Comprendre les enjeux de l'agriculture

La famine est une menace récurrente en Afrique, elle frappe sévèrement les populations en raison de facteurs multiples. Celles-ci font face à de nombreux défis qui menacent leur sécurité alimentaire, allant de phénomènes extrêmes tels que la sécheresse ou les inondations aux problèmes socio-économiques tels que la pauvreté. Le continent africain doit aussi composer avec une forte croissance démographique. Au Kenya, ils sont une centaine d’organisations humanitaires à intervenir en 2022, pour aider les populations. Tous font le même constat, le changement climatique est désormais une composante de la vie des territoires, même si les Kenyans y contribuent peu ils doivent apprendre à s’adapter à ses effets. Les réponses apportées dans l’urgence par les programmes humanitaires ne sont que des « pansements », ils n’apportent pas une solution à long terme. Les États ont la responsabilité d’engager des politiques de transition, pour accompagner les populations vers des pratiques plus durables en termes de cultures, de protection des espaces encore boisés ou d’éducation des jeunes.

Les sécheresses dues au changement climatique se succèdent. Les épisodes pluvieux qui réduisent habituellement les effets de la sécheresse se raréfient et prennent un caractère extrême et furtif, ne laissant pas le temps au sol dégradé de retenir les eaux pluviales.

Vulnérable, le système agricole, principale ressource alimentaire et financière, n’est plus en mesure de garantir un approvisionnement alimentaire suffisant pour les familles rurales.

Directement dépendants des pluies pour l’irrigation de leurs cultures et pour l’alimentation de leurs animaux, les paysans peinent à faire face à cette sécheresse sans fin. Les faibles récoltes ne satisfont même plus les besoins alimentaires de base.

L’état de pauvreté et les inégalités socio-économiques qui frappent la population kényane la condamne à une famine extrême sans possibilité d’en sortir. Pour une partie, la question n’est plus de savoir ce qu’elle va manger mais quand elle mangera

La pénurie alimentaire s’impose à une population croissante dont le système agroalimentaire est défaillant. Il ne peut faire face aux besoins et ne prend pas en compte les obstacles climatiques ou la préservation environnementale.

Cet appareil productif doit donc s’adapter pour revenir à une capacité alimentaire minimum, et se développer pour produire plus.

L’autosuffisance alimentaire n’est envisageable que si la ressource en eau potable existe. Or, l’eau potable manque en certains points du territoire, les populations doivent parfois migrer vers de nouveaux points d’eau pour assurer leur survie et alimenter leur bétail.

En parallèle du réchauffement climatique, des comtés situés au nord du Kenya connaissent une instabilité politique avec des risques d’enlèvements ou de terrorisme, particulièrement dans les zones frontalières avec l’Éthiopie et le Sud-Soudan. Ces menaces privent les populations locales d’une aide d’urgence face à la famine.

Là où elles sont en mesure d’intervenir, les ONG déploient leurs actions pour atténuer les conséquences de la sécheresse :

  • Distribution alimentaire ;
  • Programmes agricoles ;
  • Amélioration des infrastructures.

Les Comtés de Wajir et de Garissa face à leur pire sécheresse en quarante ans

Le Comté de Wajir, au nord-est du Kenya comptait 140.000 habitants en 1979, au dernier recensement de 2019, ils sont plus de 780.000 à y vivre, ou plutôt à y survivre. Bordé par l’Éthiopie et la Somalie, le comté de Wajir est situé dans une zone aride et sa population est régulièrement confrontée aux pénuries alimentaires

Omary Kaseko est producteur d’émissions pour le service multimédia international Voice of Africa. Créé en 1942, il diffuse en ligne divers programmes culturels et d’information, en 47 langues.

Le réalisateur a capturé les effets de la sécheresse qui frappe durement le nord-est du Kenya, la pire depuis quarante ans selon les anciens. Dans son documentaire, intitulé  Hunger Voices : Kenya’s Food Crisis, il explique comment le réchauffement climatique aggrave l’insécurité alimentaire, décime le bétail et anéantit la production agricole. Le reportage expose l’impuissance des familles face à la disparition de leurs cheptels et de leurs ressources financières ainsi que la malnutrition qui frappe sévèrement les jeunes enfants.

On y découvre des paysans qui s’en remettent à Dieu, accessoirement à leur gouvernement, pour trouver l’aide qu’ils espèrent.

Les organisations internationales, ou locales, considèrent que ces crises alimentaires répétées menacent la stabilité des territoires et empêchent toute stratégie de développement économique.

Le reportage a été tourné au printemps 2023. Depuis, des pluies diluviennes se sont abattues sur les territoires mais leur intensité n’a fait qu’empirer la situation des populations et n’a pas amélioré la fertilité de sols trop desséchés pour profiter de ces eaux providentielles.

A Lago Village, dans le comté de Garissa, la population souffre aussi, elle ne dispose pas de centres de santé à proximité.  Sous-alimentée, elle doit payer pour accéder à une eau potable ou se contenter d’une eau salée qui la rend parfois malade.

Des équipes humanitaires passent dans les villages pour distribuer des doses alimentaires à base de pâte d’arachide. Ce sont les seules rations journalières dont disposent les femmes pour alimenter les membres de leur famille.

Les familles se contentent d’un repas par jour et ne sont plus en mesure de nourrir leurs animaux. Pour sauver une partie des bêtes, ils en vendent certaines. Même les chameaux, plus résistants, finissent par mourir. Après leur décès, les propriétaires récupèrent les peaux pour les valoriser comme matière première.

Les habitants les plus robustes parcourent de longues distances pour aller chercher de l’eau, souvent sans avoir mangé, selon Ahmed Ibrahim, directeur opérationnel à Save The Children.

Ainsi, une habitante explique qu’elle quitte son village à 7 heures pour se rendre à pied au point de remplissage où il faut parfois patienter, ensuite elle rebrousse chemin chargée de jerricanes pour rentrer vers 21 heures. Les besoins ne sont pas toujours couverts pour la consommation du foyer et celle des animaux.

Selon les autorités kényanes, plus de 4,35 millions d’habitants des zones arides et semi -arides sont victimes de pénurie alimentaire et privés d’eau. La situation pousse la société à modifier son organisation, les enfants sont déscolarisés pour assister leur famille, les filles étant dédiées à la quête d’eau.

La disparition du bétail, au moins 2,5 millions de têtes selon les Nations-Unies, bouleverse aussi la vie des habitants. Les animaux assistent les paysans dans les champs, transportent les denrées, assurent le déplacement des personnes et produisent les matières premières qui génèrent les revenus. Lorsqu’un animal affaibli risque la mort, il est nourri en priorité et reçoit une supplémentation par injection.

Par ailleurs, le gouvernement fournit du riz aux familles désargentées. Elles sont entièrement dépendantes de cette aide.

Répercussions sur la santé

La privation de lait causée par la disparition du bétail entraîne chez les très jeunes enfants des maladies et un sous-développement. Selon l’ONU, en 2022, 885.000 enfants de moins de 5 ans et plus de 115.000 femmes enceintes ou allaitantes présentaient des signes de malnutrition nécessitant des soins.

Au Wajir County Referral Hospital, des patients arrivent chaque jour, 40% d’entre eux présentent des signes de malnutrition dont 20% à un stade grave.

Abdulkarim Abey est au chevet de son fils malade, avec sa femme, ils ont quitté leur village à 3h du matin pour être pris en charge dès l’ouverture, laissant leurs autres enfants seuls au village.

Selon le médecin du centre, l’extrême pauvreté qui touche les habitants de ce comté aggrave les déficits, les familles n’ont pas les moyens de lutter et conduisent les malades trop tardivement. Les patients sont hospitalisés avec des séquelles parfois irréversibles.

Les malades, notamment les enfants, se présentent avec l’estomac ou le foie gonflé en raison de la malnutrition. Une mère qui accompagne son enfant malade explique que les repas se résument à une sorte de crêpe servie le matin, aucun autre repas ne complète cette ration journalière. Elle n’a pas l’argent pour conduire son enfant à l’hôpital de Nairobi où il serait pris en charge dans un service pédiatrique.

Répercussions sur l’éducation

A l’école primaire de Malkagufu, dans le comté de Wajir, les instituteurs comptent les absences, environ 5 à 10 enfants par classe.

Les raisons en sont multiples : malnutrition, sollicitation au sein du foyer, déscolarisation d’enfants livrés à eux-mêmes ou migration vers d’autres villages ou comtés.

Les écoles de la région disposent habituellement d’un programme nutrition qui vise à maintenir les enfants dans le système éducatif. En raison de la crise, le programme n’est pas assuré régulièrement et les écoles n’ont pas les ressources suffisantes pour autofinancer le maintien de celui-ci.

Hassan Ismail, chef du même village, a pour mission de rendre visite aux familles pour les inciter à envoyer leurs enfants à l’école. Parfois, il découvre l’enfant affaibli et alité, seul dans le foyer. Celui-ci est alors pris en charge par la communauté.

L’instabilité des effectifs en classe et l’affaiblissement des enfants obligent le corps enseignant à revoir les programmes, à créer des apprentissages courts et des contenus allégés.

Répercussions sur les traditions

Les filles sont globalement plus impactées que les garçons. Elles sont sursollicitées et défavorisées en matière d’accès à l’éducation.

Les difficultés financières et l’impossibilité pour les familles de régler les frais de scolarité se répercutent plus fortement sur les filles. Elles sont vouées de plus en plus jeunes au mariage, parfois dès l’école primaire.

De leur côté, les femmes, occupées par les trajets aux points de ravitaillement en eau, participent moins à l’organisation et à la vie sociale de leur foyer, voire du village.

Ann Kobia Gitonga, chargée des partenariats au sein de Panafrican Climate Justice Alliance (PACJA), constate la résignation des populations touchées par les effets du réchauffement climatique. Faute d’identifier les causes, les familles attribuent leur situation à un sort divin alors qu’elles payent le prix de pratiques humaines polluantes survenant ailleurs dans le monde. Sans prise en considération de ces crises et sans transition durable, ces situations d’urgence se renouvelleront en Afrique, telle une pandémie.

En 2022, 1,7 million de personnes ont reçu l’assistance de plus de 90 organisations humanitaires à la suite de la mobilisation du dispositif onusien Kenyan Drought Urgent Call. Ce dispositif permet de mobiliser des fonds et des moyens logistiques en urgence pour répondre à des situations extrêmes. Les efforts financiers accordés par les organisations internationales ont représenté un peu plus de $180 millions alors que les besoins sont évalués à $320 millions.

Sur le terrain, les acteurs estiment que les aides, y compris alimentaires, doivent transiter par les systèmes scolaires. Ceux-ci doivent disposer de programmes nutritionnels pour agir simultanément sur l’éducation et la nutrition. Ils permettent aussi de soustraire les jeunes filles aux mariages forcés.

Abdikadir Aden Hassan, fondateur de Garissa Million Trees, considère le changement climatique comme une contrainte permanente. Il faut donc former les populations aux pratiques résilientes et les initier à la protection des espaces boisés. Les espaces naturels préservent la fraîcheur, nourrissent les animaux et garantissent la biodiversité et la fertilité des sols. Il n’existe pas de politique de préservation des ressources, les habitants coupent les arbres pour se chauffer ou pour en faire du charbon. La présence d’un écosystème végétal permet d’optimiser l’hydratation des sols, même en cas de pluie faible.

Source: Youtube – Kenya, Inside Food Crisis