Les espaces agricoles et sylvicoles cohabitent et convergent vers le même objectif, la préservation de l’écosystème naturel et de la capacité des sols à produire les denrées alimentaires nécessaires aux populations et à l’économie rurale. Malgré cela, la dernière décennie a été l’occasion d’une déforestation massive dont 90% due à la quête d’espaces pour la culture ou le pâturage, entraînant diverses dégradations environnementales, sociales ou économiques. La perspective d’une croissance de la démographie et de la production alimentaire a conduit la FAO à présenter son rapport Halting deforestation from agricultural value chains: the role of governments qui encourage les États à accompagner le monde agricole sur une chaîne de valeur sans dommage pour les espaces sylvicoles.
La FAO estime que si le modèle de production agroalimentaire n’est pas révisé, 165 à 600 millions d’hectares supplémentaires seront occupés d’ici 2050, y compris des espaces sensibles, essentiels à l’équilibre des écosystèmes.
En plus de meilleurs rendements, il faudra activer d’autres leviers d’amélioration :
- Restaurer les terres agricoles dégradées ;
- Mettre en œuvre des pratiques agricoles durables ;
- Limiter la réaffectation des terres sylvicoles ;
- Organiser la gouvernance de ces transformations.
Seule une meilleure exploitation des terres avec des émissions de GES permettra d’atteindre les objectifs fixés dans le cadre des ODD.
Le monde agricole fait face à deux challenges, se passer des espaces forestiers et pratiquer une agriculture moins émettrice de GES.
Viendra aussi le chantier de conservation et de reforestation, environ 600 millions d’hectares agricoles sont à reboiser selon la FAO.
Le plan de transformation des systèmes alimentaires décidé au Food Systems Summit de 2021 à New-York et l’action REDD+ (Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) pourraient constituer des premières opportunités de réflexion sur la question de la valorisation agricole sans préjudice aux forêts.
REDD+ est un mécanisme international encadré par les négociations internationales sur le changement climatique afin d’encourager les pays en voie de développement qui protègent et restaurent leurs stocks de carbone forestier.
La coordination internationale
Quelques pays ont lancé des campagnes de protection des espaces boisés en incitant les agriculteurs à prioriser la recherche de nouvelles pratiques à surfaces agricoles constantes.
Ces politiques publiques ne peuvent réussir à l’échelle nationale, les pays consommateurs doivent s’impliquer dans la lutte contre la déforestation subie par les pays producteurs.
La Déclaration commune du Dialogue sur les forêts, l’agriculture et le commerce des produits de base (FACT) est un premier engagement de pays participants autour de quatre grands thèmes :
- Le développement du commerce et des marchés, notamment la part de marché des matières premières agricoles produites durablement ;
- Le soutien aux petits exploitants, utilisateurs privilégiés des matières premières issues des forêts et pénalisés par les restrictions éventuelles ;
- L’utilisation des nouvelles technologies de traçabilité et de transparence pour les programmes de certification afin d’appuyer leur notoriété ;
- L’appui aux initiatives de recherche et d’innovation pour permettre la mise en œuvre des objectifs de la Déclaration.
Ils sont 28 pays à soutenir la Déclaration dont le Brésil, le Nigéria, le Ghana, la Côte d’ivoire, le Canada, les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou le Japon.
Des acteurs privés déjà engagés
Dès 2014, les acteurs du secteur privé ont inscrit la lutte contre la déforestation dans la Déclaration de New York sur les Forêts et ont lancé le mouvement Forest Positive lors du Consumer Goods Forum.
Ces initiatives regroupent une série d’engagements visant à réduire les activités marchandes destructrices de forêts. Les acteurs impliqués représentent un marché de $2000 milliards pour les détaillants et fabricants et de $9000 milliards pour les gestionnaires d’actifs.
Les engagements ont été formalisés à l’issue d’un travail collaboratif entre gouvernements, ONG et groupes industriels, la priorité est aux chaînes d’approvisionnement et aux financements sur des filières qui respectent les forêts.
L’objectif n’est que partiellement atteint mais le secteur public fait pression sur les industriels pour une accélération de la réalisation des engagements, la déforestation fait peser un risque commercial de $79 milliards sur les entreprises.
Le rôle essentiel des gouvernements
Chaque État doit créer un cadre légal permettant de mettre en œuvre des actions de lutte contre la déforestation ainsi que leurs financements. La tâche consiste à valider la cohérence des différentes politiques publiques, à surveiller leur bonne application et à en mesurer l’efficacité pour pouvoir les réformer le cas échéant.
Les pouvoirs publics servent de catalyseurs dans l’élaboration d’une stratégie commune entre les acteurs de l’agrobusiness pour préserver les forêts et engager la transition vers de nouvelles chaînes de valeurs des produits agricoles.
Ces acteurs représentent différents secteurs et se placent à différents niveaux de la chaîne : organisations de producteurs, communautés locales, associations, entreprises….
La réussite du projet est aussi soumise à des aléas extérieurs que les gouvernements ne maîtrisent pas même s’ils peuvent en atténuer les effets :
- Fluctuation des cours des matières premières ;
- Les changements d’habitudes de consommation ;
- Les changements de réglementation dans les échanges commerciaux.
La transformation du système agroalimentaire nécessite des financements spécifiques ou, au moins, une réallocation des financements pour une agriculture plus respectueuse des forêts à travers le soutien financier aux produits agricoles à impact neutre.
L’accompagnement peut aussi prendre la forme d’une assistance technique sur l’adoption de pratiques agricoles innovantes et durables et sur la gestion intégrée des paysages. Cette dernière est d’autant plus importante qu’elle prend en compte la réalité locale, sociale, économique et écologique.
Les projets d’intégration paysagère sont en général conduits par des administrations ou organismes décentralisés pour leur proximité avec les acteurs. Ils déploient en région les politiques nationales et représentent un lien « horizontal » intersectoriel localement : autochtones ; exploitants agricoles ; femmes ; jeunes… mais aussi les acteurs de la chaîne de valeurs
A travers les différents services de l’État, des données sur les territoires sont disponibles. Agricoles ou forestières, elles permettent d’alimenter l’élaboration des stratégies sur la répartition des espaces agricoles ou forestiers, sur les choix de pratiques agricoles, sur les mécanismes d’incitation et sur la conservation des denrées.
La préoccupation de conservation des forêts implique des investissements supplémentaires dans la collecte de données supplémentaires et dans l’innovation agricole pour mettre en place des instances spécifiques chargées d’évaluer, de contrôler et de veiller à l’intégration paysagère dans tous les projets impactant les espaces forestiers. Ces instances pourront appuyer les décisions publiques en termes de planification, d’évaluation des risques et de choix d’investissement. Elles pourront aussi être le relais entre le gouvernement, le privé et la société civile.
Les dispositifs FLEGT et REDD+
Ces deux dispositifs contribuent à la préservation des forêts.
Forest Law Enforcement, Governance and Trade (FLEGT) est une initiative européenne destinée aux pays en voie de développement. Elle les appuie dans la lutte contre les activités illégales touchant les forêts. Lancée en 2003, elle impose entre autres aux pays importateurs de tracer la provenance des bois achetés afin de s’assurer qu’ils sont issus d’exploitations légales. En marge du dispositif, des accords commerciaux ont été signés entre l’Europe et les pays exportateurs afin que ceux-ci collaborent à la démarche européenne de lutte contre l’exploitation sauvage des forêts.
Le dispositif de Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) est issu de négociations internationales relatives au changement climatique et propose un mécanisme de compensation financière incitatif. Les pays qui protègent leurs espaces forestiers, participent à la réduction des émissions ou reboisent des espaces agricoles sont soutenus financièrement dans leurs initiatives par REDD+.
En imposant la traçabilité aux importateurs européens, le dispositif FLEGT encourage les pays producteurs à respecter les directives de REDD+.
La protection des forêts à travers la réforme d’un système agricole et la quête de nouvelles chaînes de valeurs des denrées agroalimentaires n’est qu’un début. D’autres activités (extraction, tourisme, transport…) participent à la dégradation des forêts, ils pourraient faire l’objet d’une même approche, se transformer pour cohabiter avec les espaces forestiers et non à leur détriment.
Source : FAO