Préserver les ressources naturelles réduit de plus en plus la liberté d’entreprendre des propriétaires fonciers et des agriculteurs. Les réglementions environnementales remettent parfois en cause les droits attachés à la propriété, du droit d’en disposer librement. D’où cette question légitime que beaucoup se posent : est-il toujours aussi intéressant de conserver ou d’acquérir des terres ? L’évolution du droit de l’environnement en France est un cas d’école.
« La bataille des sols a commencé » en France. Le droit de l’environnement interfère de plus en plus dans la gestion des biens fonciers des propriétaires, suscitant bien des conflits d’intérêt.
« Le Déméter 2018, économie et stratégies agricoles » (1) consacre un de ses chapitres à l’évolution du droit de la propriété individuelle face à l’influence et au poids croissant des questions environnementales. Il est intitulé :« Agriculture et environnement : de la propriété individuelle à la propriété commune ». Carole Hernandez Zakine y analyse l’éclatement du droit de propriété provoqué par par l’importance croissante des préoccupations environnementales.
« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Cet adage que l’on prête à Antoine de Saint-Exupéry résume en quelques mots l’évolution du code de l’environnement et du droit de propriété depuis plus d’une vingtaine d’années. La loi, votée en 2016, en France sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages illustre bien la collision des deux droits de propriété et de l’environnement.
Les agriculteurs se sentent dépossédés de leurs terres
Le sol, support ancestral de l’activité agricole, est dorénavant le support d’un patrimoine écologique commun qui impose le respect de nouvelles règles. Émerge ainsi une nouvelle hiérarchie des valeurs. Dorénavant, la protection de l’environnement et la préservation des ressources naturelles concurrencent de plus en plus la liberté d’entreprendre des propriétaires. Ces derniers ont la jouissance de leurs biens tant que leurs intérêts n’entrent pas en conflit avec l’intérêt général.
«En conséquence, le monde agricole se sent dépossédé de sa terre et de sa propriété en faveur des autres, des voisins, des générations futures et des autres usagers de l’espace. Ils sont perçus comme autant d’éléments exogènes à l’univers agricole et comme autant de colonisateurs de l’intérieur », écrit Carole Hernandez Zakine, co-auteure du Déméter 2018.
Selon elle, on assiste à un nouvel éclatement du droit de la propriété « porté par un étatisme environnemental restreignant sans cesse les droit de l’individu sur son patrimoine ». A défaut de voir collectiviser leurs terres, les agriculteurs doivent ainsi s’attendre à vivre une forme de colonisation de leur usage par des tiers au nom de l’intérêt général.
Aussi, un équilibre devra être trouvé pour que les intérêts du propriétaire et de la collectivité convergent. Or la loi sur la biodiversité n’indique pas comment il est possible de concilier la liberté d’entreprendre, inhérente au droit à la propriété, et la protection des sols, source de création de valeur environnementale.
La FAO suggère une voie médiane. Elle considère que les services rendus par les hommes à la nature et les activités agricoles sont complémentaires. Souci de l’environnement et droit d’entreprendre concourent, ensemble, à la biodiversité. Autrement dit, la dimension environnementale de l’agriculture devrait être intégrée dans une logique économique durable. Et, à ce titre, les services environnementaux rendus par les agriculteurs pourraient être rémunérés, ce qui compenserait les atteintes aux droits des propriétaires.
Rémunérer les services environnementaux
« Nous croyons au développement des services environnementaux et de leur rémunération par des dispositifs de droit privé, afin de reconnaître que les agriculteurs, entre autres, participent à l’intérêt général environnemental », écrit Carole Hernandez Zakine. Seraient rémunérés le stockage de carbone, la lutte contre les inondations, la fourniture d’eau salubre ou encore la conservation de la biodiversité.
L’auteure défend ainsi «l’intégration de la rémunération du service environnemental » dans les prix d’achat des matières agricoles ou des produits alimentaires par voie de contractualisation et adoption de cahiers des charges excluant toute politique d’aides publiques.
Au contraire, selon Michel Potier, député socialiste français et paysan, les services environnementaux rendus par les agriculteurs doivent être rémunérés par des aides publiques proportionnelles. Il propose pour les évaluer de s’appuyer sur le dispositif HVE (haute valeur environnementale) (2), mis au point en France en 2008. Ce dispositif repose sur une obligation de résultats (taux de pollution des eaux, qualité de l’air à atteindre par exemple) et non pas sur le respect des contraintes assorti de sanctions.
Ce dispositif HVE pourrait évoluer dans le temps avec l’instauration de nouvelles réglementations restrictives. Les propriétaires agricoles et les fermiers seraient alors encore plus dépossédés de leur droit d’usage du sol, ne pouvant plus librement choisir leur types d’agriculture.
- Ouvrage collectif d’économie et de perspectives agricoles coordonné par Sébastien Abis ; pour en savoir plus, consulter le site : https://www.clubdemeter.com/fr/le-demeter/article/11339