Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le 30 juin dernier à Rome, les ministres de l’agriculture de l’Union africaine, leurs homologues de l’Union européenne et des représentants de la société civile se sont réunis lors de la Conférence ministérielle sur l’agriculture. Ce cycle de conférences vise à organiser le partenariat entre les deux continents pour répondre aux préoccupations de sécurité alimentaire sur le continent africain. Pour cette cinquième édition, les participants ont échangé autour de quatre grands thèmes : l’investissement durable, la recherche et l’innovation, la résilience des systèmes agroalimentaires et l’intégration du commerce régional. Une centaine d’organisations ont profité de l’événement pour lancer un appel collectif aux États sur l’importance d’accélérer une transition agroécologique et indépendante des intérêts privés. Cet appel comprend notamment une requête sur la souveraineté des terres agricoles.

La sécurisation foncière qui se met en place dans les différents États africains vise plus de transparence dans la gestion des parcelles arables. Elle comporte toutefois un revers, l’attribution traditionnelle des parcelles aux petits paysans est remplacée par des transactions financières qui risquent de les évincer. « En Afrique, les terres appartiendront à ceux qui les achètent » titrait déjà Christian Bouquet dans son article paru dans le bulletin de l’Association des géographes français en 2012.

Cette crainte est exprimée par le collectif dans sa déclaration African civil society organizations and people’s movements call for food sovereignty. L’Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA), le Global Convergence of Struggles for Land and Water in West Africa (CGLTE-AO), l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD), le Network of Farmers’ and Agricultural Producers’ Organizations of West Africa (ROPPA), Plateforme Régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale (PROPAC)…. Ils sont 120 représentants de la société civile à s’associer pour formuler leurs revendications en faveur d’une transition agroalimentaire africaine profitable aux Africains.

Les recommandation des défenseurs de l’Afrique

Selon ce collectif, le périmètre de réflexion initié entre les représentants ministériels européens et africains n’est pas suffisamment favorable aux intérêts du continent africain. Le partenariat soutient une transition agroalimentaire appuyée par l’investissement, l’innovation et la création de chaînes de valeur mais les intérêts industriels restent omniprésents.

L’inclusion et la défense des intérêts des petits exploitants et des locaux sont trop peu présents dans le débat alors que leurs droits sont exprimés dans deux résolutions onusiennes adoptées en 2007 et 2018 :

  • United Nations Declaration on the Rights of Indigenous (UNDRIP) ;
  • United Nations Declaration on the Rights of Peasants and Other People Working in Rural Areas (UNDROP).

Le spectre de l’insécurité alimentaire brandi par les partenaires institutionnels est à double tranchant, il risque de reléguer la durabilité en seconde place derrière la productivité. Or la durabilité est la seule voie pouvant conduire à la souveraineté alimentaire et à l’indépendance africaine vis-à-vis des intrants ou des technologies. Adopter une agriculture alternative dont les pratiques sont accessibles aux petits exploitants et adaptées aux ressources locales serait un premier pas vers l’autonomie et l’autosuffisance.

A titre d’exemple, une production et une gestion locales des semences, des engrais biologiques et des denrées alimentaires locales doivent être la priorité dans les politiques nationales africaines. Les populations africaines pourront ainsi se réapproprier les filières alimentaires.

Le collectif souhaite mettre en garde les représentants gouvernementaux sur les risques liés à la concentration qui exclut les petits producteurs et au contrôle des systèmes alimentaires par les agro-industriels.

Les politiques néolibérales ont succédé à la colonisation, maintenant la dépendance aux importations et à la dette. Les nations africaines ne se trouvent pas en situation d’opérer la transition, de protéger les intérêts nationaux et de promouvoir leur souveraineté économique. Le partenariat UA-UE doit permettre aux populations africaines de disposer de leurs droits fondamentaux, d’acquérir l’autonomie et le savoir-faire pour exploiter leurs territoires et en tirer des revenus suffisants.

Compte tenu des crises successives et des faibles moyens dont elle dispose, l’agriculture africaine a déjà démontré sa capacité de résilience. Elle peut participer à la transition agricole si celle-ci n’est pas inscrite dans une politique d’industrialisation et d’agrotechnologie qui favorise le monopole des groupes internationaux et renforce la dépendance.

Dans sa déclaration, le collectif fait remarquer que La conférence intitulée « Systèmes alimentaires résilients et chaînes de valeur agroalimentaire durables” aurait pu s’appeler « Atteindre la souveraineté alimentaire : des systèmes agricoles et alimentaires durables, inclusifs, équitables et résilients et une consommation locale durable ».

La souveraineté foncière, un préalable à toute transition durable

Préserver la souveraineté foncière fait partie des recommandations émise par le collectif dans sa déclaration qui compte onze propositions en faveur d’une nouvelle agriculture africaine :

  1. Garantir aux populations une agriculture et une alimentation diversifiées et durables dans les échanges UA-UE ;
  2. Assurer le respect des droits de l’homme dans l’élaboration des stratégies publiques ;
  3. Favoriser le financement des projets agroécologiques et locaux ;
  4. Placer les banques semencières sous la tutelle des agriculteurs ;
  5. Préserver la santé des populations en privilégiant des pratiques agricoles respectueuses de la santé et des conditions de travail ;
  6. Promouvoir les engrais bio produits localement ;
  7. Maintenir les terres à dispositions des indigènes et protéger leurs ressources ;
  8. Privilégier les systèmes alimentaires territoriaux et l’agriculture familiale ;
  9. Promouvoir l’égalité et l’autonomie pour les femmes et les jeunes
  10. S’attaquer aux causes structurelles des migrations et des conflits
  11. Assurer la cohérence des politiques pour le développement

Dans sa recommandation n°7, le collectif rappelle que la terre est la première ressource des exploitations vivrières. L’appauvrissement des sols par des activités d’extraction ou l’expatriation des paysans sont les premières causes génératrices d’inégalités.

La sécurisation des terres favorise une exploitation intelligente des surfaces arables. Les paysans cultivent avec plus de diversité, ils limitent la monoculture et ses risques (maladie, appauvrissement), et réduisent leur activité de déforestation à vocation agricole. Leurs revenus sont aussi plus stables.

L’acquisition foncière agricole financée par les États et les banques publiques de développement dans le cadre de grands projets va à l’encontre de la sécurisation évoquée précédemment. Il faut soutenir le foncier agricole communautaire, conformément aux Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale (FAO, 2012) et à la Décision 26/COP14 (ICCD, 2019).

Il s’agit aussi de respecter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci exige des États qu’ils éclairent et consultent les populations locales pour toutes mesures législatives ou administratives qui les impacteraient, ceci afin de recevoir leur consentement préalable ou leurs requêtes en cas de non-respect des dispositions.

Le collectif demande aussi à réviser l’article 6 de l’Accord de Paris qui, selon lui, facilite l’exploitation des terres africaines en faveur des campagnes carbone des grandes entreprises et au détriment des populations.

Pas d’agriculture inclusive sans foncier inclusif ! Le foncier agricole reste un préalable à toute politique agricole viable. Sa gestion, sa fertilisation et sa diversité lui confèrent sa richesse et ses capacités productives. La souveraineté alimentaire en découle, au-delà de l’analyse marchande que peuvent en faire les acteurs de la négociation UE-UA.

Vient ensuite la question des semences sur lesquelles l’agriculture africaine doit reprendre le leadership pour maintenir des cultures qui préservent durablement ses sols et ses intérêts, et non des besoins sur des marchés internationaux.

Il ne peut pas y avoir de souveraineté et d’autosuffisance sans une production agricole diversifiée.

La pratique agricole actuelle n’est en rien durable. Yassia Kindo, secrétaire permanent de la Coordination des politiques sectorielles agricoles au Burkina Faso (CC-PSA), regrette les choix agricoles opérés depuis plusieurs décennies et qui aboutissent à une agriculture sans lendemain, au vu des chiffres :

  • 4100 tonnes de pesticides consommées ;
  • 11 millions de litres d’herbicides déversés ;
  • 000 hectares de terres perdues.

Le Burkina Faso a d’ores et déjà engagé une stratégie d’agroécologie pour les quatre années à venir. En 2027, un tiers des terres agricoles burkinabè devraient bénéficier de pratiques écologiques et un système semencier national favorisera les semences locales.

Les terres arables, au même titre que les ressources hydriques, occupent une place centrale dans la réussite des objectifs « zéro faim ».

Lors de la Conférence de la FAO dont la 43e édition s’est tenue le 2 juillet dernier, Tharman Shanmugaratnam, ministre singapourien, a rappelé qu’au-delà de l’insécurité alimentaire, un défi plus large attendait les États, celui de l’insécurité écologique.

 

Sources : Hic-net.org, Courrier International, Sidwaya, PAM