Le numérique soutient de plus en plus l’activité agricole française : fonctionnement des équipements, aide à la prise de décision (irrigation, traitement, récolte…). Il suscite aussi des craintes quant au devenir des nombreuses données collectées. Elles permettent la construction de politiques publiques plus efficaces mais offrent aussi un certain pouvoir aux fournisseurs de ces services numériques. En France, les pouvoirs publics réfléchissent à des dispositifs qui facilitent l’accès du numérique au plus grand nombre d’exploitants agricoles tout en protégeant leurs droits citoyens.
L’agriculture numérique prend différentes formes sur les exploitations avec un objectif central, celui de l’information et de la communication par le biais des terminaux, logiciels, serveurs et réseaux, pour faciliter la production de denrées alimentaires ou l’élevage :
- Gestion de l’exploitation ;
- Commercialisation ;
- Partage de connaissances.
Le numérique sert la diversité des activités et assure un traitement pertinent de la masse d’informations à prendre en compte par l’agriculteur.
Des capteurs fixes ou embarqués scannent en temps réel la vie de l’exploitation, dans les champs ou les bâtiments : air, sols, plantes, animaux. Cette surveillance est complétée par des images satellite, des drones, voire des données saisies manuellement par l’agriculture.
Sur la base de modélisations sans cesse perfectionnées, les algorithmes aboutissent à des prévisions ou des préconisations à l’intention de l’exploitant. Parfois, l’action requise est directement opérée par un équipement autonome.
Le numérique renforce aussi un écosystème d’informations communautaire, tout au long de la chaîne :
- Fournisseurs ;
- Agriculteurs ;
A travers les performances offertes par le numérique, on peut s’interroger sur le risque d’hyper industrialisation de l’agriculture alors qu’un retour à la diversité agricole et à l’agriculture raisonnée s’avèrent nécessaires à un système alimentaire durable.
L’entrée du numérique dans l’agriculture
Le numérique a fait son entrée dans le secteur agricole français au début des années 80 avec l’usage de l’informatique, notamment pour la gestion des exploitations. A l’époque, les fédérations professionnelles et le ministère de l’Agriculture ont soutenu la formation des agriculteurs à ces nouveaux outils, ils offraient aussi une opportunité de reconnaissance aux femmes d’agriculteurs
Le minitel a aussi constitué une première source d’information dédiée à l’agriculture avec la consultation des services météo ou des cotations de denrées et des intrants.
Dans les années 90, le GPS s’est invité et a permis d’optimiser les déplacements des machines dans les champs pour économiser le carburant, les engrais et le temps de travail. Cette nouvelle agriculture de précision a modifié l’approche agricole : rythme des interventions, quantité d’intrants, distribution d’alimentation animale.
La traçabilité offerte par le numérique permet aussi aux constructeurs d’améliorer leurs matériels à partir des données collectées sur les exploitations en embarquant de nouvelles solutions. Par exemple, les semenciers proposent des outils de collectes de données pédoclimatiques parcellaires qui leur permettent de conseiller l’agriculteur sur la variété et le dosage des semis.
Dans cet écosystème de l’agriculture numérique, appelé AgriTech, de nombreuses startups ont trouvé leur place. Elles offrent des innovations sur tous les aspects du métier d’exploitant agricole:
- Matériels : drones, sondes, robotique, objets connectés ;
- Software : aide à la décision, gestion, tenue de la comptabilité ;
- Services d’informations sectorielles : marchés, veille agricole, réseaux d’échange ;
- Services de commercialisation : site e-commerce, traçabilité des denrées.
Ces innovations sont parfois le fruit de partenariats avec des organismes publics tels que l’Inrae ou le Cirad. Ensuite les référents professionnels (coopérative, chambres d’agriculture) assurent la formation aux outils. Un accompagnement est indispensable au déploiement de ces solutions technologiques pour garantir leur usage et leurs bénéfices.
A chaque fois, les mêmes objectifs sont au rendez-vous :
- Améliorer la productivité pour répondre aux besoins alimentaires ;
- Optimiser la consommation d’intrants ;
- Préserver les ressources et la biodiversité.
La transition vers l’agriculture numérique est aussi une belle opportunité de rendre plus attractif ce secteur, notamment auprès des jeunes qui pourraient prendre la relève d’un monde agricole composé pour moitié d’agriculteurs proches de la retraite et qui peinent à trouver des repreneurs. Le numérique réduit la pénibilité du métier et facilite la prise en main de l’exploitation par l’accompagnement qu’il procure en termes d’informations et de pratiques.
L’engouement des agriculteurs pour le numérique reste à nuancer. Lors du recensement de 2000, 20% des agriculteurs utilisaient un ordinateur, dans le détail seules 3% des petites exploitations disposent d’un ordinateur.
En 2010, les logiciels de suivi de comptabilité, de parcelles et de troupeaux se sont développés sur les exploitations. 25% d’entre elles les utilisaient avec une disparité persistante : une petite exploitation sur vingt utilisait un logiciel spécialisé contre la moitié pour les plus grandes.
Des études plus récentes , à l’instar d’Agrinaute, démontrent que les agriculteurs s’équipent désormais de nombreux terminaux, ordinateurs, tablettes, smartphones même si leur taux d’équipement reste inférieur à celui de la population française.
La rapidité d’intégration du numérique au parc agricole est freinée par un faible équipement en robots sur les exploitations alors qu’ils réduisent la pénibilité du travail : traite des animaux, alimentation, désherbage…. Seuls les GPS et autoguidages embarqués sont fréquemment utilisés. Le coût, la technicité et la méconnaissance des gains offerts par ces robots constituent des freins à l’achat, auxquels vient s’ajouter la réticence de l’agriculteur à céder sa place à l’outil et à se prendre ses distances avec la terre.
Ces dernières années, certains agriculteurs prônent même une agriculture low-tech, moins intrusive, moins consommatrice d’énergie et offrant plus d’indépendance financière et technologique. Pour leurs détracteurs, ce choix peut entraîner une extension des surfaces cultivées pour préserver la capacité productive et la viabilité économique des exploitations, au détriment des préconisations environnementales actuelles qui visent à réduire l’emprise foncière de l’agriculture sur les espaces naturels.
Le suréquipement technologique et numérique pourrait aussi limiter l’accès à l’emploi agricole pour les moins diplômés si la numérisation ne s’accompagne pas d’une politique publique efficace de transition numérique, comprenant un volet formation. A défaut, 80.000 emplois seraient transformés ou menacés par cette nouvelle forme d’agriculture.
L’enjeu des données
Le numérique enrichit l’agriculture d’informations ciblées et massives. Inversement l’agriculture numérique permet de générer un flot de nouvelles données puisées dans les activités agricoles.
Le mouvement s’amplifie. A l’échelle mondiale, les innovations relatives aux objets connectés destinés à l’agriculture et faisant l’objet de brevet en attestent :
- En 2000 , 13 brevets ;
- En 2018 ,384 brevets.
Des initiatives accélèrent la diffusion des données dans l’agriculture. Par exemple, l’Agence spatiale européenne (ESA) met gratuitement à disposition des images satellitaires utiles au monde agricole : définition des surfaces exploitées, rendement des cultures, transitions…
La masse de données agricoles générées par les différentes sources se caractérise par trois critères essentiels du Big Data, appelés les 3V :
- Volumes ;
- Variété ;
- Vélocité.
Cet aboutissement est rendu possible par la maturité des outils de collecte comme les capteurs, drones et satellites et de stockage comme le cloud. Ensuite, l’intelligence artificielle confère de la valeur ajoutée aux données : elle les traite et les redistribue.
Le deep learning qui décrit la capacité de l’IA à progresser grâce à un réseau de neurones artificiels perfectionne le traitement de l’information pour offrir des préconisations de plus en plus précises et pertinentes (semis, rythmes, risques météorologiques, maladies).
Tous les acteurs de l’agriculture numérique perçoivent la grande valeur des données dans la performance des exploitations. Cet attrait pour les données pèse sur l’équité du système agroalimentaire :
- Concurrence ;
- Lobbying ;
- Protection des données ;
- Ethique vis-à-vis des consommateurs ;
- Monopole de la recherche et de l’innovation.
Le numérique est déjà entre les mains de quelques géants qui ne cachent pas leurs intérêts pour le secteur agroalimentaire. Chacun a conscience du pouvoir conféré par la maîtrise de l’outil de production alimentaire. Chacune de ces multinationales agrège ses outils digitaux dans sa propre plateforme. Citons :
- Farmbeats de Microsoft ;
- Farmobile d’Amazon ;
- Resolution d’Apple…
Le pouvoir de ces prestataires sur le monde agricole est important. Ils pourraient assujettir les exploitants à leurs intérêts grâce à leur maîtrise des flux d’information. Les données échappent aux textes européens comme le RGPD puisqu’elles sont collectées par des entreprises américaines. Aux États-Unis, le Cloud Act signé par le Congrès américain en 2018 permet aux agences de renseignements d’utiliser les données des particuliers collectées dans le cadre de leurs activités, y compris agricoles.
Le risque est stratégique, les GAFAM hébergent ces données et peuvent influencer les choix des agriculteurs selon des intérêts américains (choix des semis…). Pour contrer cette menace, la France et l’Allemagne proposent un cloud ouvert dans lequel les données peuvent être partagées dans le respect du Règlement général de protection des données (RGPD). Ce projet, appelé Gaia-X, vise l’établissement d’un cloud européen souverain couvrant huit secteurs dont l’agriculture.
Le thème du numérique est inscrit comme une des six priorités de la Commission européenne pour le plan 2019-2024. L’objectif est de structurer la gouvernance de la data pour garder la main sur la stratégie européenne, particulièrement sur la question agroalimentaire.
Dans beaucoup de secteurs d’activité, la proposition de services par des multinationales n’est qu’un prétexte à la collecte de données auprès de leurs cibles. Les données produites par un utilisateur de services numériques lors de l’adhésion à une plateforme profitent d’abord aux propriétaires de cette dernière.
Source : agriculture.gouv.fr