Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les approches territoriales

Le système de zonage, dont les vertus sont connues depuis longtemps (Menge-Medou, 2002) consiste à identifier plusieurs zones centrales, où l’occupation humaine est minimale, puis une zone concentrique qui sert de tampon et accueille davantage d’activités humaines, comme la recherche, et la formation, ainsi que des activités de tourisme et de loisirs. La zone de transition avec l’extérieur sert de lien avec le reste de la région et permet de promouvoir les établissements humains ou l’agriculture. Cette approche permet ainsi de passer de la gestion d’une aire fermée à une approche par aménagement d’un territoire global, plus prometteuse en termes de résultats.

Zonage schématique d’une aire protégée

La constitution de telles aires protégées exige, outre la réforme impérative des systèmes fonciers et de la réglementation en vigueur, mais surtout la participation effective de la population locale concernée.

Les approches participatives

Alors que la conservation classique est en général dominée par les aires protégées des États, les aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC) tentent de trouver leur place. Elles sont construites sur des connaissances et capacités collectives écologiques, comme le bon usage de ressources sauvages, l’agro-biodiversité et des méthodes de gestions locales qui ont résisté à l’épreuve du temps. Elles se basent sur des règles et institutions « adaptées au contexte » compétentes en termes de gestion adaptative et capable de proposer des réponses culturellement appropriées aux changements.

Les écologistes ont entrepris de relier les objectifs de la conservation et du développement des parcs et réserves de, manière à ce que les populations locales profitent de certains des avantages qu’ils apportent. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle est intégrée de plus en plus fréquemment dans les efforts de conservation depuis ces dix dernières années. Des voies d’intégration des populations sont à présent recherchées (concessions de droits d’usage exclusifs, plans de gestion négociés). Sous la pression des populations concernées et des associations environnementalistes, les aires protégées s’ouvrent graduellement à des « modèles participatifs de gestion durable ».

Les ONG et certains organismes internationaux et régionaux (Fond Mondial pour la Nature – WWF, Écosystèmes Forestiers d’Afrique Centrale – ECOFAC) se sont emparés du sujet, soucieux d’éviter les dégâts sociaux créés par la mise sous cloche de certains espaces, privant les populations de l’accès à leurs ressources vitales. Les expériences de gestion communautaire des réserves au Botswana, au Kenya et au Zimbabwe (CAMPFIRE, Communal Resources Management Programme for Indigenous Resources) ont valeur d’exemples. Au Cameroun, la conservation communautaire semble donner de bons résultats (Réserve de faune du DJA, Réserve de la Lopé). Dans le parc de la Salonga, en RD Congo, des expériences de ce type ont été promues avec le WWF et l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) qui ont signé en 2015 un accord de cogestion, avec un financement destiné à soutenir le développement communautaire et la gestion basique du parc.

L’écosystème du Masaï Mara

La réserve nationale du Masai Mara au Kenya est protégée en tant que réserve et non comme un parc national ; elle n’est pas gérée par le Kenya Wildlife Service comme le sont les autres aires protégées, mais par les autorités locales. Le statut de réserve permet aux Masaïs de continuer à vivre sur leur territoire ancestral et à y faire paître leurs troupeaux. Les divisions administratives sont définies par le tracé du fleuve Mara. La réserve, par ailleurs très fréquentée, est gérée par deux communautés régionales masaïs : le Narok County Council, pour les trois quarts de sa surface (the National reserve) et le County Council of Trans-Mara pour un quart (the Mara triangle) au Nord-Ouest. Leurs représentants sont élus pour 5 ans. Les accords de gestion qu’ils nouent avec la Mara Conservancy, une organisation à but non lucratif, donnent à celle-ci mandat pour tous les aspects de la gestion des aires protégées : collecte des recettes et leur distribution, sécurité, développement du tourisme et de sa gestion, entretien des infrastructures et développement de nouveaux projets qui, tous, nécessitent une évaluation d’impact environnemental et l’approbation par un comité mixte comprenant des membres de Mara Conservancy et du County Council de Trans-Mara. Apparemment, et sous réserve d’inventaire, la réserve reste une des références en matière de gestion participative.

Un exemple de modélisation participative

Une expérience du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) au Zimbabwe est particulièrement édifiante pour montrer l’importance de faire en sorte que les populations rurales vivant dans les aires protégées ou à proximité de celles-ci se sentent directement concernées. Le centre français a participé à plusieurs initiatives visant à favoriser les échanges d’information et les négociations entre les acteurs locaux. L’une de ces initiatives, menée au Zimbabwe utilise la « modélisation participative » des pratiques sous forme de jeu de rôle pour favoriser le partage d’informations et la négociation entre les acteurs impliqués dans la gestion des aires protégées et de leurs périphéries.

Session de co-construction d’un jeu de rôle avec des villageois pour améliorer la coexistence entre les aires protégées et les zones périphériques (Hwange, Zimbabwe). Crédit photo CIRAD.

Le jeu Kulayinjana modélise la conduite du bétail, qui est un élément essentiel de la (non) coexistence avec une aire protégée, et les interactions avec l’environnement et les animaux sauvages. Après une phase de test auprès de communautés villageoises de Hwange, le jeu est devenu un outil de négociation entre les différentes parties prenantes (forestiers, parcs nationaux, autorités traditionnelles, services techniques gouvernementaux, etc.), dans des zones agroécologiques différentes et à des échelles locales/nationales/régionales.

 

 

 

 

Les contraintes

Contrairement à l’Afrique australe et orientale, les principes de gestion participative ne sont quasiment pas mis en œuvre en Afrique de l’ouest (on pense aux Réserves communautaires naturelles et unités pastorales du Ferlo au Sénégal, à la communauté rurale de Kawawana dans la région de Casamance, également au Sénégal ou à la mare des crocodiles sacrés au Mali, mais c’est peu significatif). Ils restent encore imprécis et peu adaptés aux yeux des parties prenantes, des gestionnaires des aires protégées en particulier. Ceux-ci manquent en outre de données et d’outils pour les mettre en œuvre et en dépit de l’apparition d’acteurs de plus en plus organisés et informés pour venir renforcer les modes de gouvernance de ces territoires.

Il faut dire que les difficultés de mise en œuvre ne manquant pas. Une gouvernance équitable impose le respect des droits coutumiers, la promotion du dialogue constructif et d’un accès équitable à l’information, et la responsabilité dans la prise de décision. Même avec ce type d’approche, la prudence est de mise., notamment parce que certaines des démarches qui se veulent participatives adoptent parfois un biais ritualisé, avec la complicité de notables qui font valider des décisions en assemblées villageoises sans précaution et sans tenir compte ni de la mémoire collective où siège le souvenir des spoliations anciennes, ni des répercussions sur l’emploi et les comportements.

Par ailleurs, séparés les uns des autres par des conceptions sociologiques et culturelles souvent différentes, les gestionnaires et les riverains des aires protégées ne partagent pas spontanément les mêmes objectifs dans un projet qui se veut pourtant commun.

Certaines tentatives sont mises en péril par une gestion inadéquate des questions foncières et des règles d’accès entre les aires de conservation et les aires de production des populations riveraines. La gestion inadéquate est principalement due à une méconnaissance de la part des responsables de l’aménagement du territoire, de la complexité des dynamiques du jeu des acteurs locaux et des types d’exploitation des ressources naturelles.

La pérennité́ de modes de gestion et de gouvernance des aires protégées sur le mode participatif est enfin dépendante de la valorisation économique des ressources et des retombées pour les communautés concernées. Tant en termes d’efficacité́ que d’équité́, on peut admettre qu’en contrepartie des pertes résultant des restrictions à leurs droits d’usages coutumiers, il importe de leur garantir de manière durable des revenus tangibles liés aux ressources naturelles en question. La valorisation des produits issus de la biodiversité́ tels que les produits forestiers non ligneux est une piste souvent exploitée. Peut-on aller plus loin ? Comme de garantir un système de redistribution des revenus permettant à̀ toutes les parties d’assurer leur rôle et de recevoir leur rétribution. Peut-on envisager une négociation sur la clé́ de répartition des revenus issus des ressources naturelles et de la biodiversité́ ?

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Les aires protégées sont les pierres angulaires des stratégies de conservation nationales et internationales. Elles agissent en tant que refuges pour les espèces et les processus écologiques qui ne peuvent pas survivre dans des paysages et des espaces marins intensément utilisés. Elles fournissent l’espace nécessaire pour l’évolution normale et la restauration écologique future. L’ambition reconnue aujourd’hui en Afrique en matière de gestion de ces aires terrestres est de construire un projet de développement incluant les quatre acteurs principaux de l’écosystème concerné : les collectivités locales, les services déconcentrés de l’État, les responsables d’aires protégées et les populations riveraines. Le but est qu’elles deviennent des leviers du développement local, en son sein et autour. L’enjeu est de conserver la biodiversité présente dans les aires protégées et leurs périphéries tout en construisant, à l’échelle du territoire le plus large possible, un programme structuré autour d’activités et de filières durables compatibles (écotourisme, agroécologie, agroforesterie, agropastoralisme).

Il demeure une difficulté de taille. Les revenus issus des droits d’entrée et des structures touristiques sont rarement suffisants pour couvrir les besoins de financement des parcs et des réserves quel que soit leur mode de gouvernance. Il n’existe que de rares exceptions d’équilibre économique de l’exploitation. On pense au Parc national du Kruger en Afrique du Sud et à la réserve du Masaï Mara au Kenya.

Pour inscrire le financement des aires protégées sur le long terme, des mécanismes innovants sont donc proposés (marché carbone, fonds fiduciaires de conservation, mécanismes de compensation, paiements pour services environnementaux). Parfois efficaces dans les faits, ces instruments de financement sont aléatoires et les fonds fiduciaires environnementaux demeurent financièrement limités ou exposés à des prises de risques. La combinaison de ces mécanismes peut certes apporter des réponses mais leur complexité peut gêner leur généralisation à plus grande échelle En outre, ces mécanismes peuvent complexifier les relations entre les différents acteurs de la conservation. Ils augmentent le nombre d’intermédiaires et, pour cette raison, ils pourraient présenter le risque de déplacer le centre de décision hors du pays, voire d’évincer l’État et les communautés de la gestion des aires protégées. La vigilance s’impose donc encore pour ne pas retomber dans les errements passés.

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