Le marché de gros est un maillon essentiel de la chaîne agro-alimentaire. Il est le lien entre le secteur de la production agricole et l’approvisionnement en denrées alimentaires. En amont, petits et grands producteurs assurent l’offre en produits frais tandis qu’en aval détaillants et restaurateurs s’y approvisionnent. Dans le contexte d’une urbanisation et d’une démographie croissantes, la demande s’intensifie, obligeant le marché de gros à s’adapter tout en étant soumis aux aléas du secteur agricole (climat, pénurie) et aux nouveaux objectifs durables. Ces sont des piliers de la sécurité alimentaire, ils peuvent présenter des particularités selon le pays dans lequel ils se trouvent. En effet, la stratégie nationale en matière d’échanges commerciaux (concurrence, quotas…) et de réglementations (alimentaires, sanitaires, fiscales…) impacte leur fonctionnement. Ces dernières années, de nouvelles considérations sont aussi à prendre en compte, comme la digitalisation, les énergies vertes ou la responsabilité sociétale. Les marchés de gros devront encore évoluer pour résister aux circuits alternatifs proposés par les centrales d’achat de l’industrie agroalimentaire.
Delphine Acloque est chercheuse au Centre d’études et de documentation économiques juridiques et sociales au Caire (CEDEJ). Elle a étudié l’organisation et la position des marchés de gros au sein des échanges agroalimentaires et dans les différentes parties du monde. Dans son rapport, elle décrit leur rôle et les challenges auxquels ils font face.
Le marché de gros, acteur de performance
Représentation physique des échanges commerciaux, l’offre et la demande s’y confrontent. Ce « grossiste alimentaire » est l’intermédiaire entre la production et la consommation.
A titre d’exemple, en 2022, le marché de gros de Rungis a vu transiter de nombreuses denrées dont en proportion de tonnages :
- Fruits & légumes 70% ;
- Produits carnés 16% ;
- Épicerie fine et alimentation générale 9% ;
- Produits de la mer 5%.
A Rungis, producteurs ou importateurs font face à une multitude d’acheteurs, commerçants, restaurateurs, voire centrales d’achat parfois.
Les vendeurs exposent leurs marchandises sur le « carreau », elles seront négociées en fonction du ratio offre-demande. La majorité des vendeurs est qualifiée de « grossiste de diffusion » (vente sur place) alors qu’une minorité est représentée par des « grossistes à service complet » (vente à distance et livraison des denrées).
Sur le plan mondial, la part des marchés de gros dans l’approvisionnement en denrées alimentaires oscille selon la zone géographique, ainsi, la part des fruits et légumes approvisionnée par les marchés de gros est la suivante (source : world union of wholesale markets, WUWM.org) :
- Amériques 60% ;
- Europe 40%
- Asie-pacifique 55%
Ces dernières années, les marchés de gros élargissent leurs prestations en proposant des services complémentaires en amont ou en aval de la chaîne, comme le sourcing ou des conditionnements spécifiques. Par ces actions, ils renforcent leur rôle économique en devenant un acteur territorial pour les collectivités.
De nouvelles responsabilités territoriales pour les marchés de gros
Nés au 19e siècle pour répondre à l’urbanisation et à l’industrialisation, les marchés de gros se sont vu attribuer des fonctions d’intérêt général, notamment en France dans les années 50, avec la création d’un réseau de marchés d’intérêt national (MIN) qui comptera une vingtaine de sites.
Avec l’arrivée de la grande distribution et le développement de l’industrie agroalimentaire qui déploient leur propre système de plateforme de transit, les marchés de gros vont perdre de leur influence. De puissantes centrales d’achat comme Aldi ou Lidl les relèguent au second plan, à titre d’exemple, en Allemagne, ces centrales détiennent presque la moitié des flux alimentaires.
La demande de consommation en mode local et direct bouleverse aussi le paysage de la distribution alimentaire, comme en France où on observe l’apparition d’associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP).
Pour éviter la disparition des marchés de gros, l’État français confie alors aux MIN de nouvelles fonctions :
- Participation à l’aménagement du territoire ;
- Participation à l’amélioration de la qualité environnementale ;
- Mise en place d’une stratégie visant la sécurité alimentaire.
Malgré cela, certains marchés seront privatisés, comme le MIN de Lyon. Délocalisé en périphérie, il passera de 74 grossistes à une vingtaine d’opérateurs, précisément ceux capables de s’acquitter du ticket d’entrée (environ 700.000 euros).
La crise alimentaire liée au Covid19 a toutefois mis en évidence le potentiel des MIN dans les stratégies à la fois territoriales et alimentaires. Ainsi, la région Île-de-France lance un nouveau projet, dénommé Agoralim qui réunit des acteurs privés et publics autour d’une stratégie globale d’aménagement et de distribution alimentaire portée par un grand projet de construction de hub agro-logistique. Ce projet verra le jour en 2025 à proximité du pôle logistique de Roissy, dans la banlieue parisienne.
Le cas des marchés de gros au Maroc
Depuis 1962, la quarantaine de marchés de gros nationaux marocains avaient le monopole de l’approvisionnement alimentaire mais une loi de 2021 a ouvert le marché aux agriculteurs qui peuvent désormais vendre directement, évitant les intermédiaires.
La création des marchés de gros visait à centraliser le flux des denrées, notamment pour imposer les transactions. Le dispositif s’est avéré peu efficace, en effet, les autorités ont mis à jour des fraudes au poids ainsi que l’apparition de marchés parallèles qui ont assuré jusqu’à 78% des transactions dans certaines régions.
Le royaume a donc décidé de revoir l’écosystème d’approvisionnement agroalimentaire, avec un défi récurrent, rétablir les marchés de gros initiaux et le cadre légal sans gonfler les prix alimentaires. Les décideurs nationaux trouvent un intérêt à la création de mégaprojets, véritables leviers de performance économique tandis que les acteurs régionaux craignent d’être défavorisés par la disparition des transactions locales.
Le marché de gros à l’épreuve des risques, notamment sanitaires
Les marchés de gros œuvrant dans les pays émergents ne font pas face aux mêmes défis que ceux des pays développés qui concentrent leurs efforts sur les transitions digitales, sanitaires et durables.
Les premiers sont encore dans une phase de montée en compétences pour faire face à l’urbanisation croissante en composant avec des infrastructures routières perfectibles et des ressources alimentaires fragiles. Dans ces conditions, le risque sanitaire est fort comme l’a démontré la pandémie de Covid19, un virus qui aurait trouvé son origine dans le marché de Huanan, en Chine.
Depuis cette pandémie, de nombreux États ont modifié les réglementations relatives à la sécurité sanitaire dans les marchés de gros. Ainsi, l’Amérique du Sud a imposé de nouvelles règles et procédures, parmi celles-ci :
- Usage obligatoire des gants ;
- Désinfection des contenants ;
- Suivi d’un protocole d’emballage et de stockage ;
- Obligation d’équipement en matière de contrôle des contaminations potentielles ;
- Instauration de contrôle à l’entrée des entrepôts.
Le marché de gros fournit les plus pauvres
Les échanges agroalimentaires mondiaux constituent une ressource alternative en cas de pénurie locale due à un conflit ou une situation climatique extrême (sécheresse ou inondation). Le marché de gros est un opérateur privilégié pour assurer le lien entre des producteurs étrangers et des détaillants locaux.
A Chennai (ex Madras), en Inde, le marché de gros assure une disponibilité permanente de poissons à un prix abordable pour les populations pauvres. A cette fin, il s’approvisionne auprès de différents producteurs toute l’année. Le marché de gros de Beyrouth garantit aussi un accès permanent à la ressource alimentaire, il procure en plus aux réfugiés syriens des opportunités d’emplois.
Ces coopérations internationales ne s’arrêtent pas à l’approvisionnement alimentaire, elles permettent aussi le financement de nouvelles infrastructures dans les pays émergents. L’acteur français SEMMARIS, spécialisé dans le développement et l’exploitation de marchés de gros, propose ses conseils et son expertise technique pour la création de nouveaux sites, à l’instar du projet nord-égyptien financé par l’Agence France Développement (AFD).
La World Union of Wholesale Market (WUWM), autre opérateur spécialisé, partage son savoir-faire avec des porteurs de projets dans le monde. Cet organisme gère plus de 200 marchés dans une quarantaine de pays.
Le marché de gros de demain
Comme tous les opérateurs économiques, les marchés de gros changent de visage :
- Développés sur la base d’une standardisation ou d’une normalisation profitable des produits, ils doivent désormais territorialiser leur stratégie avec des circuits courts rattachés au patrimoine local (labels, appellations protégées) ;
- Pour accélérer une transition digitale devenue incontournable, certains accueillent sur leur site des startups innovantes technologiquement, à l’image de Euralimentaire , un site du nord de la France qui en plus de ses services d’approvisionnement, incube une quarantaine de startups ;
- Et enfin, dans une optique de durabilité, les marchés de gros doivent optimiser la ressource alimentaire proposer des circuits de recyclage des invendus et limiter le gaspillage ou les pertes.
Les marchés de gros vont donc devoir proposer à la fois du régional pour légitimer leur rôle de catalyseur économique local et organiser des approvisionnements de provenance nationale, voire internationale pour garantir la sécurité alimentaire.
Source : Cairn