Les populations de blé oasiennes sont capables de se développer et de produire des grains dans des conditions extrêmes de chaleur et déficit hydrique. Elles constituent des ressources génétiques d’une extrême importance. Isolées, leurs caractéristiques pourraient être transposées dans les variétés cultivées dans les grands bassins céréaliers de l’hémisphère nord pour les rendre plus résistantes au dérèglement climatique.
Créer un consortium pour sauvegarder les ressources génétiques des populations de céréales cultivées dans les oasis sahariennes est le projet lancé par Alain P. Bonjean, Philippe Monneveux et Maria Zaharieva, auteurs d’un des chapitres de la 25ème édition du Déméter piloté par Sébastien Abis. (1).
Ces populations de blé oasiennes (terme préféré à celui de variété car leurs critères ne sont pas spécifiquement définis) sont cultivées depuis 5000 ans et pourtant elles sont les adaptées pour relever les défis agricoles des cinquante prochaines années dans les grands bassins céréaliers de l’hémisphère nord.
Il est urgent d’agir. Depuis quelques dizaines d’années, ces populations de céréales sahariennes sont menacées de disparition. L’agriculture oasienne est délaissée car sa production est insuffisante pour couvrir les besoins croissants des populations en plein essor démographique.
La nature a sélectionné ses propres OGM
Toutefois, créer un consortium pour sauvegarder les ressources génétiques des populations de céréales sahariennes est un enjeu géopolitique. Il nécessite à la fois la collaboration des pays maghrébins et africains, de l’Union européenne et des grands pays producteurs et exportateurs de blé touchés par le réchauffement climatique. Les premiers rendront accessibles les populations de céréales cultivées dans les oasis tandis que les pays européens partageront leurs connaissances scientifiques sur ces ressources génétiques. Une collaboration active bénéficiera à tous ces pays puisque l’enjeu est de sélectionner des variétés résistantes et productives pour renforcer leur sécurité alimentaire et leurs capacités de production.
Les céréales oasiennes résultent de sélections inter et intra-spécifiques, opérées entre populations d’origines différentes (Inde, Moyen Orient, etc.). Or, comme « l’échange de semences avec d’autres régions du monde est resté limité jusqu’au siècle dernier, les populations de blé sahariennes ayant subi de fortes pressions de sélection naturelle liée aux contraintes particulières des oasis (chocs thermiques, sécheresse et salinité) ont alors développé une tolérance notable à ces stress abiotiques », écrivent Alain P. Bonjean, Philippe Monneveux et Maria Zaharieva, contributeurs de la 25ème édition du Déméter. Autrement dit, la nature a sélectionné en quelque sorte ses propres OGM pour disposer de plantes résistantes à des conditions extrêmes!
Pour autant, l’analyse des ressources génétiques des populations de céréales oasiennes ne repose que sur quelques programmes de recherche ponctuels. Les auteurs de l’article du Déméter 2019 (1) en dressent quelque peu l’inventaire.
Les performances des blés sahariens équivalent à celles obtenues en Australe après 200 ans de sélection
Selon eux, les céréales se distinguent par leur bon rendement photosynthétique. Les blés du Sahara présentent des rendements consistants, malgré un fort déficit en eau (pluies nulles à inférieures à 500 mmm durant le cycle de végétation très forte évapotranspiration)
« Les blés oasiens pourraient contribuer également à l’amélioration du rendement potentiel d’autres variétés de blé », soulignent encore les contributeurs du Déméter 2019. Leurs performances équivalent celles obtenues en Australie après 200 années de sélection, depuis leur introduction du l’ile continent.
« En Espagne, les croisements entre le blé à paille courte Klouf et les variétés de blé bon fermier et de seigle sont assez concluants », rapportent encore les contributeurs. Et la variété« Timimoun » tolère des concentrations de NaCl de 5 %. Or le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Pakistan sont confrontés à la salinisation de leurs sols.
Les trois contributeurs du Déméter 2019 (1) soulignent aussi les spécificités morphologiques des populations oasiennes très adaptées à des périodes d’ensoleillement intense.
« La pubescence de nombre de populations de blés oasis ainsi que la caractère barbu et compact des épis pourraient représenter, d’après Léon Ducellier des traits d’adaptation à des hautes températures. L’on peut également noter la leur tolérance à l’échaudage ». Ainsi, la variété oasienne El Klouf en Espagne tolère très bien les hautes températures du sud.
Enfin, détail important, la tolérance aux conditions climatiques extrême ne s’est pas faite aux dépens des qualités boulangères des grains. Les populations Ali Ben Maklouf , El Mansori citées dans le Démeter 2019 présentent d’excellentes qualités boulangères. Mais les travaux menés sont limités à quelques céréales. Toutefois, les résultats obtenus sont intéressants. « Dans certains blés oasiens, les combinaisons de gliadines et de gluténines rares et uniques (protéines du gluten) s’avèrent utiles dans l’amélioration de la qualité des grains », rapportent encore les contributeurs du Déméter 2019.
Frédéric Hénin
(1)Le Déméter 2019 – « Les blés des oasis sahariennes : des ressources génétiques de première importance pour affronter le changement climatique » écrit par Alain P. Bonjean (Consultant international), Philippe Monneveux (Consultant international) et Maria Zaharieva (Consultante internationale).