Comprendre les enjeux de l'agriculture

Le riz pluvial ou riz de montagne correspond à une pratique établie mais injustement méconnue en Afrique. Reléguée comme un produit de seconde zone, cette variété de riz peut être pourtant la clé de voûte des stratégies de croissance agricole et de sécurisation alimentaire.

Le riz pluvial est une forme de riziculture dans laquelle les jeunes plants s’accommodent de pluies tombées du ciel. Il a été introduit en Afrique à compter des années 1990, en réaction à la faiblesse des rendements céréaliers, dans un contexte où les opérations d’intensification sur les périmètres irrigués ont été globalement décevantes. Il est également monnaie courante dans les régions rurales de l’Inde et de l’Asie du sud, où le riz est un produit roi, fournissant entre 50 % et 60 % de l’apport calorique quotidien. À Myanmar et à Bangladesh, par exemple, la superficie du riz pluvial surpasse nettement les surfaces irriguées et les surfaces de riz inondé. Hors de ces pays, la riziculture sous pluie est peu répandue ; elle se perçoit comme un complément du riz irrigué, pour répondre aux besoins d’autoconsommation de la ferme, sans remplacer ce dernier.

Dans une première partie, nous nous pencherons sur la place importante du riz pluvial dans la production, la consommation et le système alimentaire de quelques pays d’Afrique ; la deuxième partie présentera un compte d’exploitation donnant une mesure de la rentabilité du riz pluvial, qui participe, semble-t-il, plus d’une affaire de subsistance que de l’économie marchande. Notre exposé s’achèvera en rendant compte des résultats encourageants d’un projet d’amélioration variétale mené par le CIRAD à Madagascar au sein d’une région de Hautes-Terres, fraîche et montagneuse, peu favorable à la culture du riz.

Grâce à des semences adaptées, de signe de sous-développement le riz pluvial est devenu un prémice de développement en transformant les paysages, les pratiques agricoles et la vie sociale.

Les grands foyers de production de riz pluvial en Afrique

Le tableau ci-après est un bon repérage des foyers de production du riz pluvial. À l’exclusion du Brésil, le riz de montagne n’est présent que sur deux continents: l’Asie et l’Afrique. Il occupe 2,3 millions d’hectares, allant de 700 ha en Mauritanie à 495 000 ha en Côte d’Ivoire, et représente 13 % du tonnage de riz blanc dans la région.

À l’inverse du blé qui tolère des froids assez prononcés, le riz, se contentant de sols médiocres, se montre exigeant en eau et en chaleur. Aussi les grands bassins de riz pluvial ont-ils en commun 3 particularités :

— un particularisme géographique : les cultivateurs résident tous dans les pays tropicaux, chauds et humides. En effet, la levée des graines demande une température minimale de 14oC, et la floraison est impossible au-dessous de 18oC

— un particularisme économique : le domaine du riz pluvial est aussi le domaine des pays importateurs nets de vivres, des régions à forte densité humaine et des petites exploitations, victimes du fractionnement des héritages et vivant une insécurité foncière grandissante. À la lumière de la figure 1, on constate que la part des surfaces emblavées en riz pluvial est plus grande dans les pays où les disponibilités alimentaires manquent le plus.

— un particularisme technique : rizières étagées en terrasses, sillonnées de diguettes et de demi-lunes, fumées à grand renfort d’engrais foliaire… le riz essaie d’épouser tous les caprices du relief. Le labour attelé reste dominant; le semis direct, même s’il a le mérite de réduire l’érosion, n’est utilisé qu’à titre accessoire, lorsque la force de travail est suffisante. Sur les Hautes-Terres malgaches, le désherbage se fait à la main et mobilise à lui seul 412 journées de travail par hectare.

FICHE DESCRIPTIVE DU RIZ PLUVIAL

La journée du riziculteur n’est pas de tout repos. À la tombée des premières averses, il lui faut un procéder à un labour soigné de 15 mètres de profondeur, ériger des diguettes et préparer un bon lit de semences. Les semailles ont lieu immédiatement après les jours d’humidité. Le mode traditionnel à la volée tend à disparaître au profit des semis en ligne ou en poquets, qui enracinent mieux la graine. Le gros du labeur est la chasse aux ennemis de culture : insectes, oiseaux et surtout graminées qui poussent plus vite que le riz et importunent sa croissance. En conséquence, le sarclage régulier est une règle d’or. Le négliger ou ne pas le faire au bon moment fera mordre les doigts au paysan, qui n’obtiendra que 70 à 75 % de ce qu’il peut escompter à la moisson. Dès que l’épi jaunit, faucille à la main, quantité d’ouvriers se pressent pour couper les grains et remplir les granges. Passée la maturation, les précipitations sont plus néfastes qu’avantageuses pour le riz pluvial.

  1. Essor fiévreux du riz pluvial : jouer la carte de la sécurité

D’où vient cet engouement pour le riz pluvial un peu partout en Afrique ? A première vue, l’intérêt de poursuivre l’activité donne à réfléchir, si l’on se base sur les récompenses monétaires. Le tableau ci-dessous nous donne une idée de la marge bénéficiaire du riz pluvial par unité de surface et de travail, comparée à celle d’autres formes de riziculture.

Tableau 1 : Marge bénéficiaire tirée du riz pluvial à Madagascar (FAO, 2000)

  Rizière en foule Système de riziculture intensive (SRI) Riz pluvial
Rendement moyen (kg/ha) 2 818 4 274 1 958
Marge brute/ha (Ar) 1 796 772 2 875 248 1 090 074
Marge/journée de travail familial (Ar) 78 121 23 376 29 461

 

Il ressort clairement de ces données que le riz pluvial récompense mal les pénibles efforts qu’on lui consacre. À l’hectare, le paysan obtient moins de la moitié de ce qu’il peut gagner en cas de riziculture intensive. Il peut tout aussi bien cultiver d’autres produits sur les collines ou les sols en pente, qui rentabiliseraient mieux ses investissements : pois de terre, maïs, haricot…

En effet, la logique paysanne est à rechercher au-delà des arguments comptables. Les pommes de terre sont une bonne affaire, si les pathogènes ne sont pas de la partie. Dans certains terroirs du Mexique, les premiers essais ont été sans succès, du fait des attaques du mildiou ; après 5 années, la culture a dû être abandonnée. La campagne peut être satisfaisante pour les autres cultures. Tout de même, la variabilité des récoltes, des prix et des revenus est un risque : celui de ne pas survivre durant l’hiver, faute de liquidité pour acheter du riz sur le marché. La variable fondamentale du choix des plantations et de l’affectation des parcelles est donc la couverture alimentaire. Dans la mesure où les systèmes d’assurance sont inexistants dans nombre de communes rurales en Afrique, la prudence, qui laisse de côté les cultures à forte valeur ajoutée au profit des cultures vivrières directement consommées sur place, est jugée la meilleure.

L’exemple d’un projet d’amélioration variétale à Madagascar : le riz pluvial devient un levier de développement

Dans la province de Vakinankaratra, à 240 km de la capitale de Madagascar, les chercheurs du CIRAD et de l’Institut agronomique national ont mis au point des semences de riz adaptées au froid et au déficit hydrique. Ce projet, qui a duré de 1984 à 1996, a été financé par l’Union européenne dans l’objectif de produire une dizaine de semences améliorées de riz pluvial, la plus célèbre étant la variété d’origine népalaise Chhomrong dhan. Difficile d’imaginer que dans la région la plus fraîche de l’île, où la température fléchit parfois au-dessous  de 12°C, puissent fleurir des pousses de riz au-delà de 1 300 m d’altitude.

Les paysans se félicitent de ce miracle génétique, puisque les cultivars locaux ont fait toujours faux bond — soit qu’ils ne trouvent pas l’humidité nécessaire à la maturation, soit du fait des ravages de la pyriculariose. Avant le projet, 14 % des exploitations s’étaient lancées dans le riz pluvial. Dix ans après la fin du projet, ce chiffre a été multiplié par 5, pour plafonner à 71 %.

Les paysans locaux déclarent traverser avec tranquillité d’esprit la période de soudure. Cette dernière s’est considérablement réduite non seulement dans sa longueur, mais encore dans l’intensité des impacts, allant de la réduction des quantités ingurgitées à chaque repas à la torture du ventre vide, en passant par le remplacement du riz par des féculents inférieurs.

Les études montrent que les 2 systèmes marchent de front, sans que l’un concurrence l’autre : les gros producteurs de riz inondé tendent à consacrer de vastes collines à la riziculture pluviale ; en retour, le volume de paddy en provenance du système pluvial est une source de liquidité pour investir dans la prochaine campagne de riz irrigué ou dans une toute nouvelle filière. Tant et si bien que, parent pauvre des investissements publics, le riz pluvial démontre-t-il un pouvoir d’atténuation de la soudure et un impact réel, modeste il est vrai, sur le processus de développement local.

John Mahrav