Comprendre les enjeux de l'agriculture

La coopération interétatique dans le domaine agroalimentaire contribue fortement à la sécurité alimentaire comme le rappelle Marion Guillou, ancienne Directrice de l’INRAE et coordinatrice d’Agrimonde, un ouvrage qui traite des différentes projections d’évolution à partir des systèmes agroalimentaires existants. Les échanges mondiaux compensent les pénuries alimentaires locales mais ils génèrent aussi une concurrence entre production domestique et importation. La pandémie du Covid a mis en évidence les dangers d’une dépendance alimentaire  pour la stabilité sociale et le fort potentiel économique des filières agroalimentaires. Le multilatéralisme cède désormais du terrain au souverainisme.

Le multilatéralisme prend la forme d’accords commerciaux entre des États qui normalisent leurs échanges sur le plan fiscal, sanitaire et quantitatif. Le mécanisme permet de créer un écosystème mutualisé et stable au sein de certaines zones économiques, à l’image de l’Union européenne qui protège les États membres par des normes communes applicables aux importations de denrées alimentaires.

Le centre d’études et de prospective (CEP) du ministère français de l’Agriculture et de l’Alimentation a analysé l’évolution des coopérations internationales dans le secteur agroalimentaire, notamment à travers les négociations, les objectifs et les formes de participation des différents acteurs. L’analyse a donné lieu à une note intitulée Questions agricoles dans les enceintes du multilatéralisme. Celle-ci évalue les tendances et stratégies mises en œuvre par les États.

Depuis quelques années, les pays en voie de développement contestent la représentativité de certaines institutions nées du multilatéralisme. Portées par des organisations de renom comme les Nations-unies, ces instances de coopération internationale conserveraient des mécanismes et des modes de pensées hérités de l’époque coloniale, leur élargissement à la contribution privée n’est pas non plus perçu comme un gain pour les pays en voie de développement.

Le désengagement des États-Unis vis-à-vis de certaines, Accords de Paris, Unesco, OMS… a fragilisé la légitimité de ces représentations. La crise du Covid et ses confinements successifs ont renforcé les tendances nationalistes. Dans ce contexte, l’autonomie alimentaire, l’indépendance normative et les relocalisations prennent sens.

Négociations agricoles, entre développement et souverainisme.

Dès les années 70, des désaccords sur la question des échanges agricoles internationaux opposent le  General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

Les négociations multilatérales entamées à Doha en 2001 sont les dernières engagées entre les États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elles visent à libéraliser les échanges en facilitant l’accès aux marchés.  Ces négociations, maintes fois reprises, n’ont pas abouti, sans que l’OMC se résigne à les déclarer infructueuses. Un échec mettrait en porte à faux l’organisme et en évidence la nécessité de transformer cette institution de coopération internationale. Les crises, économique, sanitaire ou environnementale, justifie un retour au protectionnisme, ce qui représente une menace pour les membres « historiques » de ce type d’organisation, notamment au moment ou de pays dits « sous-développés » émergent sur le plan économique.

Les négociations de Doha butent encore sur le degré d’ouverture des pays en voie de développement. Des travaux menés en 2005 par le Département des Sciences économiques de l’université de Montréal tendent à démontrer que le degré d’ouverture d’un pays impacte sa croissance économique, celui-ci se mesure en calculant le ratio de ses exportations plus ses importations rapportées au PIB. Cette étude appuie la stratégie de libéralisation des marchés agricoles, l’ouverture d’un pays stimulant l’investissement étranger, le transfert de compétences et de technologies. L’auteur de l’étude, Nadia Lemzoudi, modère toutefois ses conclusions en précisant que ce bénéfice est réel lorsque le pays a atteint une certaine maturité économique et structurelle lui permettant d’en jouir.

Le succès des négociations est aussi entravé par les hausses de prix des denrées agricoles et le réflexe de stopper les échanges dans un souci de sécurité alimentaire domestique. Ces flambées de prix se répètent sur ces vingt dernières années, entraînant une augmentation des populations en insécurité alimentaire.

S’ajoute la question environnementale, qui s’invite dans le débat agricole. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) portée par le Programme des Nations-unis pour l’environnement et par son groupe d’experts internationaux, implique directement le secteur agricole dans la capacité de résilience environnementale. C’est à travers une politique de régulation du foncier et des pratiques agricoles que les États contribuent à la préservation environnementale, et qu’ils renforcent le rôle du secteur agricole dans le captage du carbone.

Doha n’a pas abouti mais quelques 350 accords commerciaux ont été signés, certains d’entre eux restent suspendus :

  • Rejet wallon de l’accord commercial et économique global entre le Canada et l’Union européenne (CETA) ;
  • Rejet français du traité entre l’Union européenne et le Marché commun du Sud (Mercosur) ;
  • Rejet d’organisations agricoles philippines sur le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), un accord entre une quinzaine de pays autour du Pacifique (RCEP).

Afin de faciliter la ratification des accords, les auteurs de ces projets coopératifs y intègrent des volets d’appui au développement économique et/ou environnemental. Environ 130 pays participant à la COP15 ont adopté une politique environnementale impliquant le secteur agricole et, plus récemment, une centaine de pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane.

 

De nouveaux intervenants dans les discussions

La question agricole a pris de l’ampleur au sein de certaines instances de concertation internationale, à l’image du G8 qui s’est engagé, en 2010, à verser $20 milliards pour transformer durablement l’agriculture. En 2011, ce sont les ministres de l’Agriculture qui ont ratifié, en marge du G20, le Agricultural Market Information System (AMIS), un outil de partage des données sur les prix des denrées agricoles. Cette rencontre interministérielle est désormais reconduite à l’approche de chaque réunion du G20.

Les négociations agricoles menées dans le cadre du multilatéralisme concernent désormais un plus grand nombre d’institutions de coopération internationale et se conduisent dans une optique plus environnementale. Le sujet agricole devient un sujet de sécurité alimentaire, de développement durable et économique, de lutte climatique…

En parallèle, des acteurs gouvernementaux, les membres des institutions de coopération mettent en place de nouvelles organisations qui permettent une meilleure représentation de la société civile, des entreprises ou du monde scientifique.

Ainsi le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) porté par les Nations-Unis a créé :

  • Le Mécanisme de la société civile (MSC) ;
  • Le Mécanisme du secteur privé (MSP) ;
  • Le Panel d’experts de haut niveau (HLPE).

Ces représentations rendent compte, à travers le CSA, à l’Assemblée générale des Nations unies et à la FAO. A titre d’exemple, le MSP apporte sa contribution sur la chaîne de valeurs agroalimentaires tandis que le HLPE a participé à l’élaboration des Directives visant une meilleure gestion des régimes fonciers agricoles, forestiers et maritimes.

Le nombre d’instances de réflexion sur les questions de coopération internationale reste toutefois majoritairement gouvernementales, citons :

  • L’Organisation mondiale du Commerce (OMC) ;
  • La Food and Agriculture Organization (FAO) ;
  • La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) ;
  • Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) ;
  • La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ;
  • La Convention sur la diversité biologique (CDB) ;
  • La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) ;
  • Le Sommet des Nations-unies sur les Systèmes Alimentaires.

Les acteurs privés, autrefois simples auditeurs, ont « professionnalisé » leur participation, portés par la préoccupation croissante des États en matière de sécurité alimentaire et grâce à leurs capacités en termes d’innovation et de transformation.

Ce renforcement de leur présence au sein des institutions de coopération inquiète les ONG qui craignent une divergence d’intérêts dans les processus de décision. Les scientifiques redoutent aussi l’exploitation de leurs travaux dans une démarche économique et opérationnelle à court terme, fermant la porte à une Recherche plus fondamentale.

Pour conserver la légitimité de ces organisations, la participation d’acteurs non étatiques doit être formalisée, y compris dans l’adhésion de ceux-ci aux objectifs des organisations.

Si le multilatéralisme veut subsister dans le débat agricole, il doit donc s’ouvrir aux questions environnementales ou de développement socio-économiques et poser le cadre des interventions de chacun. L’implication de la société civile ou du secteur privé dans les négociations internationales est à priori le gage d’une meilleure représentativité.

 

Source : Ministère de l’Agriculture français