Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le gouvernement américain encourage fortement les agriculteurs au captage de carbone par une politique de crédits qui porte ses fruits. Les entreprises déficitaires en redemandent : Indigo Ag, entreprise de biotechnologie spécialisée dans l’amélioration des rendements, a doublé le prix d’achat des crédits. L’entreprise propose de verser $30 par crédit carbone au lieu des $15 proposés en 2021. Ces crédits sont ensuite mis à disposition des entreprises par le biais d’une plateforme administrée par l’entreprise elle-même. La Climate Action Réserve alloue des crédits carbone aux agriculteurs qui adoptent des pratiques favorables comme l’exploitation des sols sans labour ou l’usage de couverts végétaux en vue de freiner l’érosion des sols. Plus de 400 agriculteurs ont adhéré à la démarche qui semble prometteuse, d’autant que le Congrès américain pourrait inscrire pour la première la lutte climatique dans son projet de loi agricole, le  Farm Bill.

La Pennsylvanie, État pionnier

L’été dernier, l’État de Pennsylvanie obtenait une enveloppe de presque $8 millions versés par le gouvernement pour mettre en œuvre sa politique de lutte contre le réchauffement climatique auprès des agriculteurs. Cette enveloppe finance les pratiques les plus vertueuses en matière d’agriculture, que ce soit en faveur d’un développement durable des exploitations ou dans la transition vers une agriculture biologique.

Les États-Unis considèrent l’agriculture à la fois comme une cause et une victime du réchauffement climatique alors qu’elle constitue le socle de la sécurité alimentaire. Les pratiques durables améliorent la capacité des sols à capturer le carbone et à produire plus. Le dispositif des crédits carbone donne aux agriculteurs l’opportunité de rentabiliser leurs pratiques de conservation des sols et de préservation environnementale.

En 2018, la Pennsylvanie avait déjà financé à hauteur de $6,3 millions un programme de conservation avec un projet de bassin hydrographique dans le plus grand estuaire atlantique des États-Unis, à cheval entre l’État de la Virginie et celui du Maryland. En 2019, un second programme de conservation des terres avait été déployé dans le Nord-Ouest du New Jersey.

En mars 2021, le Président Biden a promulgué l’American Rescue Plan Act, un projet de loi de $1,9 milliards comprenant le Clean Streams Fund et ses $220 millions destinés à la dépollution des sources hydriques contaminées par des décennies de ruissellements agricoles, industriels ou miniers. En parallèle, un fonds de gestion de $22 millions accompagne les exploitants agricoles dans l’adoption de pratiques fertilisantes moins polluantes.

Le Minnesota et son plan climatique

Cet État du Midwest situé à la frontière canadienne incite les agriculteurs à changer leurs pratiques en leur apportant un soutien financier partiel. Anne Schwagerl est l’un d’eux, céréalière sur 400 acres, elle ne disposait pas des $80.000 nécessaires à l’achat d’un semoir intercalaire pour à la plantation de couverture.

Le programme prévoit une prise en charge partielle de l’investissement en faveur d’une culture intercalaire qui représente encore une pratique expérimentale pour la majorité des agriculteurs, ceux-ci ne peuvent risquer seuls cet investissement alors qu’ils n’ont pas de garantie d’effets et qu’ils sont déjà endettés. Seuls 4% des terres agricoles bénéficient actuellement d’une culture de couverture.

L’objectif est de réduire à zéro les émissions de GES d’ici 2050, conformément aux prescriptions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur la limitation de la hausse des températures. Le Minnesota est un État fait de lacs, de parcs et de nombreux espaces naturels sur lesquels repose une grande partie de l’économie régionale et dont il doit préserver les ressources.

Comme en Pennsylvanie, le programme encourage la conservation, le pâturage, le contrôle des émissions d’azote et de méthane ainsi que l’utilisation du Biochar. Mais il incite aussi les agriculteurs à renforcer les filières sur les cultures qui permettent le couvert permanent et à créer de nouvelles chaines de valeurs plutôt qu’à industrialiser les exploitations.

Forever Green est une initiative universitaire menée par Don Wyse, professeur et codirecteur du Centre de gestion intégrée des ressources naturelles et de l’agriculture (CINRAM). Depuis une dizaine d’années, il dirige une équipe de chercheurs qui expérimentent des sélections cultivables en toutes saisons : le cresson de Pennsylvanie, Pennycress, résiste au manteau neigeux, requiert peu d’engrais et représente une source de biocarburant, le Kernza remplace avantageusement le blé et permet cinq années de récolte.

En parallèle, les institutions de recherche tentent de comprendre les mécanismes de dégradation ou d’amélioration des sols. Un sol agricole peut être dégradé en peu de temps à la suite de mauvaises pratiques, il faut parfois des décennies pour le restaurer.

L’atteinte des objectifs climatiques réside aussi dans l’adhésion d’une majorité d’agriculteurs à la transition agricole, certains résistent encore à l’idée d’un risque climatique et du rôle de l’agriculture dans la lutte contre le réchauffement, ou considèrent ces nouvelles approches comme des contraintes supplémentaires.

La céréalière Anne Schwagerl est aussi vice-présidente du Minnesota Farmers Union, elle note que le Minnesota est un État plutôt conservateur mais qu’il accueille désormais des conférenciers sur les questions climatiques, elle espère que ces interventions permettront de changer les mentalités et d’engager une transition.

Le changement climatique, sujet sensible du prochain Farm Bill

En trente ans, c’est la première fois que la question climatique en tant que telle s’invite dans les débats menés au Congrès américain sur le programme de gestion des terres et l’usage des $20 milliards réservés à celui-ci.

Jonathan W Coppess, professeur associé et Directeur du Gardner Agriculture Policy Program relève que ce financement exceptionnel ouvre la voie à des opportunités sans toutefois garantir leur exécution.

Les Farm Bills de 1985 et de 1990 évoquaient déjà la question de la préservation des ressources naturelles dans les systèmes agroalimentaires avant qu’elle ne soit reléguée au second plan. Il reste toutefois l’obligation, pour les agriculteurs subventionnés, de préserver les zones humides ou prairies indigènes.

Sous la présidence Obama, les représentants de la Farm Belt, une zone centre-nord consacrée à l’agriculture industrialisée, ont soutenu le scepticisme climatique et freiné le déploiement des programmes en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Malgré cela, divers programmes de conservation ont vu le jour :

  • Environment quality Incentive Program pour la réduction du ruissellement issu des cultures ou des élevages ;
  • Conservation Stewardship Program qui conditionne le bénéfice des primes d’assurance-récolte au respect des règles de conservation

Courant 2023, il faudra arrêter la nouvelle feuille de route du Farm Bill, une opportunité d’inscrire l’atténuation climatique au menu de ce prochain texte de loi agricole. Les objectifs devront satisfaire une majorité d’acteurs impliqués, à commencer par les agriculteurs, coopératives et syndicats, mais aussi les ONG, responsables politiques et scientifiques.

Ce texte de loi quinquennale détermine la stratégie agricole américaine avec des répercussions économiques et sociales importantes qui expliquent la mobilisation des lobbies agroalimentaires, industriels ou environnementaux.

Le Farm Bill en vigueur est découpé en 12 chapitres, chacun recevant une allocation spécifique. En général, la section relative à la nutrition reçoit la majorité des financements (75% pour le Farm Bill actuel).

La question climatique n’a jamais fait l’objet d’une section à part entière, les premières mentions sur le climat sont apparues dans le Farm Bill de 1985.

Dans le texte en vigueur, la préoccupation climatique est citée indirectement dans différentes sections :

  • Section 2 : obligations de conservation ;
  • Section 7 : la Recherche, notamment les travaux portant sur l’agriculture durable et biologique ;
  • Section 9 : les énergies, notamment renouvelables.

Certaines associations espèrent voir inscrite la lutte contre les émissions de GES et le réchauffement climatique dans la section 7, à l’image du Natural Resources Defense Council (NRDC) qui prône la promotion de l’agriculture biologique, la lutte contre le gaspillage et la disparition de l’élevage industriel. De son côté, la National Sustainable Agriculture Coalition (NSAC) aimerait voir la protection des espèces inscrite au prochain Farm Bill ainsi qu’une accélération du programme Sustainable Agriculture Research and Education (SARE) portée par l’USDA.

Du côté des départements de recherche universitaires, le groupement Farm Bill Law Enterprise émet des recommandations dont deux qui portent sur les capacités de captage du carbone et sur le développement des cultures sous condition climatique extrême.

Face à ces acteurs de la lutte climatique, les représentations agricoles comme l’American Farm Bureau Federation, insistent plutôt sur une politique publique de financements, d’accompagnement technique et d’assistance à la gestion des risques.

Le Département de l’Agriculture a intensifié ses investissements en faveur de la protection de l’environnement, certains veulent y voir la perspective d’une prise en compte de la lutte climatique dans le prochain Farm Bill.

Sources: Successful Farming, France-Science