Comprendre les enjeux de l'agriculture

Des prix alimentaires au plus haut depuis les six dernières années et des agriculteurs décidés à produire plus, le contexte est pleinement favorable au marché du fertilisant. Évalué à presque 23 milliards de dollars en 2018, il pourrait peser 38 milliards de dollars d’ici 2026 selon le site Fortune Business Insight.

Selon la Food and Agriculture Organization (FAO), le prix des denrées alimentaires de base telles que les céréales, le sucre, l’huile et les produits laitiers a atteint son niveau le plus haut sur les six dernières années.

L’année 2020 a connu la crise sanitaire du Covid-19, à laquelle s’ajoutent des conflits (Lybie, Irak, Hong-Kong, Iran…), des invasions de nuisibles (criquets pèlerins) ou des épisodes climatiques persistants (cyclones, incendies, sécheresse, inondation…), autant d’événements qui fragilisent les systèmes de productions agricoles à travers le monde.

Toujours selon la FAO, 45 pays, dont la majorité est située sur le continent africain, se retrouvent en déficit alimentaire. Les populations font face à une hausse des prix de presque 4% par rapport au mois d’octobre 2020 et de plus de 6% par rapport à la même époque l’année dernière.

Certains produits alimentaires qui interviennent fortement dans les habitudes alimentaires de ces pays sont spécialement touchés par la hausse constatée entre octobre et novembre 2020 :

  • Huile +14,5% : en cause, le bas niveau de stock d’huile de palme maintient le prix à la hausse ;
  • Céréales +2,5 %, alors que la hausse depuis novembre 2019 affichait déjà 19% : en cause, une mauvaise récolte de blé en Argentine et une baisse de la production de maïs aux États-Unis et en Ukraine combinée avec des commandes massives de la Chine ;
  • Sucre 3,3% : en cause un repli de la production dû aux mauvaises conditions météorologiques en Europe, Russie et Thaïlande ;
  • Lait 0,9% pour atteindre son niveau le plus élevé sur les 18 derniers mois : en cause une montée en flèche des ventes au détail en Europe ;
  • Viande 0,9% : la hausse est principalement due à la viande bovine, ovine et porcine.

Sur les céréales, le phénomène devrait se maintenir avec une prévision à la hausse de la demande d’environ 2%. Ce maintien de la demande est dû, en partie, aux éleveurs porcins chinois qui ont dû relancer leur activité après l’épidémie de peste porcine, apparue en 2018, qui a décimé plus d’un million de bêtes et qui sévit désormais en Europe.

La situation globale est favorable à une amplification de la demande en production de denrées alimentaires. La démographie croissante de la population augmente mécaniquement les besoins et les projections tablent sur une population composée d’environ 10 milliards d’êtres humains en 2050.

En parallèle, les pays en voie de développement aspirent, contrairement aux pays industrialisés, à une hausse de leur consommation individuelle, notamment en protéines animales.

Vers plus d’agriculture et plus de productivité

Tous les acteurs de la filière agro-alimentaire perçoivent la nécessité d’augmenter les volumes de matières premières agricoles.

La crise du Covid-19 a mis en évidence la fragilité des circuits d’approvisionnement, l’interdépendance des États et fait monter l’inquiétude sur la sécurité alimentaire. Nourrir la planète est devenu un défi sans frontière qui ne préoccupe plus seulement les pays en voie de développement mais aussi les pays riches où les habitants se ruent (à tort semble-t-il) sur les denrées de première nécessité, à l’annonce de chaque confinement.

Si les agriculteurs sont prêts à produire plus, ils recherchent aussi une pratique plus durable de leur métier, notamment sur l’aspect social. Ils entendent répondre à la hausse de la demande en denrées alimentaires, à condition d’améliorer leur revenu.

Dans cette optique, l’usage accéléré d’engrais permet d’optimiser le rendement des surfaces exploitables pour produire plus au m2 face à un potentiel d’expansion des terres arables parfois limité.

La faible qualité nutritive naturelle de certains sols limite aussi la production végétale. Même si des progrès sont réalisés en termes de fertilisation et recyclage de matières organiques, la dépendance à l’égard des engrais reste forte, notamment parce qu’ils offrent une réponse rapide aux déficiences des sols.

A l’échelle mondiale, l’Asie reste le pays le plus consommateur d’engrais, et ce depuis les 60 dernières années. Quant à l’Afrique subsaharienne, elle détient les terres les moins fertilisées.

Concernant les cultures, les céréales sont les plus concernées par la fertilisation, devant les légumineuses, les oléagineux, les fruits, les légumes, les gazons et les plantes ornementales.

La potasse, succès annoncé pour 2021

Le pouvoir de l’engrais se trouve renforcé par une transition agricole qui n’arrive pas. Les volontés de basculer sur des productions plus durables se heurtent à des attentes d’immédiateté en termes de revenus.

L’engrais apparaît aussi comme un amortisseur des accidents climatiques ou biologiques qui malmènent les cultures et mettent les agriculteurs en situation incertaine sur le plan financier.

La surconsommation habituelle des ménages s’est vue amplifiée par la pandémie et la peur de manquer. Elle pousse la filière agro-alimentaire à rester sur le modèle d’une agriculture fertilisée qu’elle maîtrise.

Les échanges mondiaux de denrées alimentaires qui permettent habituellement de compenser les pénuries çà et là ont été largement contraints par les restrictions de commerce et de circulation. Ce système de compensation n’a pas pu jouer sa fonction régulatrice.

Les fabricants d’engrais ont perçu l’opportunité d’un marché agro-alimentaire bénéficiaire d’une demande de consommation croissante et soutenu par les gouvernements inquiets des répercussions de la crise sanitaire.

Sur un an, les gains de l’agriculture américaine ont augmenté de 43%. Au Canada les encaissements affichent + 8% sur les neufs premiers mois de l’année 2020, par rapport à 2019.

Ces agriculteurs ont vu les cours de leurs denrées produites monter et leurs exploitations bénéficier de ce contexte favorable. Des investissements pour agrandir les surfaces d’exploitation sont attendues en 2021.

Les hectares supplémentaires devraient logiquement entraîner une hausse de la consommation d’engrais. C’est déjà le cas pour la potasse.

Contrairement à d’autres engrais systématiquement consommés, l’usage de la potasse est plus sensible au contexte économique avec un usage variable d’une année sur l’autre. L’intérêt de la potasse réside dans sa capacité à rendre les plants résistants aux maladies, aux invasifs et à la sécheresse.

Pour les firmes internationales qui produisent de la potasse, la demande mondiale devrait battre un record en 2021 selon Bloomberg Green.

La potasse cote aujourd’hui 240 dollars la tonne mais pourrait progresser et atteindre 280 dollars d’ici 2023 selon Seth Goldstein, analyste chez Morningstar Inc.

Nutrien, entreprise de production d’engrais née en 2018 de la fusion entre PotashCorp et Agrium, deux sociétés canadiennes du secteur des engrais, est n°1 de la production de potasse. Elle estime que 2020 représente sa meilleure année en termes de vente. Elle a d’ailleurs dû cesser les prises de commandes pour les livraisons d’ici mars 2021. Désormais, elle a revu ses prix à la hausse pour ses ventes actuelles compte tenu des stocks serrés.

Les analystes tablent sur une demande 2021 flirtant avec les 70 millions de tonnes pour la potasse.

Mais pour l’heure, le secteur attend l’annonce de la signature d’un contrat entre la Chine, première consommatrice de potasse et Canpotex, abréviation de Canadian Potash Exporters, entreprise canadienne d’exportation et de commercialisation de potasse, créée en 1970.

Ce contrat d’importance doit se signer plus rapidement que prévu (premier trimestre 2021), à un prix revu à la hausse après que Canpotex a bénéficié de l’envolée du marché et que la Chine souhaite sécuriser son approvisionnement sur un marché concurrentiel entre acheteurs.

Et demain ?

On peut craindre que cette année 2021 qui s’annonce hyper productive en termes de productions alimentaires n’ait qu’un seul but, celui de nourrir des populations qui mangent déjà trop.

La rentabilité agricole qui en découle se concentre manifestement sur une part restreinte d’agriculteurs qui cultivent toujours plus dans une dépendance croissante aux intrants.

L’agriculture performante ne peut se réduire à ce seul modèle, inaccessible à des millions de petits producteurs répartis à travers le monde et subtilisant le prétexte de la sécurité alimentaire.

Source : Bloomberg Green