Comprendre les enjeux de l'agriculture

La production mondiale de pommes de terre croitrait de 50 % d’ici 2030. Elle atteindrait 750 Mt. La pomme de terre sera au cœur des stratégies de sécurité alimentaire dans les pays émergents où les surfaces dédiées à sa culture augmenteront considérablement. L’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique récolteront 60 % des tubercules produits dans le monde.

 

En Europe, la culture de la pomme de terre a éradiqué les grandes famines lorsque sa culture s’est étendue sur l’ensemble du territoire. Certes, elle n’a pas supprimé les disettes mais l’expansion de sa production a été un des piliers de l’essor économique des pays industriels.

Sans pommes de terre à consommer, la famine sévissait de nouveau.

En Irlande entre 1845 et 1849, les plantations de pommes de terre avaient été ravagées par le mildiou. L’absence de récolte a affamé la population. Le Royaume Uni ne lui a apporté aucune aide. Aussi, un quart des Irlandais est mort de faim et un autre quart a émigré aux Etats-Unis.

Au 21ème siècle, la culture de la pomme de terre contribue toujours à la sécurité alimentaire des populations de nombreux pays. Après le blé et le riz, elle est la troisième production agricole consommée par l’homme la plus importante au monde. Chaque année plus de 370 millions de tonnes (Mt) de tubercules sont récoltées dans le monde. Les deux tiers de la population de la planète en consomment.

 « L’Asie représente 57 % des surfaces cultivées dans le monde et 53 % de la production du tubercule », souligne Diane Mordascq, l’auteure de l’article « La pomme de terre une valeur sure de l’alimentation » paru dans l’édition Démeter 2024.

La Chine est le premier producteur au monde de pommes de terre (93 Mt). « La pomme de terre est de plus en plus cultivée aux dépens du riz dans les régions où la céréale est produite, précise encore Diane Mordasc. Mais l’Empire du milieu a aussi lancé sa production en Mongolie intérieure, dans le désert du Kubuqi ».

L’Inde (54 Mt) restera encore pendant des années le deuxième pays producteur de la planète. Mais l’Ukraine, en troisième place (21Mt en 2021), n’aurait récolté que 16,6 Mt l’an passé. Près de 25 % des terres ne sont plus cultivables et sur le reste du territoire, les rendements ont baissé.

Mais les pommes de terre sont des denrées périssables. Les produits industriels congelés (frites, cubes par exemple) ou déshydratés (chips, flocons) sont les seules formes de conservation efficace des tubercules.

Actuellement, les dix principaux pays exportateurs au monde n’exportent que quelques millions de tonnes de tubercules frais par an alors qu’ils en récoltent près de 220 Mt.

Aussi, la mondialisation de la filière pomme de terre repose sur un réseau dense d’entreprises agroalimentaires, édifiées à proximité des bassins de production, pour transformer en denrées stockables (frites, flocons, chips etc.) des millions de tonnes de tubercules.

Mais en exportant ces produits, les industriels exportent aussi de nouvelles habitudes alimentaires dans des pays où la pomme de terre est essentiellement consommée en frais.

En fait, la pomme de terre a toujours accompagné l’évolution des habitudes alimentaires des populations des pays occidentaux.

Dans les pays émergents, sa consommation est aussi appelée à évoluer au gré des habitudes alimentaires de ces pays. La culture de pommes de terre ne sera pas indéfiniment la culture qui sauve de la famine les paysans qui la produisent.

Des pommes de terre nigériennes

Horizon 2030

Au mois de mai 2022, le directeur de la FAO ouvrait le onzième Congrès mondial de la pomme de terre à Dublin en 2022.

 « Une partie de la sécurité alimentaire de la planète se joue sur la culture de la pomme de terre, avait déclaré Qu Dongyu, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Sa production doit doubler au cours des dix prochaines années ». Elle atteindrait ainsi 750 millions de tonnes (Mt) en 2030.

 « Le taux de contribution de la pomme de terre à l’alimentation mondiale passerait de 3,7 % à 6,4 % d’ici 2030, rapporte Diane Mordascq.

Toutefois, la pomme de terre resterait le troisième aliment le plus consommé car les productions de blé et de riz sont aussi appelées à croître. A moins que la culture du riz soit davantage délaissée, car trop exigeante en eau.

Pour produire dans le monde 750 Mt de pommes de terre d’ici dix ans, il faudrait en cultiver au moins 40 Mt de plus par an! Or ces quatre dernières années, sa production n’a pas décollé.

En fait, l’augmentation de la production mondiale de pommes de terre serait surtout chinoise. « Le gouvernement de Pékin a l’intention d’imposer cette culture dans les régions du nord-est de l’ancien Empire du milieu », rapporte Diane Mordascq.

On l’a vu aussi, la culture de pommes de terre est aussi appelée à s’étendre dans les régions rizicoles.

Par ailleurs, l’amélioration des pratiques culturales accroîtrait considérablement les rendements dans les régions où la pomme de terre est déjà cultivée. Des programmes agricoles lancés par la FAO pourraient être engagés à cette fin.

Par le passé, ce phénomène a déjà été observé dans les pays occidentaux. En Union européenne, la baisse de 75 % surfaces cultivées au cours des 60 dernières années a été en grande partie compensée par la hausse des rendements. Au fil du temps, les pays émergents n’échapperont pas à cette évolution.

Des pommes de terre – INRAE

Lutter contre la malnutrition

En fait, la culture pomme de terre s’impose toujours d’elle-même pour réduire, là où c’est possible, la part de la population de la planète (9,2 % en 2022) confrontée à l’insécurité alimentaire.

« Entre 1961 et 2021, les surfaces dédiées à la culture de pommes de terre ont augmenté de 628 % en Afrique et de 339 % en Asie », souligne  Diane Mordascq.

Dans les exploitations, la diversification des productions agricoles et l’introduction de la pomme de terre dans la rotation des cultures étoffent la variété des plantes cultivées et contribuent à renforcer la sécurité alimentaire des paysans.

Dans son article, Diane Mordascq rapporte différentes initiatives prises par quelques pays où la production de pommes de terre est l’option retenue par les paysans pour se nourrir et pour se procurer des revenus supplémentaires en vendant leurs surplus.

En Afrique, le Nigéria sera le pays le plus peuplé au monde après la Chine et l’Inde. Il cultive des pommes de terre depuis soixante ans. En 2021, il en a produit 12 Mt.

« Afin de poursuivre ce développement, le Nigéria s’est doté en septembre 2023 d’un plan stratégique quinquennal pour la pomme de terre dont l’objectif est d’assurer une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable », souligne Diane Mordascq.

 

Les atouts agronomiques

Le cycle végétatif très court de la plante est son principal atout. En 4-5 mois, il est possible de récolter des pommes de terre après les avoir semées. La plante se développe aisément sur des terres irrigables. C’est pourquoi l’Algérie et l’Egypte figurent parmi les vingt premier pays producteurs au monde de tubercules.

La pomme de terre est aussi cultivée en Afrique du sud et au Maroc. Dans ces pays, une partie de la récolte est exportée vers l’Europe occidentale pendant la période de soudure à la fin du printemps.

D’un point de vue agro-écologique, les plantations de pommes de terre émettent moins d’émissions de gaz à effet de serre que d’autres grandes cultures.

La monoculture de pommes de terre est cependant inenvisageable. Les pieds de pommes de terre sont gourmands en nutriments et leur culture impose des rotations d’au moins 4-5 ans pour limiter la propagation des maladies et ravageurs.

Pour rendre sa production durable, des apports réguliers de matières organiques enfouies dans le sol restitueront une partie des exportations des nutriments par les tubercules récoltés. Il s’agira par exemple de la paille broyée des céréales moissonnées les années précédant l’implantation des pommes de terre. Épandre du fumier est aussi tout à fait envisageable.

L’essor de la production de pommes de terre impose aussi des efforts de recherche considérables portant aussi bien sur les pratiques culturales que sur la sélection variétale.

Pour accélérer cette dernière, le recours aux NGT (new genomic technique) sera très utile. « Elles permettent aux sélectionneurs de développer des plantes similaires à celles issues des méthodes traditionnelles de sélection », écrit Diane Mordascq. Parmi les milliers de variétés naturelles, certaines disposent de caractéristiques qui les rendent remarquables. En utilisant les NGT, il sera plus aisé de doter des variétés actuellement cultivées de ces nouvelles caractéristiques pour les rendre encore plus performantes. Un cycle végétatif suffit pour apporter cette modification génétique transmissible là où il faut plus de dix ans lorsqu’on utilise les méthodes de sélections traditionnelles par croisements.