Comprendre les enjeux de l'agriculture

Durant le printemps 2022, la flambée des prix des céréales s’est répandue comme une trainée de poudre sur tout le continent africain. Au Maghreb, la crise des céréales s’est ajoutée à une sécheresse torride qui dure. En Afrique subsaharienne, certains pays ont renoncé à importer du blé trop cher à l’achat mais la céréale n’est pas le seul aliment de base.

 

Durant la campagne 2023-2024, les pays d’Afrique du Nord devaient  importer plus de blé tendre (30,3 Mt, source Conseil international des céréales) et de blé dur (3,7 Mt) que durant celle qui vient de s’achever. Ensemble, ils achèteront deux fois plus de grains qu’ils n’en récolteront (17,2 Mt de blé tendre et 3,5 Mt de blé dur) et ils sont prêts à en payer le prix.

Dans le Maghreb, le pain est un aliment de base essentiel. Plus de 200 kg sont consommés par personne et par an. Aucun gouvernement ne peut se permettre d’instaurer un quelconque rationnement.

L’Egypte sera le premier pays importateur au monde de blé (11,7 Mt) et l’Algérie, le troisième (8,4 Mt). Le royaume des pharaons doit la régularité de sa production de blé (9,9 Mt) à l’irrigation de ses cultures par le Nil. Mais cette année, l’Algérie (2,6 Mt) et la Tunisie (0,6 Mt) sont confrontées à une terrible sécheresse. Quant au Maroc (4 Mt), la priorité y est à la reconstitution de stocks (cf encadré). L’an passé, le royaume chérifien cumulait les catastrophes. Après la crise sanitaire de la Covid, il a été affecté par une sécheresse la plus torride de son histoire. Trois fois moins de blé (2,5 Mt) avait été récolté qu’en 2021.

 

Le conflit ukrainien : des pays en état d’urgence

« Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine au mois de février 2022, l’Union européenne a joué la carte de la transparence en mettant toutes ses céréales disponibles à l’export sur le marché, sans restrictions diplomatiques », souligne Yann Lebeau, Responsable du bureau Afrique d’Intercéréales.

La France a joué la carte de l’apaisement en fournissant du blé à tous les pays qui le demandaient. Mais à l’est de l’Union européenne, la Roumanie et la Hongrie ont tardé de vendre leurs grains en espérant que les cours des céréales dépasseront les records observés l’automne passé.

Mais aujourd’hui, ces cours sont revenus à leurs niveaux de 2021 car les marchés mondiaux des céréales sont à l’équilibre. L’offre mondiale de céréales est abondante. L’USDA a même annoncé une production mondiale record de blé de 800 Mt durant la campagne 2023-2024.

Tout au long de la campagne passée, l’Union européenne a exporté 36 Mt de blé et 10 Mt d’Orges en 2022-2023. L’Algérie, le Maroc et l’Egypte en ont acheté à eux seuls près de 10,2 Mt au cours des onze premiers de la campagne passée.

Dorénavant, le Maroc est le premier importateur de blé européen (4,5 Mt) et français (3Mt), suivi par l’Algérie et l’Egypte. En Afrique Subsaharienne, le Nigéria s’est fait livrer 2,6 Mt de blé européen sur les 5,9 Mt déchargées dans ses ports durant la campagne 2022-2023.
Les autres pays africains sub-sahariens n’importent individuellement que quelques centaines de milliers de tonnes de blé européen chaque année. Toutes origines confondues, ils n’en achètent qu’un ou deux millions de tonnes chacun .

 

Au total, le continent africain concentre un tiers des 194 Mt échangées dans le monde.

Quant à l’orge, seuls les pays maghrébins en importent (3 Mt). Ils ne se fournissent quasiment pas sur le marché européen. Ils privilégient d’autres origines : la Russie, l’Ukraine, le Canada.

La Tunisie (370 000 t) est le troisième pays destinataire de la céréale exportée depuis les ports européens loin derrière la Chine (2 Mt) et l’Arabie saoudite (1,2 Mt).

 

Les stratégies d’approvisionnement publiques et privées

Le conflit armé en Ukraine et la flambée des prix des grains ont mis en exergue le coût de l’insécurité alimentaire des pays de la côte sud de la Méditerranée induite par leur dépendance structurelle aux importations de céréales.

Or la capacité de croissance de leur production de grains est très limitée.

« Dans un proche avenir, l’Algérie projette de produire dans le désert 5 Mt de blé en puisant dans des nappes phréatiques l’eau nécessaire pour irriguer ces cultures, souligne Yann Lebeau. Les autres pays sont otages d’épisodes de sécheresse récurrents dont ils ne maitrisent pas ni la fréquence, ni l’intensité ».

En Egypte et en Tunisie, les importations de céréales sont exclusivement gérées par des offices publics. Dès que la crise céréalière s’est déclenchée, l’office algérien interprofessionnel des céréales a décidé de prendre en main l’ensemble de l’approvisionnement des céréales et des légumineuses pour les revendre aux moulins privés et publics à des prix subventionnés.

« Au Maroc, des opérateurs privés achètent les céréales aux cours mondiaux, rapporte Yann Lebeau. Mais le gouvernement prend le soin d’aligner le prix du blé importé sur celui de son marché intérieur (260 €/t) en le subventionnant jusqu’à 200 € la tonne ». Les consommateurs marocains n’ont pas les moyens d’acheter leur pain deux ou trois plus cher qu’en 2021.

« Quelle que soit la forme choisie, les pays d’Afrique du Nord n’ont pas lésiné sur les moyens pour que le blé importé payé au prix fort reste une denrée abordable pour les consommateurs tout en protégeant leur marché intérieur de la flambée des cours mondiaux », affirme ce responsable du bureau Intercéréales.

Lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, l’ensemble des pays maghrébins n’avait qu’un espoir : que la crise ne dure pas ! Leurs stocks étaient limités voire dans certains pays inexistants.

Ils n’étaient pas tous armés financièrement pour faire face la crise.

Les débuts de la campagne commerciale marocaine

« Le Maroc est d’ores et déjà très présent en ce début de campagne car le pays veut reconstituer ses stocks en plus d’approvisionner son marché intérieur, explique Yann Lebeau, responsable du bureau Afrique d’Intercéréales. Le royaume pourrait acheter jusqu’à 4 Mt de blé tendre au cours des douze prochains mois, selon le CIC. « Mais comme les prix sont revenus à leur niveau d’avant le conflit ukrainien, 5 Mt pourraient même être importées », ajoute l’expert des marchés. Les taxes à l’import sont nulles et le pays peut compter sur la vitalité de son économie, sur ses exportations de biens industriels et le tourisme pour avoir les devises nécessaires pour financer ses achats.

Il donnera la priorité à l’Union européenne qui a su, à tout moment, l’approvisionner même au plus fort de la crise.