Comprendre les enjeux de l'agriculture

Tableau 1. Les principales agences de bassins transfrontaliers en Afrique subsaharienne

 

 

Date Bassin Membres
Autorité du Bassin du Niger (ABN) 1980 Niger Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Nigeria, Tchad
Autorité du Bassin de la Volta (ABV) 2007 Volta Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Togo.
Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) 1964 Lac Tchad Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad, Centrafrique.
Commission internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha (CICOS) 1999 Congo Cameroun, Congo, Centrafrique, RDC.
Initiative pour le Bassin du Nil (IBN) 1999 Nil Burundi, Égypte, Éthiopie, Kenya, Ouganda, RDC, Rwanda, Soudan, Tanzanie.
Zambezi Water Commission (ZAMCO) 1974 Zambèze Angola, Botswana, Malawi, Mozambique, Namibie, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe.
Organisation de mise en valeur du Fleuve Gambie (OMVG) 1978 Gambie Gambie, Guinée, Guinée- Bissau, Sénégal.
Organisation de mise en valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) 1972 Sénégal Mali, Mauritanie, Sénégal.

Les résultats nuancés de l’Organisation pour la Mise en valeur du Sénégal

L’agence transfrontière du Fleuve Sénégal constitue certainement l’un des exemples les plus aboutis de gestion partagée d’un bassin fluvial en Afrique. Elle regroupe quatre pays (Guinée où le Fleuve prend sa source, Mali, Mauritanie, Sénégal). L’Organisation pour la Mise en valeur du Sénégal (OMVS) créée en 1972 et dont le siège est à Dakar, a développé un programme d’infrastructures régionales avec la construction, dans le haut bassin malien d’un barrage régulateur assorti d’une centrale hydroélectrique (Manantali) et avec la construction, dans le delta, d’un barrage qui empêche la remontée de la mer salée en amont (Diama). Avant la mise en service de ce deuxième barrage, l’eau de mer remontait, en période d’étiage, le lit du Fleuve Sénégal jusqu’à 200 km de l’embouchure. Le projet a en outre permis l’aménagement du Fleuve en voie navigable quasi permanente, entre Saint-Louis et Ambidédi, la construction d’escales portuaires le long du Fleuve et diverses autres infrastructures.

Le bassin du Sénégal

Grâce à ces équipements et sur la base de règles précises établies et adoptées par les quatre États, la gestion partagée du système hydraulique permet aujourd’hui de faire un arbitrage bien renseigné et donc intelligent entre les diverses utilités du Fleuve :

1/ fournir les débits nécessaires à l’irrigation de 375 000 hectares de terres agricoles aménagés sur les deux rives du Sénégal,

2/ améliorer les conditions de remplissage des lacs alimentés par le Fleuve Sénégal, indispensables pour les villes, en particulier Dakar et Nouakchott ;

3/ écrêter les crues naturelles et réduire les impacts des inondations sur les cultures ;

4/ approvisionner en eau potable les communes rurales et les centres urbains ;

5/ empêcher les remontées des eaux saumâtres dans le delta en périodes de basses eaux, avec leurs effets péjoratifs sur les cultures ;

6/ permettre la navigation sur le Fleuve en maintenant un tirant d’eau suffisant ;

7/ enfin produire 800 millions de kWh d’énergie.

Le barrage de Manantali

Il est peu contestable que les deux barrages ont permis de sauver la vallée d’une mort programmée. L’extension des surfaces agricoles aménagées est spectaculaire, en particulier sur la rive sénégalaise. La recharge des nappes phréatiques est incontestable. A 60 % de l’eau potable dakaroise provient d’aménagements de l’OMVS et ce ratio s’élève à 100 % concernant les villes de Nouakchott et de Saint Louis (Sénégal). Les aménagements de l’OMVS permettent la production de 800 GWh par an d’énergie, relativement bon marché, et le potentiel de terres irrigables s’élève à 375 000 ha.

Pour autant, les aménagements ont entraîné une modification importante des écosystèmes de la zone avec certains impacts négatifs. On n’agit pas impunément sur les cours d’un fleuve. Aujourd’hui plus de 100 000 ha sont infestés par le typha, une plante envahissante, avec des conséquences embarrassantes sur le milieu physique : diminution de la teneur en oxygène de l’eau avec un impact la population halieutique, colmatage des ouvrages d’alimentation et envasement des axes hydrauliques, création de bouchons empêchant l’écoulement normal de l’eau dans les réseaux d’irrigation. En somme, il en résulte une perte en hydraulicité, un blocage des échanges indispensables entre l’eau et la surface, de fortes pertes d’eau par évapotranspiration et évapotranspiration (ETP supérieure de 50 % à l’évaporation d’une surface d’eau libre). Le bilan est donc pour le moins nuancé.

Avec la mise en eau de Diama, le taux de salinité est devenu important dans l’estuaire en saison sèche, ce qui a pour effets la dégradation des végétations de mangrove, la baisse des productions maraîchères dans le Gondolais et la difficulté d’approvisionnement en eau potable dans la même zone. On doit aussi à la présence des nouveaux végétaux le développement des maladies hydriques. Ils forment un habitat idéal pour les larves de moustiques vecteurs du paludisme et pour les mollusques aquatiques hôtes intermédiaires de la bilharziose. À ces impacts d’ordre physique, on note, parmi diverses conséquences, l’émergence d’habitats pour les oiseaux granivores, phacochères, insectes, tous déprédateurs des cultures. Sans compter la baisse des activités touristiques consécutive à la dégradation de la biodiversité des parcs du D’oud et du Darling. La dégradation de la langue de barbarie a des incidences sur le parc du même nom situé à 12 km environ en aval de Saint-Louis, et qui joue un rôle important dans la protection de milliers d’oiseaux nicheurs.

 Les impacts environnementaux des barages

Le changement des régimes hydrauliques en amont et en aval et les modifications de la biodiversité, identifiables seulement sur le moyen-long terme, sont au centre de la problématique environnementale des barrages. Les équilibres écosystémiques séculaires sont bouleversés. Les conséquences qui peuvent être préjudiciables sur les ressources renouvelables sont au nombre de trois :

  1. l’évaporation des eaux accumulées : elle serait de l’ordre de 10 % des consommations nettes totales mondiales (le Lac Nasser du barrage d’Assouan consomme par évaporation 12 % du débit du Nil) ;
  2. l’envasement des retenues par les sédiments qui sont piégés dans les lacs de retenue réduit leur capacité régulatrice utile et écourte leur durée de fonctionnement (certains barrages en région méditerranéenne, sur le Mékong ou en Chine perdent chaque année de 2 à 4 % de leur capacité initiale) ;
  3. l’eutrophisation qui résulte de l’enrichissement de l’eau accumulée en substances fertilisantes (phosphates, nitrates) qui peuvent détériorer leur qualité si elle dépasse le pouvoir autorégulateur du lac récepteur.

En fin de compte, le bilan de l’OMVS est très nuancé. Pour mitiger les effets des aménagements sur l’environnement, l’organisation a lancé plusieurs programmes comme la création de l’Observatoire de l’environnement, qui suit les indicateurs de changement de l’environnement et publie chaque année un rapport sur l’état de l’environnement du bassin pour les décideurs. La lutte contre les plantes aquatiques envahissantes combine des études et recherches, des actions physiques (lutte mécanique permettant l’arrachage des végétaux déjà expérimentée), des actions de valorisation sous la forme de charbon-combustible et une implication des parties prenantes chargées de l’entretien et du curage des axes.

Le principal enseignement à tirer de l’OMVS est donc qu’un aménagement de bassin, parce qu’il génère des processus imprévus, impose toujours, ex post, de conduire des importantes de compensation.

1 2 3 4 5