Comprendre les enjeux de l'agriculture

Les États s’entendent sur la nécessité d’intégrer la notion de bien-être animal dans les politiques publiques. La question est de savoir comment. Aujourd’hui la défense de la cause animale est acquise mais elle a un coût. En particulier, la consommation de viande animale répond encore plus à des impératifs de rentabilité économique qu’à des considérations éthiques. Alors que l’Europe s’oriente vers un étiquetage spécifique, l’Afrique s’attache à populariser l’idée de droits des animaux. A l’instar des droits de l’homme, la difficulté est de d’introduire le débat dans le contexte d’une mondialisation peu réceptive.

En France

Longtemps considérés comme des objets, les animaux ont acquis en 2015 la qualité d’êtres vivants sensibles dans le Code civil français ; un statut plus protecteur. Jusque-là, seule l’article 9 de la loi du 10 juillet 1976 évoquait la nécessité pour un propriétaire de traiter son animal dans des conditions compatibles avec ses impératifs biologiques. L’animal est donc toujours un bien que l’on peut posséder mais il se place au-dessus des objets. Les associations militent pour l’acquisition de droits reconnus.

La maltraitance est punie par la loi, elle concerne les mauvais traitements pour les animaux domestiques ou sauvages tenus en captivité. Pour les animaux d’élevage, des décrets imposent de protéger les animaux des mauvais traitements, d’utilisation abusives ou de souffrances à l’occasion de l’élevage, du transport ou de l’abattage. Concernant les animaux utilisés comme cobayes en laboratoires, leur utilisation est limitée aux expériences strictement indispensables.

Il existe des sanctions prévues au Code pénal ou le Code rural et de la pêche pour les cas de maltraitance, sévices ou actes de cruauté : abandon, agonie, privation de nourriture … potentiellement punissables de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.

En Europe et dans le Monde

Depuis 1987, la Convention européenne garantit le bien-être des animaux domestiques. En. 1997, un protocole annexé au Traité d’Amsterdam leur offre le statut d’êtres sensibles à prendre en compte dans les filières agriculture, transport, marché intérieur et recherche.

Depuis 2010, une directive encadre l’utilisation des animaux à des fins d’expérimentation. Elle interdit par exemple l’usage des grands singes (gorilles, chimpanzés, orangs outans) sauf à chercher des traitements visant à protéger l’espèce elle-même ou l’homme.

Et depuis 2013, l’expérimentation est interdite dans la cadre de la recherche cosmétologique, une interdiction que les députés européens souhaiteraient voir étendre d’ici 2023 par le biais de l’ONU.

D’autres pays emboîtent le pas de l’Europe : l’Équateur confère un « droit à la préservation » pour la nature, l ‘Argentine reconnaît l’orang-outan comme un sujet de droit libre et la Nouvelle-Zélande reconnaît la sensibilité animale (sentient beings).

Il est donc possible de reconnaître la qualité de personne à un animal.

Comment définir le bien-être animal

La définition du bien-être animal repose sur 5 principes définis par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). L’animal doit être :

  • Protégé de la faim et de la soif ;
  • Dans un environnement physique adapté ;
  • Soigné ;
  • Libre de son comportement ;
  • Protégé du stress.

Ces obligations s’appliquent aux 50 millions de poules pondeuses et 20 millions de vaches qui composent les élevages français, de leur naissance à l’abattage.

Abattoirs, la prise de conscience

Depuis quelques années, la diffusion de vidéos montrant le mépris de la condition animale et les infractions aux réglementations commises à l’occasion du transport ou de l’abattage d’animaux, ravive la question du bien-être animal.

Le consommateur français découvre la face cachée de sa consommation et les autorités enquêtent. En 2017, une première proposition de loi de 2017 d’équiper les abattoirs de vidéos n’aboutit pas mais en 2018, la loi EGalim propose :

  • D’équiper les installations de mise à mort d’une vidéosurveillance, sur la base du volontariat et pour une période expérimentale de 2 ans ;
  • De nommer un responsable de la protection animale, garant des procédures et protégé par le statut « lanceur d’alerte » ;
  • D’étendre le délit de maltraitance aux transports et abattoirs avec un alourdissement de la peine (1 an d’emprisonnement) et de l’amende (15.000€).

Des avancées notables pour l’élevage en batterie

Avec près de 15 milliards d’œufs pondus, la France est le premier producteur européen

La loi EGalim a interdit toutes mises en œuvre de nouvelles installations d’élevages en batterie à compter du 1er février 2019. L’objectif est de supprimer la production d’œufs issus d’élevages industriels en 2022.

Les industriels agroalimentaires ont réagi en orientant leur production vers les œufs issus d’élevage de poules en plein air. Dès 2018, la part des œufs produits d’élevage en plein air a représenté plus de 50% des ventes.

Globalement, toutes les productions en élevage alternatif ont progressé :

  • Élevage au sol : + 15% ;
  • Élevage bio : +12% ;
  • Élevage de plein air : 6%.

La relation homme-animal

En France 63 millions d’animaux de compagnie poussent la société à changer son regard sur l’animal. Un foyer sur deux possède un animal défini par le Code rural comme un animal « détenu par l’homme pour son agrément » :

  • Chats : 13,5 millions ;
  • Chiens : 7,3 millions ;
  • Poissons : 32,7 millions ;
  • Rongeurs : 3,4 millions ;
  • Oiseaux : 6 millions.

Cette proximité grandissante avec le monde animal semble modifier le regard du consommateur sur les denrées issues de l’animal. Une partie de la population embrasse la cause animale en adoptant un régime végétarien, voire végétalien, en s’opposant à tous produits d’origine animale comme le cuir.

Le mouvement se propage à toutes les activités humaines, ainsi des voix s’élèvent contre les démonstrations d’animaux sauvages dans les spectacles. Selon un sondage conduit en 2018 par la Fondation 30 millions d’Amis, 67% des personnes souhaitent l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, les parcs aquatiques ou zoologiques.

Certains vont encore plus loin, estimant que l’homme doit être replacé au même niveau que les animaux dans la cohabitation et qu’il ne doit plus disposer du droit de vie ou de mort sur l’animal : un courant de pensée créé en 2016 et nommé l’antispécisme. Sans conduire à la disparition des animaux dans nos sociétés, cette approche pose la question d’admettre une relation ou un partenariat différent avec l’animal.

Bilan européen

Fin 2020, un rapport d’information parlementaire a dressé un état des lieux du bien-être animal au regard de la législation européenne. Ce rapport porte sur quatre catégories d’animaux :

  • Animaux d’élevage ;
  • Animaux d’expérimentation ;
  • Animaux de compagnie ;
  • Animaux sauvages.

Au total, l’Europe compte près de 150 millions de porcs, 100 millions de moutons (et chèvres), 100 millions de chiens et chats, 90 millions de bovins, 10 millions d’animaux pour l’expérimentation.

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), la difficulté est de considérer le bien-être animal comme son état mental ou physique lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques ou comportementaux, en fonction de la perception de la situation par l’animal.

Le rapport liste une centaine de propositions visant à améliorer la situation de l’animal dans toutes les catégories, même si le Traité de l’Union européenne ainsi que des directives viennent déjà encadrer le traitement animal dans l’agriculture, le transport ou la recherche.

Le constat est que la législation en place est insuffisante ou perfectible :

  • Des espèces ne sont pas protégées : lapins, équidés, vaches laitières, dindes, canards, poissons ;
  • La fréquence d’actualisation de la directive sur le bien-être animal est insuffisante (1998) ;
  • L’application des lois est difficile, notamment la directive “oiseaux” qui vaut à la France un rappel à l’ordre régulier de la Commission européenne ;
  • L’insuffisance de coopération et de contrôle des normes entre les pays de l’UE.

Impact de la PAC sur le bien-être

Selon le rapport, il apparaît que la thématique du bien-être animal n’est pas centrale dans la Politique agricole commune.

Un accompagnement des agriculteurs dans la transition du traitement animal est préconisé, notamment :

  • En conditionnant les aides au respect de la législation européenne ;
  • En renforçant les contrôles dans chaque pays ;
  • En instaurant un étiquetage sur les produits, relatif aux conditions de bien-être animal.
  • En financement la mise à niveau des abattoirs pour améliorer l’étourdissement effectif des animaux avant abattage (les vétérinaires estiment que 20% des animaux ne sont pas correctement étourdis) ;
  • Mieux instruire les dossiers de demande de dérogation à l’étourdissement avant abattage.

L’exemple allemand

 L’Allemagne a l’intention de devenir un leader en matière de bien-être animal en transformant les conditions de ses élevages en plein air ou dans les étables.

Les institutions politiques ont conscience du surcoût de cette initiative mais défendent la nécessité de coller aux préoccupations de la société. Le coût de la transition agricole vers des pratiques plus respectueuses est estimé à 4,3 milliards d’euros pour l’Allemagne d’ici 2030.

Les études menées par la Commission allemande Borchert donnent une piste sur le financement potentiel de cette politique en faveur du bien-être animal : une taxation supplémentaire sur les produits d’origine animale.

Les éco-dispositifs de la PAC n’ont pas pour objet de développer les activités d’élevage, défavorables à la protection du climat et de l’environnement mais ils peuvent appuyer les comportements vertueux des éleveurs sur l’alimentation, la santé et la protection des animaux.

Comme les autres membres, l’Allemagne a jusqu’à janvier 2022 pour transposer les directives européennes de la PAC dans son plan stratégique national en faveur de son projet sur le bien-être animal. Toutefois, les ambitions allemandes relatives au bien-être animal compliquent la mise en place d’un label commun de protection animale au sein de l’Europe.

L’Allemagne rétorque que les exigences européennes ne sont que des normes minimales à faire progresser mais elle a reconnu que les éventuelles exigences nationales ne devaient pas fermer le marché intérieur à la concurrence.

Au contraire, Les agriculteurs allemands s’inquiètent que cette stratégie défavorise les produits locaux soumis à des normes plus strictes si les aides relatives ne sont pas conséquentes. Pour le consommateur allemand, le bien-être animal devra être mis en valeur par un label visible, fiable et contrôlé et alors, il sera peut-être prêt à payer plus en tant que citoyen.

Le consommateur payera-t-il plus ?

Au niveau de l’Europe, le message est collectif, l’idée de la protection animale est acquise et constitue un maillon essentiel d’une filière agroalimentaire durable. La qualité des denrées produites dépend aussi du confort d’élevage dans lequel se trouve l’animal : moins de médicament, des élevages moins destructeurs de biodiversités… Les stratégies européennes comme « De la ferme à la fourchette » (F2F) prévoient aussi des normes complémentaires sur le bien-être animal à court terme.

A chaque sondage, les citoyens confirment vouloir s’engager plus en faveur de la cause animale et être de plus en plus attentifs à l’origine et au circuit du produit qu’ils achètent :

  • 75% des consommateurs européens aimeraient plus d’information sur le bien-être animal ;
  • 43% des Allemands sont prêts à payer plus pour un produit issu d’un animal respecté.

Ces intentions peuvent être revues à la baisse lorsque ce même acheteur se trouve en supermarché, face aux produits « premier prix ». Pour minimiser l’écart entre les intentions et les actes, un travail doit aussi être mené sur la transparence de la communication sur les lieux mêmes de vente.

Que comprend l’étiquetage européen sur le bien-être animal

Fin 2020, les ministres européens de l’Agriculture ont approuvé le principe d’un étiquetage harmonisé sur le bien-être animal comprenant des informations sur :

  • Les modalités d’élevage ;
  • Les conditions de transport ;
  • Les procédures d’abattage.

La volonté est de proposer une communication supplémentaire afin de limiter la promotion de denrées à bas prix dont la production ne soutient ni les agriculteurs, ni les animaux. La Ministre allemande de l’agriculture a d’ailleurs indiqué que, parallèlement à l’étiquetage européen, des mesures nationales seront prises pour encadrer les publicités. Elles devront mettre en avant l’origine, le goût, le bien-être animal et les normes de qualité.

La stratégie africaine

Le continent africain prend en compte la question animale dans ses stratégies de développement durable, notamment via l’Union africaine (UA).

Un plan d’action, intégré dans la stratégie de développement de l’élevage en Afrique, est conduit par l’OIE et la FAO. Ces organisations internationales apportent un appui organisationnel à la préservation du bien-être des animaux, y compris ceux issus de la faune sauvage. Elles coordonnent les actions à déployer auprès du Bureau interafricain des ressources animales de l’Union africaine (UA-IBAR) mandaté techniquement pour centraliser les programmes d’action.

Le plan d’action comprend six domaines d’intervention :

  1. Comprendre le statut actuel de l’animal dans les différentes filières et les freins à la transition ;
  2. Instaurer le principe de bien-être animal dans le développement socioéconomique :
  3. Officialiser le bien-être animal dans les institutions (réglementations, éducation…) ;
  4. Renforcer les compétences et la connaissance sur le sujet ;
  5. Développer une communication en appui du projet ;
  6. Mettre en place le suivi et la régulation des dispositifs.

Cet objectif fait partie du programme de développement durable à l’horizon 2030, une première étape avant l’ambitieux Agenda 2063.

Quel que soit le continent, le bien-être animal soulève à nouveau la question de la place de l’homme dans l’écosystème. La question animale reste prioritairement traitée sous un angle agroalimentaire. Une communication efficace passe sans doute plus par une mise en avant du bénéfice nutritionnel qu’animal. La mission est de pousser le citoyen convaincu à agir en tant que consommateur averti.

Source : euractiv.fr, vie-publique.fr, hubrural.org