Comprendre les enjeux de l'agriculture
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La faune sauvage des réserves et des parcs africains est menacée par diverses nuisances, l’extraction illégale de bois, les défrichements non contrôlés, le braconnage, l’emprise des mines… Dans un tel conteste, les communautés concernées devraient devenir des partenaires actifs des pouvoirs publics dans la lutte contre l’exploitation incontrôlée des ressources de ces aires « mal protégées », et ainsi assurer plus efficacement la protection de la biodiversité. Encore faut-il leur reconnaître ce droit.

Tsavo, Kenya, (crédit photo P. Jacquemot)

Dans l’imaginaire européen, l’Afrique est indissociablement liée à sa faune. Lions, éléphants, rhinocéros, girafes, guépards, hippopotames… ne sont que quelques-uns des animaux emblématiques qu’abrite ce continent. 15 600 espèces d’animaux et d’oiseaux y sont comptabilisées. L’histoire africaine est longue en matière de conservation de sa faune sauvage. Le premier parc national créé en Afrique, le Parc national Kruger, date de 1898. Il fut suivi par le parc national Albert (aujourd’hui Virunga) créé en 1925 au Congo belge. Après les indépendances, plusieurs États, reconnaissant l’importance de la protection de leurs ressources naturelles, mirent en place de nouvelles aires protégées, souvent avec l’aide d’associations environnementales internationales.

La plupart des pays africains disposent aujourd’hui de zones désignées comme parcs privés, réserves de chasse, réserves forestières, réserves marines, réserves nationales et parcs naturels. Tous ces parcs ont vocation de protéger la faune et de la flore ; ils ont également un rôle économique important pour les différents pays compte tenu de l’intérêt touristique qu’ils présentent.

Selous Game Reserve, Tanzanie (crédit photo P. Jacquemot)

Il ne sera question ici que des aires protégées terrestres. Nous allons voir dans une première partie que ce patrimoine est en danger. 19 % de la faune africaine est considérée comme menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les réseaux d’aires protégées sont fortement soumis à des tensions sans cesse croissantes, qu’il s’agisse de pressions de la chasse – dont le grand braconnage pour l’ivoire – mais aussi de pressions plus récentes et qui vont en s’intensifiant, comme celle des projets d’exploitation minière ou pétrolière. Des efforts sont entrepris au titre des conventions internationales. Dans une deuxième partie, nous examinerons leur efficacité relative et présenterons quelques situations à valeur d’exemples. Enfin, nous examinerons dans une dernière partie les trois approches proposées pour une gestion durable des parcs et réserves et constaterons que l’inclusion des communautés locales reste l’élément crucial pour que les aires protégées remplissent leur double objectif de développement et de conservation, soit en les associant à la gestion du parc, soit en leur offrant des options alternatives dans ses abords : agriculture, foresterie, écotourisme.

1.    Graves menaces sur la faune sauvage

Parmi les 2 970 espèces animales en voie de disparition dans le monde, l’Afrique compte le plus grand nombre d’espèces inscrites comme « en danger critique d’extinction » et « en danger ». Les causes sont connues : chasse et braconnage, défrichement incontrôlé, croissance de l’emprise agricole, pastoralisme itinérant, feux de brousse, déforestation, trafic d’animaux, projets miniers et pétroliers… L’exploitation et le commerce intensifs de certaines espèces, auxquels s’ajoutent d’autres facteurs tels que la disparition des habitats, peuvent épuiser les populations et même conduire certaines d’entre elles au bord de l’extinction.

La Virunga et la Salonga en grand danger

Sur les huit parcs nationaux existants en RD Congo, cinq se trouvent dans l’est du pays : la Virunga, la Salonga, la Garamba, le Kahuzi Biega, et l’Okapi. Ils sont tous inscrits sur la liste du patrimoine mondial en péril. Comme ces parcs occupent une position stratégique le long de la frontière orientale, ils sont utilisés comme points de passage par les diverses forces armées et groupes rebelles qui se livrent au braconnage d’éléphants pour le commerce de l’ivoire et tuent le gibier et les espèces rares pour en faire de la viande de brousse. Les populations déplacées s’y installent pour assurer leur subsistance, défrichent et abattent les arbres. Les parcs sont notamment menacés par la fabrication du makala, le charbon de bois. Des réseaux organisés coupent les acacias puis transforment le bois dans des fours à peine dissimulés dans les collines. Vu d’avion, les parcs sont truffés de sites déboisés d’où sort une fumée grise. L’exploitation artisanale, en partie illégale, des minerais (coltan, cassitérite, or) qui s’y trouvent souvent a un impact sur la pollution des eaux des rivières et la destruction du couvert végétal.

Dans la Virunga, le plus célèbre des parcs, installé sur les pentes du volcan Nyiragongo les incidents sont fréquents. Dans un climat de guerre civile, l’insécurité y règne ; en deux décennies, 170 gardes du parc ont été assassinés. Les menaces ont récemment pris un tour très inquiétant.

Le gouvernement de la RD Congo a le projet de classer en « zone à intérêt pétrolier » dans deux parcs nationaux, celui de la Virunga précisément, mais aussi celui de la Salonga qui s’étend quant à lui sur une superficie de 33 350 km2 dans 3 provinces, ce qui en fait le plus grand parc national forestier du continent. La zone qu’il est prévu d’installer concerne au total 172 075 hectares soit 21 % de la surface totale des deux parcs.

Rangers avec Emmanuel de Merode, conservateur du parc national des Virunga (crédit photo, médiacongo)

Dans la Virunga, les réserves pétrolières sont estimées à̀ 6 758 milliards de barils avec des recettes budgétaires attendues de sept milliards de dollars. Déjà en juin 2010, Joseph Kabila, le chef de l’État, avait autorisé l’exploration des sols des concessions recouvrant près de 85 % de la surface de la Virunga pour déterminer l’étendue des surfaces pétrolifères exploitables. La société britannique SOCO International commença alors des activités d’exploration. Emmanuel de Merode, le directeur de parc fut gravement blessé dans une embuscade sur la route entre Goma et Rumangabo en 2014. Peu avant cette agression, il avait déposé, auprès du procureur de la République à Goma, un dossier à la suite d’une longue enquête sur SOCO International, avant de renoncer quatre ans après, soumis à une forte pression des environnementalistes. En 2017, la Société nationale des hydrocarbures du Congo (Sonahydro), propriété de l’État congolais a signé un « accord de principe » pour réattribuer le permis de SOCO à une société, Oil Quest International où l’on retrouve certains de ses dirigeants. Début, 2018, Joseph Kabila a autorisé la Compagnie Minière du Congo (COMICO) à explorer un autre bloc qui se situe en partie sur la Salonga. Pourtant, toute exploration comme toute exploitation extractive dans ces deux parcs, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, sont interdites au regard de la loi congolaise (loi du 22 août 1969 sur la conservation de la nature) et des conventions internationales.

Devant le risque grave et irréversible de dégradation des aires protégées congolaises parmi les plus riches de monde, l’UNESCO a exprimé « sa profonde préoccupation ». Les ONG locales et internationales ont de leur côté demandé l’arrêt de ces projets en dénonçant des conséquences catastrophiques pour l’environnement. Le parc de la Salonga abrite en effet près de 40 % de la population mondiale de bonobos, une espèce de primates de la famille des Hominidés en voie de disparition, tandis que celui des Virunga constitue un habitat vital pour de nombreuses espèces protégées, les hippopotames, les éléphants et certains parmi les derniers gorilles des montagnes au monde.

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