Comprendre les enjeux de l'agriculture

Kahuzi Biega menacé

Le parc de Kahuzi Biega apporte une autre illustration des menaces qui pèsent sur les parcs de la région. Situé à 50 km de Bukavu au Sud Kivu, toujours en RD Congo, il a été créé en 1970 d’abord dans une zone de haute altitude, avant d’être étendu avec l’adjonction de 6 000 km2 de forêts tropicales humides. Il est géré par l’Institut congolais de conservation de la nature et bénéficie d’un appui de l’Allemagne depuis vingt ans. Il subit aujourd’hui toute la gamme des nuisances.

Parc de Kahuzi Biega, RD Congo (crédit photo P. Jacquemot)

Le parc regorge de ressources fauniques extraordinaires : l’éléphant Loxodonta, le chimpanzé troglodyte, le cercopithèque de Hamlyn, le mangabé à joues blanches, le babouin doguera… Les oiseaux qui s’y trouvent portent des noms aristocratiques : l’eurylaime de Grauer, le bagadais d’Albert, le phyllanthe de Chapin, l’echenilleur de Bagadais, le cossyphe d’Archer, le pririt de Ruwenzori, le souimanga de Rockfeller, et l’un des plus beaux, le gobemouche de Berlioz. L’animal symbole reste le gorille des plaines (gorilla gorilla graueri) au dos argenté, espèce unique au monde, avec ses mâles, placides géants herbivores de 200 kg, les plus gros des primates, régnant sur un harem d’une dizaine de femelles et d’autant d’enfants.

Cette réserve naturelle est aujourd’hui transformée en une carrière d’exploitation. Près de 1 800 tonnes de charbon y sont extraites chaque mois. Le parc est également occupé par des fermiers qui pratiquent la chasse dans cette aire pourtant interdite. Mais l’une des plus grandes menaces du parc est le commerce des bébés gorille. Le risque d’un dépeuplement définitif est grand : une femelle arrive à maturité à huit ans, elle est féconde deux ans plus tard et ne fait qu’un seul petit, unique, tous les quatre ans. Son espérance de vie est de 25 ans ; elle n’aura donc pas plus de quatre enfants qui arriveront à maturité. C’est dans le monde animal un très faible taux de reproduction.

Le braconnage commercial est très destructif. Une exploitation qui serait expliquée selon le gouvernement congolais par l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les communautés riveraines. Elles se rabattent dans cet écosystème qui leur est très proche pour subvenir à leurs besoins. La viande de brousse est très recherchée, celle des jeunes singes particulièrement, et la chasse de subsistance s’y pratique partout depuis qu’est apparu dans la région le fusil Biakal de fabrication soviétique. Du fait de son immensité, le contrôle du parc par les gardes est ardu, pratiquement impossible.

Les malheurs du parc de Kahuzi Biega ne s’arrêtent pas là. Le parc ressemble à une arachide dont le centre aurait été pincé. La partie haute est reliée à la partie basse par un corridor écologique étroit qui permet de passer de 600 mètres d’altitude à la montagne qui culmine à 3 300 mètres. Ainsi les animaux pouvaient-ils autrefois librement migrer de l’une à l’autre, selon les saisons. L’expansion du parc en 1975, qui comprenait des terres habitées, avait entraîné des évacuations forcées avec environ 13 000 personnes de la communauté tribale de Shi, Tembo et Rega, réticentes à partir. La tension n’a jamais cessé et l’emploi des populations Twa pour faire respecter la protection des parcs n’a guère atténué les revendications. La pression des « autochtones » en surdensité sur les ressources du parc est très puissante, qu’il s’agisse de cultures ou de pâtures pour les bovins. Et il faut aujourd’hui composer avec les « intouchables », notamment avec un magistrat qui s’est attribué une bande de part et d’autre du corridor, pour ensuite en céder frauduleusement la gestion à des exploitants agricoles. La partie basse est à présent défrichée. Ayant perdu son couvert végétal, victime des fortes précipitations alternant avec un ensoleillement intense, la terre sera bientôt lessivée. Les spoliations ont pour conséquence d’empêcher la rencontre des gorilles de la partie haute avec leurs congénères de la partie basse, ce qui augmente la probabilité d’unions consanguines.

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