Comprendre les enjeux de l'agriculture

Rodeo est la plus ancienne ville du raffinage de l’Ouest américain. Touchée par plusieurs épisodes de pollution dans son histoire, elle a accueilli avec satisfaction le projet de réaffectation du site de production pétrolière Phillips 66 en usine de production de biocarburants. La promesse d’une économie locale plus verte s’assombrit quelque peu lorsque les experts environnementaux analysent le projet dans sa globalité. Dans le même temps, de l’autre côté de l’Atlantique, l’ONG Transport & Environment fustige aussi l’engouement des Européens à favoriser ce biocarburant consommateur d’espaces agricoles habituellement réservés à la production alimentaire. Dans les deux cas, les détracteurs critiquent le manque d’exhaustivité des études préalables aux nombreux projets de biocarburant qui se préparent à travers le monde, notamment en ce qui concerne les impacts sur la sécurité alimentaire et l’incohérence en matière de politiques de transport.

 

Globalement, la disponibilité en céréales s’est tendue sur la dernière campagne 2022-2023, l’Argentine a connu une sécheresse qui a réduit ses exportations de soja, l’Europe a interdit plusieurs pesticides utilisés dans la production de colza. Dès le 25 avril, c’est la France qui restreint les exportations maritimes de céréales en interdisant l’usage de la phosphine en tant que traitement insecticide des cargaisons à destination de nombreux continents, dont l’Afrique.   Et enfin, l’Ukraine a dû réduire ses exportations d’huile de tournesol.

Malgré cela, les gouvernements incitent les producteurs à étendre l’industrie du biocarburant, une activité qui dispose de l’appui de l’opinion publique et qui entre dans leur politique de réduction des énergies fossiles et des émissions de CO2.

Entre le ralentissement de la production d’huiles végétales et l’accroissement de la demande pour la production en biocarburant, les experts comme ceux de l’institut d’analyse indépendant Oil World, prédisent des pénuries sur le deuxième semestre 2023. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande devrait favoriser l’huile de palme alors que sa culture est critiquée pour ses impacts sur la déforestation et le respect des conditions de travail des ouvriers agricoles. De plus, l’Indonésie et la Malaisie, principaux pays producteurs d’huile de palme ne pourront satisfaire la totalité de la demande croissante. Leurs producteurs respectifs ont souffert d’une météo défavorable et le rythme de renouvellement des vieilles plantations est insuffisant pour espérer le maintien du niveau de production.

La transition vers le biocarburant n’est pas exempte de risques pour l’environnement et les populations. Les études préalables aux projets de fabrication de biocarburants couvrent un périmètre d’analyse trop restreint et sont conduites en faveur de politiques énergétiques arbitraires alors que de nombreux experts rappellent que le mix énergétique reste incontournable, soit parce que la production d’énergies alternatives n’est pas suffisante, soit parce que son coût de production est encore trop élevé.

L’Agence internationale de l’énergie indique aussi que favoriser l’utilisation des huiles à des fins énergétiques plutôt qu’à un usage alimentaire pourrait accentuer l’insécurité alimentaire et favoriser l’industrie du transport, mettant en péril les projets de décarbonation.

Projet de biocarburants à Rodeo

En 2020, les habitants de Rodéo, en Californie, ont appris que leur site d’exploitation de pétrole brut de 1100 hectares, né en 1893 allait être revalorisé en un complexe de production de biocarburants.

Phillips 66 est l’initiateur de ce nouveau projet de production et de commercialisation d’énergie verte. Cette société américaine, dont le siège est basé à Houston au Texas, emploie plus de 14.000 personnes dans 45 pays. Spécialisée dans la production de gaz naturel et la pétrochimie, elle exploite des stations services aux États-Unis sous sa propre marque commerciale.

Dans le cadre de son projet de transformation à Rodéo, elle annonce une réduction de 50% des émissions de GES, un argument rapidement mis à mal par le rapport d’impact environnement :

  • Les chiffres prédisent une réduction de seulement 1% des émissions de GES ;
  • Le raffinage des sous-produits pétroliers se poursuivra indépendamment ;
  • La nouvelle activité doit générer un trafic supplémentaire, par voie maritime et ferroviaire ;
  • Le processus de fabrication nécessitera une consommation accrue de gaz naturel.

Toutefois, ce projet aura le mérite de constituer une première expérience de terrain et permettra de réaliser un bilan réel des impacts et contraintes sur le territoire, la population ou l’environnement. D’autres projets similaires sont programmés à travers tout le pays ainsi qu’en Europe et en Asie, ils consistent en une reconversion de raffineries.

Dans ce contexte, le projet de Rodéo, dénommé Rodeo Renewed, servira de test. Phillips 66 affirme que la réduction des émissions sera conséquente au niveau de la combustion par les véhicules. Pour Jolie Rhinehart, Directeur du site, le transport routier reste vital pour le développement économique du pays et le diesel renouvelable permet d’assurer un approvisionnement énergétique propre, le plus propre à ce jour selon lui.

Rodeo est l’illustration de la ville en transition post-industrielle. Située en face de San Francisco, elle héberge la raffinerie Phillips 66 mais aussi d’autres raffineries, une fonderie de plomb et une manufacture d’explosifs. La plage ne permet plus la baignade en raison des pollutions et les habitants présentent un taux de maladies supérieur par rapport aux autres habitants de l’État, une situation aussi induite par la pauvreté qui y règne.

Le diesel vert sera produit à partir d’huile de soja ou d’huile de cuisson usagée et sera utilisable dans les véhicules sans que ceux-ci ne subissent de travaux d’adaptation. Annoncé en 2020 et approuvé en 2022 par le Conseil de surveillance du Comté, le projet de Rodeo Renewed devrait voir le jour en 2024

Le porte-parole de Phillips 66 argumente que le désaccord sur le niveau de réduction des émissions de GES réside dans la prise en compte, par les autorités locales, des autres raffineries de la région pour lesquelles l’entreprise conserve les permis d’exploitation.

Le devenir de ces raffineries est incertain, Phillips 66 envisage leur arrêt au démarrage du nouveau projet. Dans le même temps, l’entreprise rappelle que le traitement des sous-produits du pétrole, comme les huiles de vidange, permettrait la production de matériaux nécessaires aux batteries électriques.

Pour les chercheurs, le biocarburant émet certes moins de GES lors de sa combustion mais l’exploitation des terres agricoles pour produire le maïs et le soja nécessaires à sa fabrication en anéantit le gain. De plus, les réductions annoncées se basent sur des modèles de production d’énergie verte encore mal maîtrisés et en comparaison avec un rythme élevé de production pétrolière, sans compter que la cessation de la raffinerie prévoit la suppression d’un oléoduc remplacé par un transport alternatif (maritime et ferroviaire).

Aux vues des désaccords sur les chiffres des uns et des autres, les habitants n’ont d’autre choix qu’attendre le lancement du projet Rodeo Renewed en restant attentif aux risques de pollutions.

Biocarburant ou sécurité alimentaire ?

Selon l’ONG Transport & Environnement, outre l’incohérence de condamner des surfaces agricoles en période d’insécurité alimentaire, voire de famines en certains points du globe, la production de biocarburant est une façon de ne pas considérer la nécessaire transition dans les approvisionnements, en réduisant les besoins en transport et en reconnectant l’offre et la demande localement.

Les 10 millions d’hectares de surfaces agricoles européennes réservées à la culture en faveur de biocarburants pourraient nourrir 120 millions de personnes selon l’ONG.  La mise en jachère de ces terres absorberait deux fois plus de carbone que le gain d’émission engendré par la combustion du biocarburant. Produire la même quantité d’énergie par le solaire nécessiterait seulement 2,5% des terres réservées à la production de biocarburant.

Pour Maik Marahrens, chargé des questions de biocarburant au sein de l’ONG , brûler des aliments ou utiliser des cultures vivrières est une hérésie. Sur ce dernier point certains membres de l’UE comme l’Allemagne et la Belgique envisagent d’interdire les biocarburants produits à partir de cultures vivrières.

Le développement du biocarburant est porté par des pays ou des territoires d’influence comme les Etats-Unis, l’Europe, le Brésil ou l’Indonésie, entraînant une concurrence risquée avec les usages alimentaires.

 

Sources : zone-bourse.com, auto-infos.fr