Comprendre les enjeux de l'agriculture

Conclusion

Sans risque de se tromper, on peut affirmer que l’un des défis multidimensionnels de l’Afrique de demain – peut-être le plus vital – sera celui porté par les femmes, leur place, leurs droits, leur espace de responsabilité.

Loin de la caricature encore trop fréquente, les paysannes ne sont pas les victimes silencieuses de rapports de pouvoirs – coutumiers ou modernes – oppressants. Les transformations plus ou moins accélérées du monde rural, confrontées à la persistance de rapports sociaux et de genre qu’elles jugent inégaux, suscitent l’efflorescence de résistances et de stratégies inventives. Actions individuelles visant la sphère du foyer, construction d’espaces de résistance et d’inventivité face à des situations critiques, luttes collectives visant des changements institutionnels… ces différents niveaux d’action que les femmes du monde rural africain tentent d’occuper témoignent de leur capacité à penser et agir en faveur d’un changement social au sein de structures de pouvoir qui leur sont à l’origine et de manière récurrente défavorables. La tendance à l’inversion du cours des choses est engagée. La capacité des femmes à disposer des produits de leur travail, à maîtriser leur fécondité ou encore à peser sur les décisions connaîtra selon toute vraisemblance de réelles avancées dans les campagnes où elles resteront la matrice nourricière. Vaille que vaille, elles bousculeront les hiérarchies machistes, sortant de l’arrière-cour où elles sont encore consignées. Avec le temps, la société patriarcale sera ébranlée ; les femmes conquerront des pouvoirs croissants.

Pierre Jacquemot

[1] Le concept de genre, désormais bien installé tant dans les travaux académiques que dans les projets de développement des ONG ou des agences de développement, est un outil d’observation et d’analyse des relations entre les sexes, dont les rôles socialement construits s’insèrent dans des normes sociales, et des rapports de pouvoir et de hiérarchisation hommes-femmes. Il permet de comprendre comment se construisent les inégalités et les discriminations dans l’accès et l’utilisation des ressources productives et comment s’organisent les places de chacun et chacune dans les institutions.

[2] Le contrôle social trouve à se manifester dans le travail, dans les cérémonies marquant un « passage » (naissance, mariage, décès), dans les fêtes où s’éprouve le respect aux anciens. Le formatage a pour effet de renforcer l’esprit de soumission tout en renforçant certes l’entraide mais aussi le conformisme social. Un marqueur positif mais qui peut aussi enfermer les filles et les femmes dans un réseau de contraintes, comme un « rappel à l’ordre » , comme celui de préparer et de servir le repas. Si rien ne vient le bouleverser, ce type de représentation peut constituer un facteur d’assujettissement, d’inertie de rapports sociaux de sexe structurellement inégaux…. Il faut manifester une grande combativité pour repousser les contraintes des règles établie.

[3] Une étude déjà ancienne réalisée dans quatre pays d’Afrique a montré qu’en fournissant aux agricultrices des intrants de même qualité, et dans les mêmes quantités, que ceux que reçoivent généralement les hommes, et en leur ouvrant plus largement l’accès à l’enseignement agricole, il serait possible d’accroître la production et les revenus agricoles nationaux de quelque 10 à 20 % (Banque mondiale, Gender and shared growth in sub-Saharan Africa, Briefing notes on critical gender issues in sub-Saharan Africa, 2005-1, Banque mondiale, Washington).

[4] L’innovation majeure des modèles inspirés de Grameen Bank a permis de supprimer la garantie et de  développer   le principe de « responsabilité conjointe ». Les membres des groupements s’engagent à venir en aide à tout autre membre ayant du mal à rembourser un prêt. Un arrangement basé sur les liens sociaux entre les communautés. Il encourage ceux ou celles qui ont la responsabilité de former de nouveaux groupes à le faire avec circonspection et permet un contrôle mutuels, car la pression du groupe amène les unes et les autres à rembourser leurs prêts dans les délais requis.

[5] L’étendue des discriminations sexuelles se mesure à l’aide de l’Indice d’inégalité de genre (IIG), lequel reflète le déficit de progrès dû à l’inégalité de genre dans trois dimensions : la santé associée aux fonctions reproductives (mortalité des mères, fécondité des adolescentes), l’autonomisation des femmes et leur situation sur le marché de l’emploi. Plus la valeur de l’IIG est élevée, plus la discrimination est importante.

[6]  « Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ».

[7] La diffusion de « foyers améliorés » (connus sous différents noms tirés des langues locales – sakkanal et diambar au Sénégal, sewa au Mali, Kenyan jiko au Kenya, Nansu au Bénin, ouaga métallique au Burkina Faso) est en fait ancienne. L’engouement renouvelé en faveur de cette option  été favorisée par la prise de conscience des impacts dévastateurs de la surexploitation des ressources en bois dans de nombreuses régions. En économisant de 20 % à 70 % de combustibles par rapport au foyer traditionnel, un tel cuiseur réduit les dépenses de combustibles, limite la dégradation du couvert forestier et contribue à réduire le temps de collecte du bois par les femmes et les enfants, évalué de trente à quatre-vingt-dix minutes.

[8] L’OCDE assure un suivi de l’aide en faveur de l’égalité homme-femme et des droits des femmes à travers le marqueur genre du Comité d’Aide au Développement (CAD). En permettant d’identifier les écarts entre engagements politiques et soutien financier, le marqueur renforce la transparence et la redevabilité du financement en faveur de l’égalité homme-femme et des droits des femmes.

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