Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’Académie d’Agriculture française a organisé, le 17 janvier à Paris,  un colloque sur un des thèmes les plus controversés ces temps-ci : « l’Afrique peut-elle nourrir l’Afrique ? ». Sont notamment intervenus lors de cette rencontre :  Papa Abdoulaye Seck, ministre sénégalais de l’Agriculture et de l’Équipement rural, Christian Fusiller de l’AFD et Michel Eddi, président du CIRAD. Michel Bourdoncle a couvert cette journée de réflexion pour WillAgri. Je vous livre de suite la conclusion des débats : oui, l’Afrique peut se nourrir si elle invente son/ses propres modèle(s) de développement agricole. Enfin, dans quelques jours, vous pourrez visionner une partie de l’intervention de Papa Seck.

WillAgri

Ministre de l’Agriculture Sénégalais, Membre de l’Académie de l’Agriculture de France

« L’Afrique peut elle nourrir l’Afrique ? », tel était le thème d’un colloque organisé par l’Académie d’agriculture, le 17 janvier à Paris, en présence du ministre de l’Agriculture et de l’Équipement rural du Sénégal, Papa Abdoulaye Seck. Sur le papier la réponse est positive. Ainsi que le faisait remarquer le ministre, le continent dispose d’un potentiel considérable de terres agricoles disponibles, même si actuellement, il est importateur net de produits agricoles. «38 % seulement des terres cultivables sont effectivement cultivées et 30 millions d’hectares supplémentaires pourraient être irriguées », observait Benoît Faivre-Dupaigre de l’Agence française pour le développement (AFD).  Sans parler de l’amélioration de la productivité attendue par la diffusion du progrès technique, (semences, engrais, phytosanitaires, mécanisation…) qui devrait doper les volumes de production. Les rendements de maïs pourraient progresser entre 30 et 200 % d’ici 2050.  Autre observation, la croissance économique relativement élevée dont a bénéficié l’Afrique, de l’ordre de 5 % par an depuis l’an 2000, a été tirée par l’agriculture, selon l’AFD. Un signe du dynamisme du secteur quand on sait aussi que la croissance de la production agricole en Afrique a été supérieure à celle de l’Europe au cours des 40 dernières années. Il n’en reste pas moins que sur le milliard d’individus malnutris que compte planète, 240 millions vivent en Afrique.

Défi démographique

Ceci étant, le continent doit faire face à de redoutables défis. Le premier est d’ordre démographique. Sa population va doubler d’ici 2050. Le Nigéria par exemple se positionnera au troisième rang mondial, en termes d’habitants après la Chine et l’Inde. Et cette croissance démographique globale va s’accompagner d’une augmentation de la population agricole et rurale. Benoît Faivre-Dupaigre estime à 330 millions le nombre d’agriculteurs supplémentaires en Afrique à l’horizon 2050 , dans « Trajectoires agricoles africaines et options pour le développement », une étude réalisée par l’AFD. Avec pour conséquence également une diminution des superficies cultivées par travailleur d’un peu plus d’un hectare en moyenne à  0,7 ha. Contrairement aux scénarios observés ailleurs dans le monde, en Europe, en Asie notamment, où la croissance de la production agricole s’est accompagnée d’un exode rural massif. Les populations chassées de l’agriculture ont trouvé un emploi dans l’industrie et les services. Ce qui n’est pas le cas en Afrique. L’urbanisation s’est faite sans industrialisation et le secteur primaire (agriculture, mines) reste prédominant. « Les autres secteurs ont une faible capacité à absorber les excédents de main d’œuvre », déplore Benoît Faivre-Dupaigre. La question posée est de savoir de quels revenus les agriculteurs disposeront pour continuer à produire si la surface par actif diminue. Autrement dit le dynamisme démographique que connaissent la plupart des pays entrave l’amélioration des revenus agricoles et donc la croissance de la production à terme. « Le modèle de développement, de l’agriculture vers l’industrie alimentée par l’exode rural ne tient pas. L’Afrique devra inventer sa propre voie », observe pour sa part, Michel Eddi, président directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Épuisement des anciens modèles

En outre, ce qui a été fait au Nord en terme d’intensification agricole depuis les années 60 bute sur un certain nombre de difficultés. On en voit aujourd’hui  ses conséquences délétères sur le changement climatique, l’épuisement de la biodiversité, la dégradation de la fertilité  et l’érosion des sols. Bref, « la révolution verte » a ses limites, et l’agriculture devra être plus agroécologique à l’avenir, notait Michel Petit, membre de l’Academie d’agriculture, en conclusion des travaux.

Enfin, grâce à la mise en place de la politique agricole commune et la protection de ses frontières, l’Europe a bénéficié de circonstances exceptionnelles pour développer massivement sa production entre 1960 et 1980. Une option impossible à envisager aujourd’hui dans une économie mondialisée qui a pour conséquence « une mise en concurrence d’agricultures qui n’ont pas les mêmes moyens pour se défendre », et une exposition des paysans africains à des agricultures  plus compétitives, observe Michel Eddi.

Pour relever le défi de son alimentation, l’Afrique devra faire preuve d’imagination et ne pas compter sur un modèle de transformation unique valable sur tout le continent, à l’image de celui qui a réussi en Europe. Contrairement à ce que pensent de nombreux dirigeants africains, « la petite agriculture devra rester dominante par rapport à la grande agriculture, pour occuper la main d’œuvre, même s’il faut augmenter le capital », estime Michel Petit. Sur le fond, les politiques à mettre en œuvre devront générer de l’emploi et du revenu localement. Les agriculteurs ne resteront sur place que s’ils tirent un revenu suffisant, ce qui les encouragera à produire davantage et à diversifier leur activité. « Il faut veiller à la  diversité des approches et des trajectoires et tenir compte des contextes locaux.  Les logiques ne vont pas tomber du ciel, il faut certes des décideurs politiques, des chercheurs, mais aussi des acteurs pour construire les solutions avec les populations locales. Plusieurs avenirs sont possibles. Ceci implique une territorialisation des politiques publiques », plutôt qu’une approche verticale par filière, conclut Michel Eddi. Autrement dit, ce n’est pas le « prêt à porter » qui sauvera l’agriculture africaine.

Michel Bourdoncle