Comprendre les enjeux de l'agriculture

Convoitée ou décriée, l’huile de palme représente un quart des huiles végétales. Le marché de cette huile doit répondre à une forte demande tout en surmontant de nombreux  obstacles : la Niña, le Covid et les contraintes environnementales. L’avenir à long terme du marché de l’huile de palme est difficilement prévisible. Il est soumis à des injonctions contradictoires : demande croissante d’une part et accusations d’atteintes à l’environnement de l’autre. Des chercheurs sont déjà sur la piste de substituts innovants.

La production 2021 atteindra les 80 millions de tonnes contre environ 75 millions en 2020 selon le Conseil d’huile de palme de Malaisie (MPOC). Une croissance imputable à l’augmentation du rendement plutôt qu’à l’extension des surfaces exploitées, selon Huang Huohui, représentant chinois et membre du Conseil. Les plus gros producteurs malaisiens et indonésiens ont augmenté leurs surfaces de 0,5% à 1%, en prévision du remplacement de plantations vieillissantes.

L’Indonésie reste leader de la production avec 70% de la production mondiale. L’Association indonésienne de l’huile de palme (GAPKI) est optimiste quant à la reprise post-Covid, l’Inde et les États-Unis étant des importateurs dynamiques. Le ralentissement 2020 a été compensé par la hausse des cours : de $482 la tonne en mai 2020 à $905 en décembre de la même année.

La demande en biodiesel devrait aussi croître, avec presque 16 millions de tonnes consommées à cet effet en 2021, tandis que l’essoufflement de la demande chinoise pourrait faire baisser les coûts. La Chine table sur la production d’huile de soja.

L’huile de palme africaine

En Afrique, ce sont le Nigéria et la Côte d’Ivoire qui sont leaders du continent, avec chacun un demi-million de tonnes produites annuellement.

Au Nigéria, la demande est supérieure à la production. Leader dans les années 60, il importe désormais 50% de ses besoins. Micah Ojo, cultivateur de palmiers à huile depuis de nombreuses années, rêve de retrouver son ancien niveau d’activité.

Le Nigéria a sombré dans une crise économique suite à la chute du cours du pétrole en 2016 alors que sa population, estimée à 206 millions, est chroniquement sous-employée. Le pays veut relancer sa production d’huile de palme et investit massivement dans une stratégie de relance de la culture de palmiers à huile. Chaque année, ses importations d’huile plombent ses réserves de devises.

Les dispositifs de prêt prévus dans le cadre du plan de relance restent toutefois inaccessibles pour les cultivateurs de palmiers à huile comme Micah Ojo. Seuls les gros propriétaires bénéficient du soutien de la Banque centrale pour relancer cette économie. Ainsi, l’Okumu Oil Palm Company exploite 33.000 hectares financés par un prêt de presque 30 millions d’euros. Des fonds qui permettent au groupe de planter de nouveaux plants de palmiers plus qualitatifs et de développer ses usines de production. La société produit annuellement 40.000 tonnes d’huile brute, mais entend doubler sa production d’ici 4 ans.

Malgré cette politique incitative, le Nigéria n’offre pas toutes les infrastructures pour soutenir son ambition : mauvais états des axes de communication, coupures d’électricté…

La relance se fera difficilement sans les petits producteurs. Selon le Forum des propriétaires de plantation au Nigéria, ceux-ci représentent 70% de la production globale nigériane et sont les bénéficiaires légitimes du dispositif gouvernemental.

Le Forum appelle les l’État et les prêteurs à :

  • Débloquer des prêts adaptés pour les petits exploitants (environ 4000 euros) ;
  • Accorder une durée de trois ans nécessaires pour développer un hectare de palmiers ;
  • Permettre aux petits exploitants de bénéficier de l’expertise de l’Institut nigérian de recherche sur le palmier à huile (NIFOR) pour les accompagner dans la démarche.

La question environnementale

L’anthropologue australien, Michael Taussig, a rédigé un essai de 280 pages, Palma Africana, qui traite de la menace que représente l’huile de palme face à la préservation des intérêts humains et environnementaux.

Une réflexion menée sur la base des observations des cultures colombiennes qui tendrait à démontrer que le palmier à l’huile est la nouvelle arme colonisatrice comme l’a été la canne à sucre auparavant.

La culture des palmiers à huile en Colombie impacte économiquement, socialement et écologiquement les populations et les territoires. A Isla de Papayal, ancien lieu de trafic de la cocaïne, des milices ont détruit les terres attribuées aux habitants pour ouvrir la voie aux grands propriétaires. Les représentants publics sont absents et les milices font la loi : tirs, tronçonnages…

Seules des ONG tentent de soutenir les locaux dans la constitution d’un collectif de résistance, aidées par des subventions étrangères. Elles constatent que les enfants du village sont mal alimentés, que les familles ne disposent plus de rentes agricoles et que la survie tient à l’assistanat public.

L’avenir de l’industrie de l’huile de palme

Partout dans le monde, l’industrie de l’huile de palme est accusée d’accélérer la déforestation et de faire disparaître les moyens de subsistance des populations locales. Au contraire, ses défenseurs relèvent ses vertus économiques en termes de développement et de création d’emplois.

Ils arguent que sa mauvaise image est entretenue par le lobbying  du soja américain. Ils rappellent qu’à surface cultivée égale, le palmier produit cinq fois plus d’huile.

Pour ne rien arranger, l’Europe, avec sa directive Red II, écarte l’huile de palme de la liste des biocarburants de transition. L’Indonésie a saisi l’Organisation Mondiale du Commerce pour le caractère discriminatoire du texte, la Malaisie lui a emboîté le pas.

Pourtant, des acteurs importants envisagent déjà de supprimer l’huile de palme de leur future stratégie, comme le groupe Total qui prévoit de sortir de cette ressource alternative dans les 18 mois. Pour ce géant de l’énergie, l’huile de palme entretient son image d’entreprise destructrice d’environnement. Sur son site français de Châteauneuf-lès-Martigues, l’entreprise importe annuellement 300.000 tonnes d’huile asiatique pour produire son biocarburant et contribue indirectement à la disparition de la forêt équatoriale. Selon l’ONG Transport & Environnement, les biocarburants fabriqués à partir de cette huile sont plus nocifs que le diesel issu d’énergie fossile. Et la raréfaction des terres arables incite à privilégier les cultures nourricières.

Même dans l’industrie agro-alimentaire, les fabricants tentent de remplacer l’huile de palme par d’autres oléagineux.  Ils utilisent, par exemple, l’huile de tournesol dans les pâtes à tartiner, le beurre de cacao dans le chocolat, l’huile d’olive dans la pizza, etc.

En publiant son classement des bons et des mauvais élèves, l’ONG WWF espère pousser les industries à opérer une transition plus rapide vers des substituts à l’huile de palme. Elle pointe du doigt l’industrie du chocolat ou le secteur des cosmétiques qui, selon elle, n’adopte pas de stratégie de protection environnementale dans leur choix de procédés de fabrication. Sur les 227 entreprises – Carrefour, IKEA, L’Oréal, McDonald’s, Nestlé et Walmart – interrogées quant à leurs initiatives et actions menées pour limiter les dégradations environnementales de cette culture…, seules 85 ont répondu.

Les meilleurs élèves achètent leur huile auprès de producteurs certifiés et mettent en place des actions locales visant à protéger les espaces naturels ou en investissant directement dans  les exploitations.

Pour les fabricants de chocolat, il est impératif que la stratégie durable entamée depuis quelques années sur la matière première cacao s’applique aussi à l’huile de palme qui constitue l’essentiel du produit fini.

Il existe encore peu d’exploitation durable de cette culture et la demande reste forte : huile la plus consommée, sa production est passée de 5 millions en 1980 à 75 millions en 2020. Le faible coût de sa production et ses qualités alimentaires la rendent difficile à remplacer.

Une huile végétale de substitution

Toutefois, deux chercheurs canadiens affirment qu’il est possible de remplacer l’huile de palme omniprésente dans l’industrie agroalimentaire. Ils ont mis au point un substitut durable. Alejandro Marangoni est professeur en sciences alimentaires à l’Université de Guelph (Ontario), Reed Nicholson est doctorant.

Ils ont mis au point une huile végétale à partir de graines de coton et d’arachides. Elle reste solide à toutes les températures. Cette innovation permettrait le remplacement de l’huile de palme dans de nombreux produits alimentaires. L’enjeu est important, l’huile de palme étant présente dans 80% des produits alimentaires et se retrouvant aussi dans certains cosmétiques.

L’usage de cette nouvelle huile végétale permettrait aussi de réduire le niveau de graisses saturées dans l’alimentation et de diminuer les risques sur la santé.

Source : Commodafrica, Le Monde, Les Echos, Global Goodness