Comprendre les enjeux de l'agriculture

En 2020, Guillaume Blanc a dénoncé dans son ouvrage l’ingérence des pays développés dans la politique de préservation des espaces protégés, particulièrement sur le continent africain. Il dénonce la mise en œuvre de programmes non concertés avec les populations locales. La stratégie de mise « sous cloche » des espaces africains hébergeant des espèces menacées répondrait aussi à des intérêts touristiques. Certains y voient l’opportunité d’un colonialisme sur fond d’écologie alors que d’autres considèrent ces espaces comme des expérimentations à ciel ouvert pour un développement durable.

Dans son livre « L’Invention du colonialisme vert, pour en finir avec le mythe de l’éden africain », Guillaume Blanc décrit l’histoire du colonialisme vert qui puise sa source dans le concept du « paradis perdu ».

Début 19e, les Européens découvrent une nature africaine « vierge et authentique » qu’ils vont s’empresser de protéger en créant des parcs, principalement dans la moitié sud du continent. Dans les années 60, les colons s’approprient ces territoires décrits comme des espaces menacés par l’homme et qu’il faut défendre. Dans la réalité, ces espaces ne sont pas des zoos à ciel ouvert tels que les visiteurs le perçoivent, ce sont des lieux de vie pour des populations autochtones.

Sous le motif de protéger la faune, les organisations chassent les populations de leur territoire, les privant de ressources locales issues des cultures et de l’élevage.  Les programmes de préservation, soutenus par l’Unesco, WWF ou d’autres, visent la préservation des espèces menacées d’extinction au détriment des populations entraînant leur appauvrissement, voire une opposition locale.

Ces parcs satisferaient aussi des intérêts économiques et touristiques. Les visiteurs y découvrent une faune en voie d’extinction et  « mise en danger » par les autochtones, même si l’afflux de touristes menace lui-même l’écosystème.

Les autochtones ont toujours cohabité avec leur écosystème naturel, lorsqu’ils ne le font pas, c’est souvent pour répondre à des projets d’aménagements commandités et/ou financés par des fonds en provenance de pays de l’hémisphère nord.

Tandis que l’agropastoralisme européen, ses bergers et ses agriculteurs sont considérés comme des acteurs légitime du paysage, à l’image du classement au patrimoine de l’Unesco des pâturages cévennois en 2011, leurs homologues africains sont considérés comme une menace pour leur propre environnement.

En Éthiopie, dans la région montagneuse du Simien, l’Unesco considère que les bergers et agriculteurs dégradent les espaces poussant le gouvernement éthiopien a l’expulsion de quelques milliers.

Cette tendance se répète au cœur des 350 pars nationaux recensés en Afrique. On estime que plus d’un million de personnes ont été expulsées, parfois abattus par des gardes lorsqu’ils entrent illégalement dans ces espaces.

Selon l’auteur, le fantasme d’une nature africaine idéalisée ne peut s’imposer à l’Afrique et justifier les initiatives lancées et soutenues par les organisations. Après son industrialisation, l’Europe a vu l’Afrique comme un nouveau continent à préserver, pour ses intérêts plus que ceux des Africains.

Le droit à la terre est fondamental pour les populations locales, elle représente la sécurité alimentaire et le socle d’une organisation humaine, familiale, locale ou régionale.

Avec l’indépendance des États africains, les ex-colons deviennent les nouveaux experts de l’Afrique, chargés de poursuivre les missions de ces parcs et d’assurer leurs financements par divers levées de fonds. Le World Wildlife Fund (WWF) est l’un des instruments créé au service de cette stratégie.

Malgré l’indépendance qui a suivi, les Chefs d’États continuent de laisser des intérêts étrangers s’impliquer dans la gestion de ces espaces. Les parcs représentent une source de revenus mais ils sont surtout l’opportunité d’un soutien international face aux opposants locaux.

Aujourd’hui, quelques voix s’élèvent pour demander une gestion souveraine des parcs avec des ambitions nationales en faveur des espèces mais aussi des communautés locales. La requête vaut aussi pour les espaces forestiers dits primaires mais qui sont en fait façonnés depuis toujours par les Africains, comme les Européens l’ont fait sur leur continent.

L’Afrique se développe tout en bénéficiant de l’expérience passée des autres continents, notamment en termes de risques environnementaux, mais elle ne peut accepter de « geler » son développement pour servir d’autres intérêts. La population africaine attend une transition à tous les niveaux : santé, éducation, emploi, sécurité alimentaire….

Biodiversité : une protection sporadique ne suffit pas

La protection de la biodiversité n’est pas que l’affaire de l’Afrique, ce continent ne peut compenser à lui-seul les effets néfastes de l’industrialisation ou du mode consumériste qui perdurent sur les autres continents.

Didier Babin, Christian Leclerc et Didier Bazile sont chercheurs au CIRAD, ils analysent les différentes directives prises à l’occasion des grandes rencontres internationales et qui traitent des questions environnementales.

Parmi les mesures décidées à l’occasion de la Cop 15 figure l’établissement d’au moins 30% d’espaces protégés. Cette nouvelle ambition succède aux dispositions prises à Nagoya en 2010 mais peu suivies d’effets.

Les 17% d’aires terrestres actuellement protégées (et 10% de zones marines) sont le fruit d’une coordination entre différents acteurs :

  • Des écologistes gardiens de l’intérêt environnemental ;
  • Des pouvoirs publics conscients de la portée politique de telles initiatives ;
  • Des financeurs désireux de soutenir l’économie verte.

Pour certains, la question de réserver des zones à la conservation est discutable parce qu’elle cible des populations soudainement privées de ressources alors que la protection de la biodiversité est une question globale.

Si l’objectif est trop ambitieux, ils engendrent des bouleversements importants sur les territoires concernés et peuvent les déstabiliser politiquement et économiquement. Toute politique de préservation devrait s’accompagner d’initiatives pour aider les populations à transformer les pratiques, à tous les niveaux :

  • Exploitation terrestre et marine ;
  • Exploitation des organismes ;
  • Risques d’envahissement par des espèces exotiques ;
  • Participation au réchauffement climatique ;
  • Pratiques polluantes.

Les experts estiment que 20% de l’effort financier devrait porter sur la protection, le reste étant destiné à conduire les transitions vers des pratiques durables de la part de la société civile (modes de vie, consommation), des acteurs économiques (industriels, agriculteurs …) et des pouvoirs publics (intégration du volet conservation dans les décisions publiques).

Dans un même temps, il faut remettre en cause les politiques qui n’agissent pas en synergie avec la protection des espaces, comme les subventions pour la pêche, l’agriculture ou la foresterie qui poussent les exploitants à s’étendre.

La biodiversité sous tension

De nombreux facteurs pèsent sur les objectifs fixés lors de la Cop 15 :

  • La démographie croissante ;
  • La pression foncière ;
  • Les besoins en surface agricole ;
  • Les activités d’extraction ;
  • La demande en viande de brousse.

L’indépendance africaine reste relative lorsque le continent se voit proposer un allégement de sa dette en échange de projets voulus par les États des autres continents.

Depuis la crise sanitaire, la gestion des parcs n’apporte plus les mêmes revenus, entre la réduction des droits d’entrée et du nombre de visiteurs, à laquelle s’ajoute des moyens supplémentaires nécessaires à la protection des espaces.

Certains États ont confié la gestion des parcs à des ONG délégataires qui protègent parfois militairement ces espaces des braconniers et autres groupes armés.

Le haut niveau de protection d’un parc préserve efficacement sa faune et sa flore mais les expériences de conservation communautaire donnent aussi de bons résultats, à l’image de Conservancies (Namibie), Campfire (Zimbabwe), Village Land Forest Réserves (Tanzanie).

Les 200.000 parcs inventoriés par International Union for Conservation of Nature (IUCN) sont classés en 6 catégories :

  • Catégories 1 à 3 : conservation stricte ;
  • Catégorie 4 : conservation moyenne ;
  • Catégories 5 et 6 : conservation en interaction avec des populations

Pour nuancer les propos de l’auteur Guillaume Blanc, la majorité des aires créées ces dernières années prend en compte l’activité humaine et son développement.

Les parcs ne sont pas l’unique forme de conservation. Des initiatives complémentaires visent à encadrer l’activité humaine dans un objectif de conservation de la biodiversité. L’objectif de 30% d’aires protégées doit prendre en compte toutes les initiatives confondues pour être tenable.

Les scientifiques estiment que cet objectif de 30% appellera un budget situé entre $100 et $178 milliards dont les fonds ne sont pas encore réunis.

Sur le plan environnemental, les aires protégées (parcs, espaces réglementés, zones d’activités respectueuses) constituent des initiatives expérimentales qui devraient inspirer à l’avenir toutes les formes de développement humain sur la planète.

Source : The Conversation