Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’hydrogène vert est dans tous les esprits concernant la mobilité de demain, qu’il s’agisse du déplacement routier, ferré, aérien ou maritime. Cette énergie est présentée comme l’alternative aux carburants fossiles. En Europe ou en Asie, les États priorisent ce sujet jusqu’à en faire une question nationale, à l’image du Japon et de la Corée. Les plus optimistes envisagent de faire rouler tous les citoyens à l’hydrogène d’ici dix ans, les autres tempèrent en rappelant que cette ressource n’a d’intérêt que si sa production est verte. Or les infrastructures nécessaires à cette production appellent d’imposants budgets, à l’image des milliards investis par la France et l’Allemagne dans leur filière H2.

L’hydrogène (H2) est une molécule présente naturellement sur terre mais elle doit être isolée pour devenir utilisable en tant que ressource mobilité. Cette opération s’appuie sur différents procédés :

  • Vaporeformage à partir de méthane, une solution abordable mais qui libère le CO2 contenu dans le méthane ;
  • Electrolyse à partir d’une molécule d’eau (H2O), une solution plus coûteuse, particulièrement lorsqu’elle mobilise de l’énergie éolienne ou solaire.

L’hydrogène est stockée puis restituée sous forme d’électricité par une pile à combustible. Sa consommation ne produit alors aucune émission.

Les transports concernés

Les constructeurs automobiles offrent alors un véhicule électrique propre sans la contrainte du temps de charge. Il faut seulement trois minutes pour recharger le véhicule en hydrogène, un argument vite relégué en raison du coût de cette énergie alternative.

Les stations de production d’hydrogène coûtent environ un million d’euros l’unité et la manipulation de l’hydrogène produite reste contraignante. En cas de fuite, l’hydrogène se disperse plus rapidement que le gaz naturel ou les vapeurs d’essence, et forme une nappe explosive. Ces risques limitent son transport.

Si la solution n’est pas déployable à grande échelle, elle peut présenter un intérêt pour les professionnels qui travaillent avec des flottes et centralisent le rechargement de leur flotte en un même lieu. Ainsi, Toyota a livré des berlines à hydrogène à des sociétés de taxis parisiennes auxquelles elle apporte son soutien pour la construction de stations à hydrogène.

Le transport public s’y met aussi, des bus H2 roulent déjà en Europe et certaines villes françaises, comme Dijon ou Le Mans, investissent dans des camions-bennes H2 pour le ramassage des ordures.

Dans le cas des transports lourds (trains ou camions de frêt), l’alternative hydrogène permet de contourner la problématique de la place occupée par les batteries en version électrique et, pour le transport ferroviaire, dispense des opérations d’électrification des voies.

Le transport maritime, très en retard sur le plan énergétique, envisage de basculer directement du diesel à l‘hydrogène. L’armateur français CMA-CGM a lancé Energy Observer, un catamaran d’expérimentation équipé de capteurs éoliens et solaires et d’une pile à combustible Toyota avec un hydroliseur. Un deuxième bâtiment d’expérimentation sortira en 2022, l’objectif est d’approcher une capacité d’allure de 18 nœuds pour intéresser le transport maritime. La vitesse des ferrys actuels est d’environ 20 à 25 nœuds.

Quant au secteur aérien, aucun déploiement n’est attendu avant une quinzaine d’années. Les quelques essais réalisés, comme ceux de l’entreprise française Mauboussin, concernent l’aviation privée et ne sont pas adaptés à l’aviation commerciale.

Toutes ces ambitions ont un coût, la France prévoit un budget de sept milliards d’euros pour atteindre les 10% d’hydrogène produits écologiquement. Le niveau d’investissement traduit les espoirs placés par la France dans cette énergie qui offre une pollution zéro, une autonomie énergétique et un rechargement rapide du véhicule. Aujourd’hui, la France dispose de 25 stations à hydrogène.

Le Maroc, une référence selon McKinsey

En juillet dernier, au Maroc, Consolidated Contractors (CCC), première entreprise de construction du Moyen-Orient et Fusion Fuel Green, société portugaise de production d’hydrogène vert, ont signé une convention pour le développement du projet HEVO Ammoniac Maroc.

Ce projet, financé à hauteur de $865 millions, prévoit le développement des infrastructures, de la sécurité, du transport et de la logistique pour produire l’ammoniac et l’hydrogène verts sur le territoire marocain.

Pour le responsable du développement commercial de Fusion Fuel Green, le Maroc a le potentiel de devenir le leader de la production et de l’exportation d’hydrogène vert.

Les objectifs sont de produire :

  • Ammoniac vert : 3.650 tonnes en 2022 et 60.000 tonnes en 2025 ;
  • Hydrogène vert : 616 tonnes en 2022 et 10.000 tonnes en 2025.

A terme, le Royaume disposera de la plus grande ferme d’hydrogène et d’ammoniac verts dont il réservera la production aux exportations vers l’Europe. Il vise une reconnaissance internationale en termes de transition énergétique.

Le projet repose sur trois axes stratégiques, à développer au sein d’un cluster industriel national :

  • Innovations technologiques ;
  • Optimisation des coûts ;
  • Stockage et opportunités de marché.

La réussite de l’entreprise passe aussi par la formation du capital humain affecté à ce grand projet, avec un transfert des compétences technologiques liées à l’hydrogène.

Si ladite production est destinée au marché européen, l’ambition est aussi de promouvoir l’hydrogène vert auprès des acteurs de l’économie marocaine : industries, investisseurs, promoteurs…

L’association internationale de l’énergie éolienne (WWEA) a récemment mis en avant les opportunités que représente le Maroc pour la production et la distribution d’hydrogène vert. Il dispose d’une expertise, d’une confiance des investisseurs internationaux et d’une proximité géographique avec l’Europe. Une analyse que partage Badr Ikken, directeur général de l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Énergies Nouvelles (IRESEN) et co-président du GREEN ENERGY PARK.

McKinsey & Company a publié le mois dernier un rapport favorable aux ambitions de réduction des émissions carbone. Dans ce rapport, Africa’s Green Manufacturing Crossroads: Choices for a Low Carbon Industrial Future , le cabinet new-yorkais y cite le Maroc, comme un acteur important, notamment de la transition énergétique et  de la production d’hydrogène vert.

Il relève que le pays présente une stratégie énergétique attrayante pour décarboner ses industries et pourrait s’approprier 4% des besoins mondiaux en hydrogène vert. Cette politique ouvre les portes d’une croissance durable parce qu’elle a un caractère participatif selon le cabinet McKinsey : le gouvernement, la société civile, les entreprises et les organisations internationales sont impliqués.

Par exemple, l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN) et l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P) organise le World Power-to-X Summit, dont la première édition, en 2020, a permis d’engager des échanges constructifs sur le potentiel de l’hydrogène vert et de programmer le lancement d’une plateforme collaborative sur le sujet.

Le Royaume s’investit aussi dans des événements internationaux qui portent sur l’hydrogène vert et se bâtit un écosystème dédié, avec notamment :

  • Le nouveau Conseil national de l’hydrogène (CHD) dont la mission est de guider le déploiement de l’hydrogène et son introduction dans la vie économique des territoires ;
  • L’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) qui apporte son expertise sur le transport et la logistique vers l’Europe.

Préalablement, le Maroc a multiplié les partenariats avec des organismes européens de financement et de recherche pour s’assurer de l’implication européenne en amont et en aval du projet.

Dans son rapport, McKinsey reconnaît au continent africain une forte capacité à généraliser un développement durable pour l’ensemble de ses activités économiques. La notion de croissance verte s’invite dans tous les projets d’industrialisation africain même si ces bonnes intentions représentent aussi des défis.

L’Afrique s’industrialise sans reproduire les modèles polluants des pays développés. Elle envisage des infrastructures qui consomment moins d’énergie et polluent moins. Elle fera alors l’économie d’une transition énergétique pesante et collera aux ODD. Ce « raccourci » implique de mobiliser conjointement différentes forces : la technologie, l’écologie, le financement et le savoir-faire.

Les industries africaines les plus polluantes sont actuellement le ciment, le charbon, le pétrole, le fer et l’ammoniac. L’ensemble des industries africaines émettent 30 à 40% des émissions de GES produites par le continent.

Le Chili, un concurrent ambitieux

En 2020, le Chili a lancé un plan national visant à placer le pays parmi les plus gros exportateurs d’hydrogène vert. Il déjà comme un pionnier des énergies renouvelables en Amérique du Sud.

Le gouvernement veut débloquer une enveloppe de $50 millions pour soutenir le développement d’infrastructures, mais aussi pour engager des échanges prospectifs avec d’autres pays consommateurs.

Son climat exceptionnel est  favorable à la production d’énergies renouvelables et il peut compter sur ses 4500km de terre qui s’étirent le long de l’océan pacifique.

Son désert d’Atacama reçoit le plus fort rayonnement solaire de la planète et les vents balayent les côtes en permanence. Sur la dernière décennie, les investisseurs étrangers ont permis de multiplier par dix la production d’énergie solaire et éolienne.

En mars 2019, le pays a inauguré la première centrale solaire thermodynamique d’Amérique du Sud, financée à hauteur de $800 millions par un fonds américain. Celle-ci alimente à 100% près de 250.000 foyers.

Dès la rupture d’approvisionnement en gaz par l’Argentine, en 2007, le Chili a accéléré sa transition énergétique pour garantir son autonomie et répondre aux ODD.

Evidemment, les énergies propres imposent aussi des adaptations. Contrairement à l’énergie fournie par les centrales charbon, elles ne sont pas produites là où elles sont consommées, il faut donc déployer un réseau de distribution, améliorer le stockage et la gestion de la disponibilité.

Cet objectif requiert du foncier et le projet se heurte fréquemment au monde agricole qui représente la deuxième activité principale après l’extraction minière au Chili.

Ensuite, la production d’hydrogène vert consomme beaucoup d’eau, une ressource rare dans les zones arides à fort ensoleillement et qui contraint les producteurs à construire des usines de désalinisation de l’eau de mer.

Au nord, le solaire fournit l’énergie nécessaire à la production d’hydrogène vert tandis qu’au sud, c’est l’éolien. Cette région, proche du détroit de Magellan, est aussi une route maritime intéressante vers l’Europe.

Balbutiement du secteur de l’hydrogène vert

Le 8 septembre dernier, à Dunkerque, en France, les acteurs de l’hydrogène se sont réunis pour faire le bilan de cette première année, après l’annonce par l’Etat de la fameuse stratégie hydrogène vert avec la promesse d’un investissement public de 7 milliards d’euros pour une transition énergétique dans le domaine de l’industrie et du transport. La hauteur de l’investissement traduit le problème de coût de cette énergie alternative.

Les acteurs du projet conviennent que la faisabilité de la transition passe par une maîtrise et une baisse des coûts de production, de stockage et de distribution.

Cet été, l’agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a publié un rapport sur l’hydrogène pour tenter de fixer une valeur à cette nouvelle énergie dont tout le monde parle mais sur laquelle personne ne dispose d’éléments concrets. Le rapport indique un coût de production (sans transport) de 4€ par kilo. Ce prix varie selon la source électrique (renouvelable ou non) et reste soumis aux incertitudes liées à l’électrolyse, dont l’usage est encore expérimental.

La France aurait une capacité de production de 5 mégawatts d’électrolyseurs alors que son ambition est de 6500 mégawatts. La majeure partie de la production d’hydrogène mobilise encore l’énergie fossile et génère annuellement 8 millions de tonnes de CO2, mais elle permet d’obtenir un coût de production de 1,50€ par kilo.

La route est encore longue pour espérer viabiliser le projet de production verte :

  • Il faut optimiser l’électrolyse et améliorer les contraintes de stockage, par exemple dans des cavités salines ;
  • Il faut aussi former les intervenants de la filière. Les 50.000 à 150.000 emplois attendus se résument à 3500 emplois directs aujourd’hui. En parallèle du rapport Ademe, un livre blanc des compétences et métiers a été édité pour soutenir la mise en place de la filière ;
  • Il faut aussi identifier les secteurs et les zones de consommation pour optimiser la distribution d’une énergie périlleuse à transporter.

En France, la stratégie vise les ports, aéroports, métropoles et clusters industriels situés, entre autres, en périphérie parisienne, en région rhône-alpes et sur les côtes méditerranéennes.

L’hydrogène vert est un nouvel arrivant sur le marché mondial des énergies alternatives mais il ne respecte pas forcément les phases habituelles de lancement d’un produit ou d’un service sur un marché. La publicité a largement devancé  les phases de concept et de développement.

Sources : Le Monde, Le 360