 2016. Ainsi, en un an, 14 millions de personnes supplémentaires ont grossi les rangs des 236 millions des populations affamées, pas loin de trois fois la population française. Le problème de la faim n’est pas un fait nouveau. Il est, cependant, surprenant qu’après huit années de déclin successives, la faim reparte à la hausse en Afrique après 2015. Cette situation préoccupante de l’Afrique contraste avec le recul de la faim en Asie.
Figure 1 : Ventilation géographique de la pandémie de la faim en Afrique
Les populations les plus exposées à l’insécurité alimentaire
Les populations les plus fragiles se composent de paysans sans terre, d’ouvriers agricoles, de petits fermiers incapables d’assurer la subsistance de leurs familles. Ces paysans faméliques sont aussi bien des éleveurs nomades du Niger ou de Burkina Faso que des pêcheurs traditionnels, des producteurs de communes rurales enclavées privées d’un accès direct au marché au profit d’intermédiaires cupides.
La pénurie de terres arables fertiles – elle-même due à l’explosion démographique – , la faiblesse des récoltes céréalières et la stagnation des productions agricoles du fait de cours injustes, non transparents et peu motivants… sont quelques uns des facteurs responsables de l’insécurité alimentaire en Afrique.
L’agriculture de subsistance n’a guère rempli sa mission par le passé. Or, elle constitue la colonne vertébrale des agricultures de nombreux pays en développement. Il s’agit d’une agriculture primitive, faisant fi de la mécanisation et de la recherche génétique, absorbant une main-d’œuvre pléthorique et générant des rendements extrêmement modestes.
De grands écarts géographiques
Même si l’ensemble de l’Afrique subsaharienne est touché, l’ampleur et la sévérité du déficit alimentaire diffèrent beaucoup d’un pays à l’autre.
Les contextes locaux expliquent cette diversité de situations. Ainsi, les pays abritant une proportion notable de personnes sous-alimentées se caractérisent par la dépendance vis-à-vis du marché extérieur pour les produits de base. Zambie, la République centrafricaine ou la Guinée appartiennent à cette catégorie. L’économie de ces pays à risque manque de diversité et les opportunités d’emploi sont minces hors de la sphère agricole. Les pouvoirs publics sont dépourvus des ressources budgétaires nécessaires pour soutenir l’agriculture. Dans ces pays, les populations rurales n’ont pas d’accès à l’eau potable et encore moins aux services de santé.
Quelques États, cependant, sortent du lot. Ils ont réussi là où d’autres ont échoué, parce qu’ils bénéficient d’une croissance régulière de leur PIB, d’une répartition plus harmonieuse des infrastructures de base, et parce qu’ils jouissent d’une plus grande stabilité politique. Tel est le cas du Ghana, du Gabon, du Cameroun et, dans une moindre mesure, du Mali.
Enfin, un troisième groupe de pays a vécu un faux départ. L’objectif d’une réduction de la faim chronique à moins de 50% de son niveau de 1990 a bel et bien été atteint par certains en 2015. Mais les guerres et les conflits qui déchirent un pays comme en Zambie ou les événements climatiques extrêmes, comme la sécheresse qui frappe le sud de Madagascar, ont eu raison des progrès accomplis en faveur du développement agricole et de la production alimentaire.
Expliquer la faim en Afrique
La recherche des causes de la faim en Afrique sont nombreuses. Nous en avons retenu trois :
- L’une des causes serait le surpeuplement du continent. Le taux de naissances excède la capacité de production alimentaire. La fécondité est trop élevée : près de 4,7 enfants par femme en moyenne, avec toutefois un progrès par rapport aux 6,2 enfants d’il y a 30 ans. La croissance des disponibilités céréalières ne suit pas le même rythme : ramenée au nombre d’habitants, elle a baissé de 10,5 % en 50 ans.
Figure 2 : L’impossible équilibre entre la croissance de la production céréalière et croissance démographique
- Tous les enfants des femmes malnutries souffrent de troubles de croissance, se manifestant par un déficit pondéral et l’émaciation. Ces « crucifiés dès la naissance », pour reprendre l’expression de J. Ziegler, étaient plus de 58,8 millions en Afrique en 2017. La malnutrition entraîne, à son tour, des conséquences irrémédiables lors des périodes ultérieures de la vie. L’enfant né avec un faible poids ne jouit pas de toutes ses facultés physico-intellectuelles, est plus vulnérable aux maladies, accomplit un nombre d’années d’études limité et réunit, in fine, toutes les conditions pour sombrer, à son tour, dans la pauvreté à l’âge adulte.
- Enfin, la pénurie de disponibilités alimentaires en Afrique serait à mettre sur le compte du changement climatique, à en croire le rapport de la FAO en 2018. La culture du maïs a pâti des épisodes de grande sécheresse survenues en 2015-2016 – tout comme celle du blé – alors que le riz souffre des pluies tardives et irrégulières. Fait plus inquiétant, 14 pays du continent figurent dans la liste des 27 pays les plus démunies face au stress hydrique.
La faim n’a rien d’une fatalité, et les récents progrès enregistrés en Angola, au Bénin ou au Maroc prouvent que l’Afrique dispose des ressources et de la technologie nécessaires pour mettre fin à ce fléau. Il est d’une nécessité absolue d’améliorer le rendement des campagnes céréalières au niveau des unités de production familiales. Investir dans l’irrigation, promouvoir la diversification et des associations culturales judicieuses, éduquer les exploitants aux pratiques propices à la gestion de l’érosion, à la nutrition améliorée et à la restauration du sol… iraient dans la bonne direction. Les producteurs retireraient ainsi de leur travail une nourriture suffisante et dégageraient ensuite des excédents afin de garantir durablement l’approvisionnement des marchés domestiques et internationaux.
John Mahrav