Garantir l’approvisionnement en eau constitue un défi majeur pour l’ensemble des États. Les pénuries impactent lourdement la vie des populations ou le développement économique des régions. Le changement climatique, le niveau de consommation et les prévisions de croissance démographique conduisent les États à envisager une technique alternative, le dessalement d’eau de mer. Ces dernières années, les industriels multiplient les expérimentations de dessalement et les projets d’envergure aux quatre coins du globe, soutenus par des politiques publiques favorables. Le challenge du dessalement réside dans le développement d’une technologie durable qui réponde aux besoins en eau tout en en limitant les effets polluants.
En septembre dernier, l’Institut français des relations internationales (IFRI) a publié un rapport intitulé « Géopolitique du dessalement d’eau de mer » et rédigé par Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre pour l’énergie et le climat au sein de l’Institut, et Élise Cassignol, rédactrice au sein du Pôle affaires globales de l’Élysée , spécialisée sur les questions environnementales.
Face au défi hydrique qui touchera plus de 60% de la population mondiale en 2025, les océans qui occupent 70% de la surface du globe apparaissent comme une source intarissable pour alimenter les unités de dessalement projetées ou réalisées.
L’eau est une ressource sensible, elle influence la vie des populations et participe à la stabilité politique et économique des territoires. Les États s’emparent de ce sujet et considèrent le dessalement comme LA solution d’avenir.
Dans certaines régions du monde, le dessalement assure déjà une grande partie de l’approvisionnement en eau, à l’image des Émirats arabes unis dont plus de 40% de l’eau potable est produite par des usines de dessalement, soit 7 millions de m3 par jour !
Pour 2025, L’Arabie Saoudite vise presque exclusivement une consommation d’eau dessalée. Pour ce pays assis sur une économie pétrolière, la transition vers d’autres secteurs de développement n’est possible que si le pays dispose d’un approvisionnement en eau suffisant et souverain pour alimenter cette ambition.
En dix ans, le nombre de stations de dessalement a plus que doublé dans le monde : 21.000 stations sont en activité et le secteur voit sa capacité de production annuelle croître d’environ 8%.
En Afrique, l’Algérie et le Maroc annoncent des projets de dessalement ambitieux tandis que le Ghana, le Sénégal et le Kenya alimentent les centres urbains avec de l’eau dessalée.
En Asie, c’est la Chine qui annonce plus de 35 projets d’usines de dessalement, tandis que les États-Unis lancent des grands projets en Californie et au Texas. En Amérique latine, le Pérou et le Chili adoptent le dessalement pour satisfaire les besoins du secteur minier, au Mexique l’eau produite à partir d’eau de mer alimente principalement la population.
Dessalement, des leaders historiques européens
Depuis une décennie, Engie et Veolia apparaissent comme des leaders historiques, challengés par de nouveaux opérateurs :
- IDE Technologies (Israël) ;
- Doosan (Corée du Sud) ;
- Abengoa (Chine) ;
- Acciona (Espagne) ;
- Metito (EAU).
Le dessalement s’appuie sur deux technologies.
- La distillation, elle consiste à chauffer l’eau à partir d’énergie fossile ou solaire et provoquer l’évaporation des molécules d’eau libérées du sel.
- L’osmose inverse, un procédé de filtrage de l’eau par pression hydraulique au travers de membranes semi-perméables, avec rétention des impuretés.
Les opérateurs maîtrisent la technologie de dessalement par osmose inverse qui devient très majoritaire, la concurrence se fait sur les coûts d’exploitations, la capacité de production et les caractéristiques techniques des équipements.
Un dessalement énergivore
Si elle solutionne le problème de disponibilité hydrique, la production d’eau potable par dessalement présente aussi des inconvénients.
Le procédé consomme de l’énergie et génère des gaz : en moyenne, la technique de dessalement par distillation consomme 5 kWh par m3 d’eau traitée, contre 3 kWh pour l’osmose. Les unités les plus performantes affichent 2,27 kWh.
En quinze ans, la consommation d’électricité du secteur s’est accélérée, en Arabie Saoudite, elle représente désormais 6% de la consommation totale du pays. Globalement, au Moyen-Orient, les usines de dessalement peuvent compter sur des énergies fossiles à faible coût pour produire l’électricité dont elles ont besoin.
En parallèle, les installations les plus récentes sont conçues pour fonctionner à partir d’énergies renouvelables :
- Énergie solaire, à l’image de l’unité de dessalement d’Al Khafji en Arabie Saoudite, qui traite quotidiennement 60.000m3 ;
- Énergie houlomotrice, générée par les vagues et courants marins ;
- Énergie produite par géothermie.
Le nombre d’installations est appelé à se développer, le volet technologique peut compter sur des opérateurs aguerris et une concentration des projets de recherche et d’innovation sur le procédé.
Les États devront veiller à encadrer le volet environnemental, tant au niveau de la production que de la distribution. L’eau produite doit être acheminée jusqu’au consommateur pour un coût raisonnable sans que cela incite l’industrie, l’agriculture ou la population au gaspillage.
Source : Statista.
Dessalement, état des lieux à l’échelle mondiale
La moitié de la production mondiale d’eau dessalée se trouve au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
A elles deux, ces régions du monde ont investi près de $40 milliards, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis en tête, $14,6 milliards pour le premier, 10,3 milliards pour le second. Le marché de l’eau dessalée est principalement aux mains de Saline Water Conversion Corporation (SWCC), un opérateur public saoudien.
Quelques projets de la région méritent une mention particulière :
- Projet de Jafurah, en Arabie saoudite, une station à $3,2 milliards qui injectera d’ici 2027 de l’eau souterraine ;
- Projet de Mirfa, aux EAU, l’eau dessalée sera produite à compter de 2026 et alimentera les industries locales, Suez a été retenu pour ce projet à $160 millions.
Les États-Unis comptaient moins de 170 installations en 2018, la majorité étant implantée au Texas et en Californie.
En Europe, c’est Barcelone qui accueille la plus grande usine de dessalement.
L’alternative « dessalement » semble séduisante face aux sécheresses multiples, on pourrait s’attendre à trouver ce type d’unités sur tous les rivages, mais leur coût d’investissement, coût de fonctionnement et coût énergétique restent importants, sans compter qu’il faut gérer la problématique des rejets polluants, dans l’air et dans l’eau.
En France, certaines communes françaises ont adopté le dessalement comme l’île de Sein où la population boit de l’eau dessalée depuis les années 70. Sur l’île de Groix, dans le Morbihan, l’eau dessalée permet de subvenir aux besoins de la population estivale, multipliée par trois durant l’été.
Dessalement, le risque écologique
Pour les organisations environnementales, le dessalement menace l’équilibre du milieu marin et augmente les émissions de GES.
Il s’agit de transformer une eau chargée en plancton, chlorure et sulfate en eau potable.
Quelle que soit la méthode retenue (distillation ou osmose inverse), les installations consomment beaucoup d’énergie, majoritairement fossile, d’où une pollution.
Selon le rapport de l’Ifri, le dessalement annuel produirait 120 millions de tonnes de dioxyde de carbone. La Banque mondiale alerte sur les risques à développer le procédé sans préoccupation environnementale, selon l’institution, 280 millions de tonnes supplémentaires de dioxyde de carbone seraient émis à l’horizon 2050.
En 2019, une étude estimait que le dessalement engendrait un rejet global journalier d’environ 140 millions de m3 de saumures résiduelles, après distillation ou filtrage. Concentré en sel et autres additifs chimiques (anti-tartre, anti-chlore, anti-fongique…), les saumures rejetées en mer modifient la composition du milieu marin et participent localement au réchauffement des océans, à leur désoxygénation et, par conséquent à leur capacité d’absorption en CO2, selon Christophe Mori, maître de conférence à l’université de Corse. Celui-ci met en garde sur la préservation des herbiers marins, véritables gardiens de la biodiversité et protecteurs contre les phénomènes d’érosion.
Selon ce scientifique, d’autres actions sont prioritaires à l’adoption du dessalement, il préconise :
- La lutte contre les fuites d’eau liées à la dégradation des réseaux ;
- L’option des eaux usées pour certains usages ;
- La révision de certains usages comme le remplissage des piscines.
Le dessalement ne serait pas une alternative à privilégier sauf pour les populations insulaires dans les cas où l’acheminement en eau est complexe.
En Afrique, le Maroc s’impose dans le dessalement
Face à un stress hydrique qui s’intensifie, le Maroc prend les devants et développe ses propres infrastructures de dessalement.
Le royaume lance sur son territoire des projets innovants avec les stations de Casablanca, Agadir, Laâyoune et Dakhla. Sur la zone Mena, le Maroc n’est que 6e en termes d’investissements, avec $2,37 milliards, mais il devance ses voisins, l’Algérie et la Tunisie. L’ambition marocaine s’appuie sur les kilomètres côtiers dont dispose le pays.
La station de dessalement de Casablanca offrira au Maroc son statut de leader, cette unité sera la plus grande d’Afrique et permettra de soulager les besoins en eau face à une sécheresse intense et durable aggravée par des nappes phréatiques déficitaires et des barrages asséchés.
Le pays dispose de 11 stations de dessalement pour son usage industriel, celle de Casablanca affichera de nouvelles performances : un demi-million de m3 sera produit chaque jour.
Le projet de Dakhla prévoit une unité de production d’environ 100.000 m3 par jour, cette installation mue à l’énergie éolienne, alimentera le méga projet agricole de 5000 hectares lancés en 2022 par le gouvernement.
A court terme, le pays disposera d’une capacité de production de plus de 1 milliard de m3 par an. La moitié de cette production fournira l’eau potable, l’agriculture et l’industrie se partageront à parts égales les 50% restants.
Source : Yabiladi, Reporterre, Statista, Ifri