Comprendre les enjeux de l'agriculture

 

Pour Pierre Jacquemot, le pastoralisme sahélien, qui repose sur des traditions et une identité fortes, est menacé par l’extension de l’agriculture sédentaire et la désertification. Le pastoralisme valorise pourtant de grands espaces des ressources renouvelables. Il sera sauvé si les sociétés concernées savent organiser sa coexistence avec l’agriculture et si on sait éviter une concentration des troupeaux sur de faibles superficies.

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L’élevage sahélien est pratiqué au sein de sociétés lignagères et des chefferies où les valeurs sociales et culturelles traditionnelles restent fortes. Il représente la base identitaire de plusieurs populations (Peuls Bororo, Touaregs, Goranes, Zaghawas, Baggaras, Afars, Somalis…).  Alors que les pasteurs furent perçus pendant plusieurs décennies comme des populations au mode de vie dépassé, les spécialistes s’accordent à présent à dire que le pastoralisme présente de grands mérites. Le système extensif, fondé sur l’exploitation de pâturages naturels par les grands herbivores, valorise sur de grandes étendues des ressources renouvelables de faible potentialité, associant astucieusement la gestion du bétail et celle des pâturages, des parcours de transhumance et des points d’eau. L’utilité de l’élevage réside en outre dans ses apports en viande et en lait et dans l’utilisation d’animaux de bât et de trait. Le bétail constitue aussi une épargne naturelle sur pieds. Des têtes d’animaux sont parfois acceptées comme garantie à l’octroi d’un crédit. Il fournit enfin de nombreux produits issus des cuirs et peaux.

Le système pastoral

Dans les zones en fort déséquilibre, ce système est en péril. Au Niger, terre d’élevage par excellence, comme dans d’autres zones sahéliennes, le front agricole avance irrémédiablement et colonise les terres pastorales. De nombreuses terres sont déclarées libres alors qu’estelles sont situées sur les parcours de transhumance du bétail. Les tensions sont devenues fréquentes. La désertification menace. L’écosystème se dégrade. Dans ce contexte, le système pastoral a t-il un avenir ?

Examinons la question sous deux aspects.

Opposition vs cohabitation

Dans un contexte climatique chroniquement précaire, la concurrence pour l’espace entre les agriculteurs et les pasteurs peut trouver une solution dans la complémentarité, par des apports mutuels en les deux activités. L’agriculture apporte des compléments fourragers (fanes de niébé, tiges de mil, feuilles d’oignons) en saison sèche quand les ressources sont limitées. En retour, l’application du fumier sur les terres cultivées améliore le teneur en matière organique. Avec ses sabots, le bétail réalise un sarclage qui favorise l’éclosion des graines ; par ses déplacements, il permet leur dissémination ; les fruits des acacias germent après leur passage dans le transit intestinal, et les excréments fertilisent le sol.

A une échelle territoriale plus large, des chartes pastorales et de bonnes mesures sur l’usage des parcours sont de plus en plus souvent définies, afin de faciliter les déplacements et l’accès aux ressources, en bonne symbiose. Au Mali, au Niger et au Tchad, une série de projets visent ainsi à accroître et à sécuriser la mobilité de l’élevage grâce la création de réseaux de pistes de transhumance, à l’hydraulique pastorale et à l’aménagement des points d’eau qui permettent d’ouvrir de nouvelles aires de pâturage et de retarder la transhumance vers les zones méridionales à dominante agricole.

Intensification vs extensification

L’idée que le développement des sociétés nomades passe inévitablement par leur fixation spatiale a été défendue par certains bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale. En réalité, l’option de la sédentarisation conduit toujours à un appauvrissement des pasteurs. Les parcours sur lesquels les troupeaux sont concentrés se dégradent rapidement.

Dans le contexte sahélien, les objections à l’intensification sédentaire sont puissantes si l’on n’est pas attentif à l’environnement (quand les effluents sont mal gérés, ou quand les maladies sont plus difficiles à gérer parce que le bétail est concentré). Cette priorité tend heureusement depuis quelques années à s’estomper au profit de l’option consistant à reconnaître que sous forme contrainte climatique, la mobilité demeure un facteur clé de développement équilibré.

L’approche gestion durable

Dans le domaine de l’élevage, comme dans d’autres, la solution ne se trouve donc pas dans les positions extrêmes. Les conditions du développement de la production relèvent de l’adoption d’une approche mixte de type « gestion durable ». Un accord peut alors être trouvé autour de quatre idées :

1–  la production pastorale doit être sécurisée par la révolution fourragère tirant le maximum de bienfaits de l’agroécologie. Des exploitations mixtes peuvent à la fois augmenter la production de grains et de fourrages nécessaire aux animaux et accroître la production animale ;

2–  le contrôle de la santé animale par des mesures préventives de lutte contre les maladies du bétail. Le rôle de l’État reste déterminant dans la santé animale (campagnes de vaccination des petits et grands ruminants, lutte contre la trypanosomose transmise par des glossines en zone humide et le long des cours d’eau) ;

3–  la recherche vétérinaire rend envisageables, lorsque les conditions du milieu sont améliorées (contrôle sanitaire, abreuvement, alimentation), des progrès génétiques permettant d’optimiser les performances en fonction du type d’élevage pratiqué (production laitière, embouche, trait) ;

4–  enfin, l’organisation des filières passe par celle des marchés au bétail (foires), l’installation d’équipements lourds (abattoirs, salles réfrigérées), l’amélioration des systèmes d’information sur les prix et les conditions météorologiques. Sur ce dernier point, l’essor de la téléphonie mobile permet d’obtenir dans certaines régions de bons résultats

Notes bibliographiques

Pour une présentation synthétique de la problématique du pastoralisme, voir

Inter-réseaux Développement rural et SOS-Faim, Le paradoxe de l’élevage au Sahel : forts enjeux, faibles soutiens, Bulletin de synthèse souveraineté alimentaire, n°16, avril 2015.

Benkahla A. (Gret) et Mason S. (AVSF) (2017), « Le pastoralisme, un mode de vie résilient face à de nombreux défis », Les Notes de la C2A, n°25, janvier

Thebaud B. (2017), Résiliences pastorales et agropastorales au Sahel, Portraits de la transhumance 2014-2015 et 2015-2016 (Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger), AFL-NCG, Nordic consulting group.