Comprendre les enjeux de l'agriculture
Tableau 1. Analyse de vulnérabilité au changement climatique
  Risques climatiques Risques associés au genre
Sécurité alimentaire Détérioration des ressources sous l’effet du climat.

Pertes de production et denrées alimentaires et baisse de revenus liés aux conséquences des modifications climatiques (apparition d’insectes nuisibles, perte des récoltes, blanchiment des coraux, perte d’éléments clés des écosystèmes).

Diminution des moyens essentiels à disposition des femmes et de leurs revenus
Augmentation des dépenses pour sauver les récoltes, augmentation du temps et de la charge de travail aux champs pour les femmes (diminution du temps disponible pour d’autres tâches).
Accès aux ressources Augmentation de la pression sur les terres et accélération du phénomène de dégradation des sols.

Détérioration et accès plus difficile à certaines ressources, tels que l’eau, le bois et le feu.

 

Renforcement des inégalités car les femmes ont un accès restreint à la terre et à la propriété.

Accroissement de la pénibilité du travail et du temps nécessaire à la collecte d’eau, bois, feu etc.
Plus forte exposition aux risques liés aux (plus) longs parcours (agressions sexuelles par exemple), diminution du temps consacré aux activités d’éducation, au travail rémunéré et à la participation à la vie publique.

Migration Accroissement des mouvements de population Les hommes sont plus enclins à migrer en fonction des saisons ou à plus long terme laissant les femmes au village s’occuper des champs mais aussi des enfants et des personnes âgées ; les femmes aussi peuvent migrer et dans les deux cas, cela entraîne des changements dans la résilience sociale.
Santé et nutrition Intensification des risques de maladies et de pénurie alimentaire ; vulnérabilité notamment des personnes âgées, aux vagues de chaleurs de plus en plus fréquentes Les femmes étant les principales responsables du soin des personnes malades et dépendantes voient leur charge de travail augmentée, avec un risque exposition aux maladies, hausse de la malnutrition chez les femmes.

(Tableau inspiré de AFD, 2014)

Des tâches agricoles distinctes

Les femmes et les hommes occupent donc dans les systèmes de production et de reproduction agraires africains des places distinctes. Sur le plan agricole, les paysannes réalisent des travaux différents ; elles ne pratiquent pas les mêmes cultures ; elles n’utilisent pas les mêmes techniques. Leur travail n’est pas valorisé ou rémunéré de la même façon. Selon une idée courante, les paysannes ont tendance à se spécialiser dans l’agriculture de subsistance et les hommes dans les cultures de rente. La « cueillette », le petit maraîchage ou la volaille représentent des activités typiquement féminines. Elles assurent la majeure partie de la production de la nourriture domestique et jouissent dans cette organisation en général d’une relative autonomie.

Prenons le cas du Tchad. Les exploitations de types familiales mobilisent l’ensemble des membres du ménage. Constituer les stocks de céréales destinés à l’alimentation familiale représente un rôle socio-culturel inhérent au statut de chef de ménage de l’homme. Quant à l’apport des femmes, il comprend la production de spéculations cultivées sur d’autres parcelles et servant d’ingrédients qui composent la préparation des aliments.

Tableau 2. TchadDivision du travail dans le domaine du travail agricole
Fille/Femme Garçon/Homme
Pratique des cultures de spéculations ciblées : légumes, céréales et stockage et tubercules.

Transformation traditionnelle et/ou artisanale.

Commerçantes détaillantes des produits agricoles transformés ou non.

Culture des céréales.
Cultures des oléagineux.
Vente de produits agricoles à titre de demi-grossistes, grossistes et exportateurs.

(Source, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (2017) Tchad Profil – National Genre des Secteurs de l’Agriculture et du Développement Rural, Rome).

Kumasi, Ghana © Jacquemot

Presque partout en Afrique, les paysannes ont tendance à investir les marchés locaux et à s’engager dans le commerce de détail alors que les hommes se tournent plutôt vers le commerce de gros et les activités de commercialisation de portée régionale. Ce sont les hommes qui prennent les décisions concernant les productions hautement intégrées au marché et dans des circuits longs. Une enquête au Kenya révèle que les femmes sous contrat dans l’horticulture d’exportation représentent moins de 10 % des paysans. Même lorsque la plus grande part de travail est effectuée par l’épouse, il est constaté que le contrat est signé par l’époux : c’est notamment le cas pour les contrats de culture sucrière en Afrique du Sud (African Development Bank, 2015).

L’inventivité agraire des paysannes

La division sexuelle des tâches n’est pas d’ordre qualitatif qualitative. Les paysannes africaines sont loin de pratiquer une agriculture « rudimentaire ». Elles ont une connaissance aiguë des écosystèmes dans lesquels elles évoluent ; elles possèdent des savoirs localisés partagés (avec les hommes), mais aussi souvent spécifiques. Leurs logiques d’action tiennent compte des très fortes entraves du milieu – agronomiques, climatiques, géographiques – et jouent avec la contrainte du temps de travail disponible (Hillenkamp, 2011).

L’intelligence agricole féminine est notamment visible dans des activités visant à préserver la diversité biologique Les paysannes disposent d’une connaissance fine de leur écosystème et possèdent des savoirs diversifiés sur les plantes cultivées, le vannage du grain ou encore sur le stockage et l’utilisation des produits récoltés. S’additionnent des connaissances spécifiques sur le maintien du cycle de reproduction des espèces végétales et animales. Elles plaident plutôt pour des associations culturales diversifiées, des méthodes agroécologiques de maintien du potentiel nutritif des sols, l’utilisation des sous-produits de l’élevage ou la meilleure gestion des semences traditionnelles rustiques. On retrouve cette intelligence féminine particulièrement dans ce dernier domaine. Plutôt que de se reposer exclusivement sur l’achat de variétés améliorées, les agricultrices préserveront une fraction des semences issues de populations végétales gérées par les agriculteurs, (organisés parfois en coopératives semencières) sélectionnées, triées et conservées avant d’être semées, afin de garder le contrôle de la sélection des grains et de limiter les dépendances envers les vendeurs de semences. Les procédés de sélection, de conservation et de germination des semences sont transmis de mère en fille et sont entourés de rituels villageois. Ces variétés locales sont adaptées à leurs terroirs et à leurs modes de production. Cette gestion paysanne prudente des semences, considérée comme partie intégrante de l’identité féminine, et positionnent le statut des femmes dans le lignage.

Une contribution vitale à la sécurité alimentaire

On sait que les femmes contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle du ménage à travers le soin des enfants, la préparation des repas et la diversification du régime alimentaire de la famille. L’affirmation fréquemment avancée selon laquelle les femmes produisent de 60 à 80 % de l’alimentation mondiale se retrouve-t-elle vérifiée lorsqu’on parle de l’agriculture du continent africain ? Il est exact que les jardins potagers ou les petits lopins dont elles s’occupent pratiquement toujours jouent un rôle crucial dans la disponibilité alimentaire. Souvent les paysannes cultivent une part importante des céréales de base ou des fruits et légumes consommées par le ménage. Elles en vendent aussi une fraction si elles disposent d’un accès aisé au marché.

Elles travaillent parfois contre rémunération dans des périmètres irrigués ou de grandes exploitations. Pour autant il n’existe que peu de données sur la quantité d’aliments effectivement produites par les agricultrices africaines. D’abord parce qu’il est difficile d’attribuer spécifiquement aux femmes et aux hommes telle ou telle part des aliments produits. La majeure partie de la production des petits exploitants agricoles dépend en effet du travail des unes et des uns. Ensuite, parce qu’il est ardu de comparer différentes tâches agricoles. Est-ce qu’une heure de désherbage compte autant qu’une heure passée à labourer le sol ? (Doss, Meinzen-Dick, Quisumbing et Theis, 2018).

Le vivier marchand, un rôle d’amortisseur aux crises

Au Cameroun, lorsque la culture du café entre en crise, pour compenser la perte de revenus masculins, les femmes s’y substituent en cultivant un « vivier marchand » fait de légumineuses et vendent la récolte pour créer des revenus monétaires, contribuant ainsi à la survie de la famille fragilisée, tout en demeurant dans des activités socialement acceptées car apparaissant comme un prolongement de la sphère domestique. Tant que les débouchés des monocultures sont incertains, l’objectif de sécurité alimentaire prime pour les paysannes qui portent traditionnellement cette responsabilité (Guétat-Bernard, 2015). Ce faisant, les masculinités peuvent s’en trouver fragilisées parallèlement au changement des systèmes productifs : « Au Cameroun, par exemple, la mise à mal du modèle de la plantation familiale de café tend à rebattre les cartes des assignations de genre. L’amoindrissement des revenus monétaires des familles de planteurs – de fait, de celles des hommes propriétaires – avec la crise des cultures de rente, ne permet plus que difficilement aux planteurs de préserver leurs prérogatives et leur place en regard de leurs responsabilités » (Guétat-Bernard, 2015, p. 102).

Quand les hommes quittent les villages pour chercher ailleurs du travail, la proportion d’exploitations dirigées par des femmes augmente. Cette féminisation peut mener à une reconnaissance des femmes en tant que chefs de famille temporaires, ainsi qu’à une redistribution des tâches productives et reproductives au sein du ménage et de la communauté. Mais, elle ne se traduit pas nécessairement par une amélioration de leur situation par rapport aux hommes, ni en termes d’emploi, ni en termes de bien-être ; au contraire, elle peut entraîner une augmentation de leur charge de travail et réduire à l’extrême leur temps disponible. Dans une évaluation participative en Erythrée, les paysannes ont déclaré qu’elles travaillaient jusqu’à 15 heures par jour pendant la campagne agricole, l’écart pouvant être de 30 heures de plus par rapport aux hommes (IFAD, 2019)

Dans les diverses observations qui précèdent, des précautions s’imposent. Les études traitent souvent l’homme comme le chef de ménage et unique propriétaire des biens. Le ménage est encore fréquemment conceptualisé comme unitaire – c’est une entité où toutes les ressources sont mises en commun et où c’est le chef de ménage qui prend toutes les décisions. Cette conceptualisation occulte des réalités plus nuancées : dans certains ménages, de nombreuses ressources sont possédées ou contrôlées en commun et de nombreuses décisions sont prises conjointement (Doss, Kovari, Peterman, Quisumbing et van den Bold, 2015).

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