Comprendre les enjeux de l'agriculture

La compétitivité des biocarburants repose sur un cocktail de facteurs, qui n’ont de rapport ni avec les fondamentaux des marchés des produits pétroliers ni avec ceux des matières premières agricoles. Ce phénomène, au premier abord surprenant, concerne tous les pays producteurs de biocarburants. Il mérite une explication.

Le pétrole cher rend-il le cours des  biocarburants plus attrayant ? Rien n’est moins sûr. Le marché du pétrole reste, certes, un marché directeur. Cependant, la rentabilité des filières de production de biocarburants n’est pas toujours au rendez-vous  lorsque les prix des hydrocarbures fossiles sont élevés. Le coût de revient des biocarburants varie en fonction de nombreux autres facteurs dont les prix des matières premières agricoles (céréales, soja, sucre), les  frais de transformation, de la parité des monnaies et… des cours du pétrole.

La production de biocarburants n’est pas toujours rentable

En outre, les différentes filières de biocarburants obéissent à une logique qui leur est propre. Comparons, par exemple, les productions de bioéthanol de maïs étatsunienne et de canne à sucre brésilienne. Malgré un prix de la tonne de grains bon marché, l’industrie américaine de cet agro-carburant demeure moins compétitive que la filière brésilienne bien plus performante, aidée, par ailleurs, par un taux de change du real avantageux.

En ce qui concerne la France, les écarts de coûts de production se sont considérablement resserrés avec le Brésil. De 100 % il y a dix ans, ils ne sont plus que 20 à 30 %, à taux de change euro/ réal constant, selon la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).

Par ailleurs, les productions d’éthanol et de biodiésel consommant elles-mêmes de l’énergie, leur compétitivité dépend aussi du prix du pétrole en raison de la forte mécanisation et de la consommation importante d’engrais, d’eau et de pesticides employés pour produire la biomasse. En conséquence de quoi, la production de biocarburants est moins rentable que celle des carburants issus d’hydrocarbures fossiles. Elle génère même des surcoûts de plus de 30 %.

Seuls le Brésil et l’Argentine sont compétitifs

Le Brésil et l’Argentine sont quasiment les seuls pays producteurs d’éthanol et de biodiésel en mesure de rivaliser avec les marchés des hydrocarbures fossiles. D’où leur concurrence très agressive sur le marché européen, accentuée, depuis septembre dernier, par la baisse des droits de douane à l’importation. Ceux-ci sont dorénavant compris entre 4,5 % et 8,1 % pour le biodiésel argentin mais aussi indonésien contre 22 % à 25 % précédemment. En quelques semaines, cette baisse des droits de douane,  a même déstabilisé la filière biodiésel européenne et française en particulier.

Evidemment, cette décision européenne est une aubaine côté argentin car les Etats-Unis ont taxé à hauteur de 50 %, depuis le mois d’août dernier, le biodiesel en provenance d’Argentine pour en limiter les importations. A cette époque, plus de 90 % des ventes de ce pays étaient jusqu’alors destinées au marché américain.

Autre facteur de compétitivité, la parité euro/dollar. Elle impacte l’attractivité des biocarburants, puisque le pétrole est coté en dollars alors que les biocarburants sont commercialisés en euros en Europe. Aussi, un euro fort par rapport au dollar réduit la compétitivité des biocarburants européens, et ce indépendamment des prix du pétrole.
Enfin, le marché des biocarburants est régi par ses propres règles, et parfois par un interventionnisme éloigné des fondamentaux des marchés des matières premières agricoles et pétrolières. Dans de nombreux pays producteurs, le développement des biocarburants repose en effet sur un soutien des pouvoirs publics pour produire et pour investir, généralement renforcé par une fiscalité appropriée et par des taux d’incorporation incitatifs (1). Mais surtout, chaque pays fixe quelque peu ses règles, ce qui rend l’ensemble des dispositifs vulnérables et incohérents.

Ouverture du marché européen au détriment de la France

Au Brésil, par exemple, l’éthanol issu de la canne à sucre bénéficie d’importants débouchés sur le marché intérieur tant que son coût de production sera inférieur aux prix des produits pétroliers importés et tant que son taux d’incorporation sera élevé (1). Sinon, les marchés mondiaux de produits agricoles seront engorgés de sucre de canne brésilien qui concurrencera alors le sucre de betterave.

En Europe, limiter le taux d’incorporation de biocarburants de première génération (2) à 3,8 % à partir de 2020, comme le prévoit la Commission européenne, étranglera la filière oléo-protéagineuse française. En France, le taux d’incorporation européen actuel de 7 % est en voie d’être atteint et notre pays a même les capacités de produire encore plus bioéthanol et de biodiesel pour l’exporter dans les pays voisins. Ce qui n’est pas le cas de nos partenaires européens. Aussi, l’Union importe-t-elle à moindre coût, une grande partie de l’alcool et du biodiesel bon marché consommés, faute d’en produire suffisamment sur son sol. Mais leur acheminement est énergivore et altère le bilan carbone de la filière des biocarburants !

 

(1) Le taux d’incorporation d’un biocarburant (bioéthanol, biodiesel par exemple) dans un carburant commercialisé issu majoritairement d’hydrocarbures fossiles est la proportion, réelle ou standard équivalente, de ce biocarburant contenu dans ce carburant commercialisé.

(2) On distingue les biocarburants de première génération issus de cultures alimentaires pour les hommes et les animaux (colza, de betteraves sucrières, soja etc) des biocarburants de seconde génération issus de végétaux non comestibles (bois, feuilles, paille, etc.) obtenus à partir de processus techniques avancés.