Comprendre les enjeux de l'agriculture

L’alimentation, l’eau, le climat, la gestion des terres…. Autant de questions à traiter pour les États en quête de transition vers des systèmes économiques et environnementaux plus résilients et plus souverains. 

Jonathan Mockshell, scientifique et économiste des systèmes agroalimentaires et d’innovation au CGIAR, et Danielle Resnick, politologue et chercheur sur l’économie politique du développement, ont coécrit un nouveau manuel d’économie politique et d’analyse des politiques (PEPA).

L’objectif de cette publication est d’éclairer les gouvernements en leur offrant une meilleure visibilité des mécanismes et impacts des politiques publiques en œuvre, y compris leurs dynamiques : pouvoir, conflit d’intérêt, réseaux….

Des stratégies publiques ont été passées en revue et ont donné lieu à des modèles d’analyse et à des recommandations dans le but d’assister les gouvernements dans la préparation de leurs réformes agricoles, alimentaires ou environnementales. Ces réformes répondent aux évolutions de la société ou pour agir face à des événements tels que les conflits ou les catastrophes naturelles.

Le manuel répertorie les différentes réformes ayant cours (subventions agricoles, sécurité alimentaire, nutrition) et décrit leur environnement politique, économique et social.

L’analyse, conduite selon une approche PRISMA a permis d’identifier une vingtaine de cadres, et une dizaine d’outils analytiques. En complément, les auteurs ont réalisé cinq études de cas d’utilisation de ces outils dans le cadre de politiques portant sur :

  • L’alimentation et la nutrition ;
  • La terre et l’eau :
  • Le climat et l’écologie.

L’approche est organisée par étapes. Une première phase consiste à déterminer quel système les autorités souhaitent impacter :

  • Le système alimentaire et la nutrition, la santé, la sécurité alimentaire, ainsi que la production agricole et la durabilité ;
  • Le système de gestion de l’eau et de la terre à travers des régulations d’accès, d’utilisation et de préservation ;
  • Le système climatique, y compris les activités agricoles avec lequel il interagit.

Ensuite, le niveau d’impact doit être défini. S’agit-il d’opérer une transition macro (national), méso (règles) ou micro (individus) ? Selon le niveau d’action, le contexte à prendre en compte est soit général et culturel ou alors par catégorie d’individus (perdants/gagnants).

Après ces deux phases, les décideurs peuvent évaluer leurs politiques selon les cadres proposés dans le manuel et s’appuyer sur les expérimentations analysées dans le manuel. Par exemple, ils peuvent s’inspirer des programmes de subvention des intrants agricoles et affiner la stratégie en fonction des opportunités propres.

Les auteurs du manuel ont relevé que les décideurs avaient tendance, par exemple, à axer leurs stratégies agricoles sur l’innovation technologique sans impliquer le contexte socio-économique. Si un programme s’appuie sur le progrès technologique, il doit aussi valider la capacité de cette technologie à investir un secteur sur tous les plans : acceptation culturelle, aptitudes à l’usage, capacité financière…

Source : Authors Jonathan Mockshell et Danielle Resnick

PEPA à l’épreuve des politiques alimentaires

Les cadres et outils PEPA sont proposés aux niveaux macro, méso et micro.

A l’échelle macro, les données sont analysées au niveau national. Elles déterminent l’impact potentiel du contexte historique, du climat politique, de la culture institutionnelle et de la situation socio-économique. Des outils viennent compléter la panoplie d’analyse dans ce contexte macro, les ressources suivantes constituent un exemple d’outils utilisés pour appuyer la démarche analytique :

  • Narrative Policy Analysis (NPA), (Roe, 1994; Mockshell & Birner, 2020) ;
  • Discourse Analysis (DA) (Hajer, 2006; van Dijk, 1996; Mockshell & Birner, 2015) ;
  • Process Net-Map (PNM) (Schiffer, 2007, Ilukor et al., 2015 ; Duncan et al., 2019).

A l’échelle méso, les données sont intermédiaires et principalement issues de processus, de règles et de mécanismes d’incitation qui constituent les politiques. Ces données sont influencées par l’économie, la culture et les normes.

A l’échelle micro, les données vont apporter un éclairage sur les catégories d’individus qui seront gagnants et perdants dans le cadre des réformes envisagées. Cette analyse se fait au niveau régional. Si la part d’individus perdants est forte dans une zone, la mise en œuvre du programme peut mettre en péril la dynamique locale.

Le cas de la sécurité alimentaire en Zambie

Resnick et al. (2018) ont analysé différentes politiques de sécurité alimentaire déployées en Zambie. L’objectif est de décrypter l’impact de l’environnement politique sur l’efficacité des programmes en matière de sécurité alimentaire dans le pays.

Pour reprendre le modèle de changement Kaleidoscope, il existe cinq étapes dans le lancement d’une nouvelle politique :

  1. Agenda ;
  2. Conception ;
  3. Adoption ;
  4. Déploiement ;
  5. Évaluation et réforme.

Les étapes 2 à 4 sont élaborées à partir d’une quinzaine d’hypothèses contextuelles.

C’est sur la base de cette approche que 8 réformes politiques alimentaires et agricoles zambiennes ont été évaluées. Il en ressort qu’une partie des actions programmées dans le cadre des politiques zambiennes ne sont pas applicables malgré les investissements qu’elles ont nécessités.

Ces constats visent à alerter les décideurs sur l’importance de mesurer le réalisme et l’efficacité des mesures envisagées, spécialement dans un contexte d’incertitudes et de pressions sur les ressources budgétaires.

 

Source : Authors Jonathan Mockshell et Danielle Resnick

 

L’approche PEPA

Le manuel PEPA Sourcebook offre à la fois des cadres d’analyse, une « boîte à outils » et un recueil d’observations et de recommandations.

Les décideurs sont guidés dans un processus chronologique :

  1. Détermination de la problématique et de son domaine ;
  2. Évaluation de l’étendue des besoins en termes quantitatifs et qualitatifs ;
  3. Choix des cadres et outils d’analyse pertinents ;
  4. Recueil des données et identification des problèmes non résolus par le programme ;
  5. Synthétiser les éléments probants comme fondement de la réforme ;
  6. Définir et impliquer les acteurs du projet, parties prenantes et décideurs politiques.

Le manuel vise l’analyse des politiques applicables aux systèmes alimentaires, fonciers et hydriques. Il n’est pas exhaustif mais constitue une ressource pour les experts en développement, les financeurs, les organisations de la société civile, les chercheurs et les décideurs chargés de conduire lesdites politiques.

L’alignement des positions institutionnelles avec celles de la société, civile ou économique, est le garant de la réussite d’une politique. Le degré d’acceptation sera meilleur et le risque de conflits réduit.

Les années 60 voient émerger les premières politiques économiques comme fondements du développement agricole. Aujourd’hui l’appel à la transition couvre toute la chaîne agroalimentaire, de la production agricole à l’industrie agroalimentaire, y compris sur le volet environnemental.

Il n’existe pas beaucoup de guides ou de cadre à l’analyse des politiques agroalimentaires, les ressources sont dispersées et les indicateurs non validés. De plus, les études sont conduites par domaine de compétences sans intégrer les notions de pouvoir propre au monde politique et économique.

Le succès des politiques de production alimentaire, de gestion des ressources et de préservation environnementale participent grandement à l’atteinte des objectifs dans les cinq domaines définis par le CGIAR, à savoir :

  • La santé et sécurité alimentaire ;
  • Les moyens de subsistance et emplois ;
  • L’environnement et la biodiversité ;
  • L’équité et l’inclusion sociale ;
  • La lutte contre le réchauffement climatique.

L’analyse des genres et la question inclusive restent à développer dans le PEPA Sourcebook, le succès d’une politique agricole étant grandement lié à l’inclusion des jeunes et des femmes.

Aujourd’hui, ces catégories de population n’ont pas un accès équitable à l’eau, à la terre, aux financements, et plus globalement au pouvoir.

Dans le secteur agricole, la forme coopérative constitue un mécanisme de compensation fréquent et efficace mais les décideurs politiques ont aussi la responsabilité de construire un cadre légal favorable aux individus défavorisés, notamment en leur octroyant plus de pouvoir foncier et financier.

Source : globalpolicyjournal.com