Les zones de transformation agricole, ou zones agro-industrielles, sont perçues comme des leviers incontournables de la transition en faveur d’un secteur agroalimentaire performant et résilient. L’Afrique est sans doute le continent avec le plus gros potentiel en la matière. Ces zones permettent de transformer des matières premières agricoles pour en faire des denrées à plus forte valeur ajoutée. Cette valorisation concerne aussi la montée en compétences du capital humain, des hommes et des femmes aptes à coordonner, stocker, conditionner ou transporter. Les pays africains, à l’image de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Bénin ou encore du Togo déploient chacun leurs projets de zones de transformation agricole. Ces zones ne solutionnent pas certaines problématiques telles que la sécheresse ou l’instabilité liée aux conflits mais elles offrent plus de capacités aux opérateurs de la filière. Le secteur agricole gagne en rentabilité et en visibilité dans la sphère économique.
Selon l’OCDE, l’Afrique participe encore trop peu aux chaînes de valeur mondiales, à hauteur de 3% contre 26% pour l’Amérique latine ou 43% pour l’Asie. Les produits africains transformés ne représentent que 41% des exportations vers les autres continents.
Outre le fait que les zones de transformation agricole peuvent renforcer le poids de l’Afrique dans les échanges mondiaux, elles répondent aussi à de nombreuses attentes des économies africaines :
- Le développement économique est le point le plus marquant, l’ouverture de ces zones entraîne la création d’emplois et attire les investisseurs avec, entre autres, une amélioration des conditions de production (mécanisation, semences, intrants, digitalisation) … ;
- La valorisation des denrées à différents niveaux de la chaîne, de leur production à leurs stockage et transformation en produits finis plus qualitatifs sur les marchés ;
- L’augmentation des revenus de la profession agricole et un secteur rendu plus attractif pour les jeunes ;
- La mise en place de projets de recherche et d’innovation stimulés par la professionnalisation des filières et la création d’écosystèmes favorables ;
- L’atteinte des objectifs de développement durable (ODD), notamment ceux liés à la sécurité alimentaire et à la réduction des pertes et gaspillages, grâce aux nouvelles pratiques de conservation.
- La facilitation des exportations concernant des produits améliorés et centralisés, dont la qualité et la conformité sont aisément contrôlables.
- La diversification de l’économie rurale et la réduction de la dépendance des petits exploitants à l’agriculture vivrière.
- Une transition durable rendue possible par l’amélioration des gains et des zones agro industrielles capables de former les jeunes agriculteurs aux pratiques durables ;
- La création d’une communauté de partage des connaissances et de mutualisation des équipements avec une meilleure reconnaissance de la part des partenaires institutionnels ou financiers et une meilleure visibilité pour le public.
Ces zones de transformation peuvent devenir des centres stratégiques de l’agroalimentaire. Le monopole qu’elles pourraient acquérir implique de planifier leur principe inclusif afin de ne pas les mettre en concurrence.
L’Afrique de l’Ouest à l’avant-garde
En Afrique de l’Ouest, elles se nomment parcs agro-industriels, agropoles ou zones économiques spéciales et ont toutes un point commun : porter les ambitions de développement agroalimentaire de pays africains comme le Togo, le Bénin, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et dans la région centre, le Gabon.
Touchés par la pandémie puis par le conflit ukrainien, ces pays misent sur ces infrastructures pour établir des systèmes agroalimentaires plus valorisants et offrant plus de souveraineté alimentaire.
Ces projets sont soutenus par la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre du programme « Nourrir l’Afrique 2016-2025 ». Ils prennent des formats différents, entre investissements privés et publics, afin de faire cohabiter ambitions publiques et opportunité économique.
Au Togo et au Bénin, les autorités collaborent avec Arise Integrated Industrial Platforms (AriseIIP), un groupe spécialisé dans la logistique. Grâce à ce partenariat, les denrées locales telles que le coton, la noix de cajou, le soja, la mangue et l’ananas sont transformées et conditionnées sur place pour faciliter leur exportation.
Plusieurs milliers d’emplois sont générés et bénéficient à plusieurs acteurs locaux : agences d’intérim, fournisseur de pièces détachées, emballeurs, récupérateurs de déchets, transporteurs.
D’ici 2030, le Togo compte faire transiter 40% de ses produits agricoles par ces zones et les pays africains accélèrent la création de ces zones agro industrielles qui ne font pourtant pas l’unanimité, notamment lorsqu’elles sont financées et/ou exploitées par des intérêts étrangers.
En effet, ces derniers mois, les pénuries alimentaires dues à la crise sanitaire et au conflit en Ukraine ont éclairer la fragilité des systèmes alimentaires et incité les États à engager des politiques plus souverainistes.
Pourtant, comme le rappelle Sidy Diop, analyste chez Deloitte France, la présence d’un groupe international assoit la légitimité du projet, fédère les acteurs autour du nouvel écosystème et facilite l’investissement. A titre d’exemple, les Grands Moulins de Dakar (GMD) ont vu leur développement s’accélérer après son rachat par le groupe américain Seaboard.
Au Sénégal c’est Sonacos, spécialiste de l’huile qui compte porter la filière, à condition que l’État accompagne la réhabilitation de l’appareil agricole sénégalais : équipements de production, industries….
La destination des produits finis
Les zones de transformation permettent de produire plus et mieux, mais pour qui ? La dépendance alimentaire africaine est aussi la conséquence d’une stratégie de l’export au détriment de la consommation domestique. D’où l’intérêt de conserver une gouvernance mixte publique et privée pour atteindre les objectifs de sécurité alimentaire.
Les projets doivent intégrer les filières en place, et non les concurrencer, pour les accompagner sur l’amélioration de la productivité et sur la diversification vers des denrées de consommation locale.
En Côte d’Ivoire, dix-huit usines réparties entre les trois zones agro-industrielles (Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké) transforment la noix de cajou, offrant au pays la troisième place mondiale, le pays ne comptait que deux usines en 2017.
Forte de cette expérience, la Côte d’Ivoire a lancé une dizaine de nouveaux projets dont l’objectif est d’intégrer les petits producteurs pour augmenter le taux de transformation et les revenus pour ceux-ci. Parallèlement, l’État prévoit un plan d’amélioration des infrastructures et une priorisation de la consommation locale par l’application de taxes à l’exportation.
Cette dynamique attire nombre d’investisseurs ivoiriens mais aussi asiatiques et moyen-orientaux qui ont déjà lancé la construction d’une vingtaine d’usines. Il réside toutefois un obstacle, les coûts de transformation. En effet, l’Afrique n’est pas aussi bien outillée que l’Asie pour valoriser à moindre coût les denrées. Et enfin, l’accaparement foncier par des investisseurs étrangers reste un frein à la mise en œuvre des projets par les États.
Pour Ollo Sib, analyste au programme PAM, la transformation de denrées ne peut réussir que si elle s’appuie sur un écosystème industriel et logistique.
Source : Jeune Afrique