Comprendre les enjeux de l'agriculture

La technologie à l’échelle moléculaire, appelée nanotechnologie ou nanoscience (NST), permet de faire progresser la productivité indépendamment du niveau des équipements agricoles tout en limitant l’épuisement des ressources naturelles et la consommation d’énergie. Cynthia Goh, professeure de chimie à l’université de Toronto, nous livre les belles perspectives d’évolution du secteur agricole grâce aux nanotechnologies. Elle mène des recherches en nanotechnologie grâce à des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), un organisme gouvernemental qui appuie la recherche, et du Centre d’innovation de l’Ontario qui met en relation acteurs innovants et investisseurs. Face à l’emballement suscité par ces recherches, les gouvernements tentent d’organiser des dispositifs de contrôle et de veille sanitaire de ces particules magiques.

Ces dernières décennies, les bouleversements les plus importants proviennent d’innovations invisibles ou virtuelles pour l’homme comme la data ou la nanoscience. Les secteurs du textile et de l’agriculture utilisent depuis les années 2000 la nanotechnologie.

L’opportunité de garantir la sécurité alimentaire dans des conditions d’exploitation agricole durable constitue une préoccupation centrale de nos sociétés. Et cet objectif à un coût que la nanotechnologie pourrait réduire en optimisant les usages :

  • De l’eau ;
  • De la terre ;
  • Du carburant ;
  • Des intrants.

Au siècle dernier l’augmentation rendements agricoles sont apparus comme l’unique solution pour nourrir notre planète à la démographie galopante. La mécanisation, les engrais et pesticides ont offert à l’agriculture un tremplin vers l’hyper productivité, au prix d’une transformation des paysages ruraux et d’un épuisement de l’environnement et des ressources.

Aujourd’hui les producteurs se tournent vers d’autres modes d’agriculture plus respectueux de l’environnement :

  • L’agriculture verticale ;
  • L’agriculture cellulaire ;
  • L’agriculture de précision.

Qu’est-ce que la nanotechnologie ?

Cette science des objets de quelques milliardièmes de mètre de diamètre ouvre la porte à de nouvelles opportunités, les particules rassemblées en essaim exposent une surface ou des capacités bien supérieures à celle d’un objet unique de la même taille.

Les différentes tailles et propriétés de ces nanoparticules élargissent le champ d’action, comme réduire l’incompatibilité physique et chimique entre l’eau, les intrants et d’autres adjuvants à diffuser ou encore définir les zones cibles sur un plant.

Le but est de limiter la consommation d’eau, de nutriments, de pesticides et d’engrais pour un même résultat en utilisant la technique de l’encapsulation, à l’instar de la médication ciblée.

Les applications agricoles

Des sociétés innovantes déclinent leurs activités nanotechnologiques pour un usage agricole, comme Starpharma et sa plateforme technologique de polymères dendrimères, reprise depuis pour $35 millions dans le catalogue phytosanitaire de Agrium, un fabricant d’engrais canadien, ou Psigryph, une startup innovante qui utilise des nanostructures biodégradables issues d’extraits de cerise pour diffuser des bioactifs au sein des cellules végétales ou animales.

Dans son laboratoire, Cynthia Goh travaille depuis de nombreuses années sur la technologie d’encapsulation de polymères nanométriques qu’elle estime très prometteuse pour les applications agricoles.

Chez Vive Crop, l’entreprise dirigée par un de ses anciens étudiants, des pesticides naturels et chimiques sont regroupés dans des nanocapsules qui franchissent aisément les membranes cellulaires des plants.

Globalement, la nanotechnologie agricole améliore la productivité des cultures sous différentes formes :

  • Nanopesticides et nanoherbicides : par exemple, les nanocapsules d’atrazine permettent un ciblage des espèces et une réduction de sa toxicité dans les sols ;
  • Nanomatériaux antimicrobiens pour lutter contre les pertes agricoles : les nanoparticules de ferrite de nickel et de cuivre traitent efficacement les champignons grâce à leur propriété antifongique. Les nanoparticules de chitosane, d’oxyde de zinc et de silice sont capables de lutter contre certains virus (mosaïque du tabac) ;
  • Nanofertilisants intelligents à libération lente pour une diffusion en continu des nutriments : des rendements améliorés ont été constatés sur des cultures de haricots verts suite à l’utilisation d’engrais nanophosphorés ou de nanoparticules contenant de l’azote, du phosphore et du sodium.

Les nanoparticules star

Certaines nanoparticules sont couramment utilisées en agriculture

Nanoparticules polymères

Elles délivrent les substances agrochimiques de manière lente et contrôlée. Elles présentent une biocompatibilité supérieure et épargnent les espèces non ciblées. Citons le polyéthylène glycol, le caprolactone, l’acide glutamique et l’acide lactide coglycolique, un copolymère approuvé par la Food and Drug Administration en raison de sa biodégradabilité et de sa biocompatibilité ;

Nanoparticules d’argent

Largement utilisées pour lutter contre les agents phytopathogènes, elles disposent de propriétés antimicrobiennes intéressantes.

Nano alumino-silicates

Ces nanoparticules sont utilisées par de nombreuses entreprises chimiques et reconnues comme pesticides efficaces.

Nanoparticules de dioxyde de titane

Biocompatibles, ces nanoparticules ont des propriétés désinfectantes pour l’eau.

Nanomatériaux de carbone

Les nanoparticules de carbone améliorent la germination des graines. Citons le graphène, les fullerènes

L’oxyde de zinc, de cuivre et les nanoparticules magnétiques viennent compléter le catalogue des usages agricoles.

Une productivité peu coûteuse en investissements

La nanotechnologie présente l’avantage de ne pas impliquer d’investissements lourds en matériel pour les exploitants dont une majorité est en difficulté financière. La diffusion d’intrants est optimisée avec, à la clé, un gain d’eau et de carburant.

Les bénéfices se situent aussi au niveau de la santé animale. La nanotechnologie permet des traitements plus ciblés sur les élevages et limitent l’administration superflue d’antibiotiques ou le surdosage.

Des développements prometteurs sont aussi envisagés dans le domaine de l’agroalimentaire avec le packaging intelligent, un emballage alimentaire performant, durable et interactif. Ainsi, la conservation des denrées pourrait être prolongée par une action à l’intérieur de l’emballage. Par exemple, les nanocristaux de cellulose (CNC) apportent de la rigidité, de la légèreté et de la tortuosité qui restreint l’accès des molécules et stabilisent la composition chimique. D’autres

Grâce à la nanotechnologie, il sera possible d’augmenter à moindre coût la productivité pour répondre à la demande croissante dans un contexte environnemental contraint au plan climatique. Ce bénéfice est particulièrement salvateur pour les pays les plus pauvres qui cumulent fragilité financière et stress hydrique.

La nanotechnologie durable

La nanotechnologie s’implique dans la transition vers une agriculture plus durable :

  • Assurer une synthèse « verte » des nanoparticules ;
  • Exploiter le mécanisme des nanoparticules naturellement produites par les endophytes racinaires et les champignons mycorhiziens ;
  • Développer la capacité intrusive des nanoparticules dans les plants ;
  • Évaluer les effets des nanoparticules sur l’environnement ;
  • Développer les nanobiocapteurs des sols, des plantes, de l’eau ou des pesticides.

Pour atteindre ces objectifs, les institutions de recherche et les partisans de la nanotechnologie attendent la mise en place d’infrastructures ou d’initiatives propices à son développement dans l’agriculture :

  • Développement d’institutions capables d’évaluer la biosécurité des nanoparticules ;
  • Établissement de directives pour le suivi des expérimentations à base de nanoparticules en agriculture ;
  • Réalisation d’un fonds documentaire sur la toxicité des nanomatériaux sur les organismes aquatiques ;
  • Mutualisation des données et collaboration dans les travaux de recherches ;
  • Formation des acteurs du secteur agricole à l’utilisation des nanoparticules.

L’État français et les nanoparticules

Début 2020, le Comité de prévention et de précaution (CPP) a décidé de faire évaluer, par des experts, les risques inhérents à l’usage des nanoparticules. Le dernier bilan avait été publié en 2006.

L’étude vise à analyser les risques, les recommandations existantes et l’impact sur la politique publique, à travers une revue des réglementations, des propriétés physico-chimiques des nanomatériaux et de la toxicité potentielle pour l’homme et l’environnement.

Ce travail d’analyse doit permettre la formulation de nouvelles recommandations d’usage pour des nanoparticules déjà omniprésentes dans nos vies et que nous consommons par voie aérienne, intraveineuse, cutanée… :

  • Cosmétiques ;
  • Emballages ;
  • Denrées ;
  • Médicaments ;
  • Textiles ;
  • ..

Ces nanoparticules aux propriétés physico-chimiques exponentielles sont déjà à l’origine d’innovations importantes comme le béton antisalissure, les vêtements bactéricides, les matériaux qui combinent légèreté et résistance, les cosmétiques anti-UV, les emballages de conservation…

Leur capacité à franchir les barrières et leur multiplication participe au risque d’accumulation dans le corps humain ou dans la nature alors que les conséquences sont encore méconnues.

Le gouvernement français travaille en collaboration avec l’Association de Veille et d’Information Civique sur les Enjeux des Nanosciences et des Nanotechnologies (AVICENN). Cette dernière a créé  Veillenanos.fr, un site web qui rassemble les données de vigilance, de surveillance, de précaution et d’étude sur le sujet.

A l’occasion du précédent rapport, la toxicité de l’additif alimentaire dioxyde de titane (E171) n’avait pas été analysée et l’impact environnemental non plus.

Le CCP révèle que la problématique réside avant tout dans l’absence d’informations qualitatives et quantitatives suffisantes pour évaluer les risques.

Fort de ce constat, le Comité recommande aux acteurs de la nanotechnologie :

  • D’instituer une procédure de mesure des risques ;
  • De créer une nomenclature ;
  • De renforcer le contrôle des particules diffusées dans la nature ;
  • De rapprocher les études épidémiologiques et les nouvelles particules ;
  • De simuler les différents usages possibles de toute nouvelle particule ;
  • De renoncer aux nanoparticules dont le bénéfice et la maitrise du risque sont faibles ;
  • D’associer l’usage à une surveillance des populations exposées ;
  • D’assurer la traçabilité des nanoparticules par pictogramme en milieu professionnel ;
  • De former les utilisateurs à leur usage ;
  • De prévoir un étiquetage d’information sur les denrées concernées ;
  • De clarifier Rnano, la plateforme officielle de déclaration des substances à l’état nanoparticulaire.

Les dispositions exceptionnelles des nanoparticules sont porteuses de beaucoup d’espoir en matière de progrès agricoles mais elles ne dispensent pas les chercheurs et startups de construire une filière organisée et contrôlable en termes de santé publique. Le progrès mais pas à n’importe quel prix.

Source : The Conversation, Azonano