Comprendre les enjeux de l'agriculture

Comment respecter les droits des populations locales ?

Les services rendus par la forêt africaine relèvent de multiples registres qui se superposent. Cohabitent dans un même écosystème des dimensions économiques, sociales, culturelles et environnementales multiples, qui sont à l’origine du concept de « multifonctionnalité. C’est ainsi que les forêts du Bassin du Congo hébergent quelque 30 millions à personnes et fournissent les moyens de subsistance à plus 75 millions de personnes appartenant à environ 150 groupes ethniques qui comptent sur les ressources naturelles locales pour leurs besoins alimentaires et nutritionnels, de santé et de subsistance. Ces forêts constituent une source essentielle de protéines pour les populations locales, à travers le gibier et le poisson. Qu’ils soient consommés directement ou commercialisés, les produits forestiers représentent une part importante de leurs revenus.

La multifonctionnalité des services forestiers africains

Type de service
Services de support La grande majorité des espèces terrestres, faune ou flore, sont liées aux écosystèmes forestiers, espèce humaine incluse. Il en est de même des cycles hydrologiques dont la forêt assure l’équilibre et la permanence.
Services de régulation La forêt est un « château d’eau » qui régule le régime des eaux par son rôle de captation des pluies et la restitution de l’humidité dans l’atmosphère. La forêt joue un rôle fondamental en termes de qualité de l’eau car elle contribue à la purifier agissant comme une « station d’épuration ».

La forêt contient une grande quantité de biomasse et absorbe le carbone sous différentes formes. À ce titre, elle joue un rôle naturel d’atténuation des émissions de dioxyde de carbone.

La forêt prévient l’érosion du sol, en particulier en zone montagneuse, en interceptant la pluie grâce au couvert des feuilles, elle amortit ainsi la violence des précipitations. Elle joue le même rôle pour le vent et la désertification.

Services de production La forêt offre des matières premières utilisées comme matériaux de construction (bois d’œuvre), comme énergie (bois de feu, etc.) mais également des ressources alimentaires (fruits et baies, champignons, gibiers, etc.), des plantes médicinales (pharmacopée), etc.
Services culturels Les fonctions culturelles des écosystèmes forestiers sont liées à la perception et à l’histoire des peuples au regard des activités qui leur sont liées et aux mythes qui y sont associés. La forêt abrite des rites et des cultes, inspire la création artistique, possède une valeur esthétique, est propice au tourisme de nature, etc.

 

Source, P. Jacquemot, 2017

Crédit photo, Pierre Jacquemot

Certains corpus législatifs prévoient que les populations établies en zone forestière ont des droits coutumiers sur les ressources naturelles. Par ailleurs, le « consentement libre, préalable et éclairé », notamment reconnu en droit international par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, implique des « négociations éclairées et non coercitives » entre les investisseurs, les entreprises ou les gouvernements et les communautés avant le développement et la mise en place de projets sur leurs terres traditionnelles. Ces droits sont-ils effectivement respectés ? Non si l’on en croit de nombreux rapports d’ONG environnementalistes.

Respecter pratiquement les droits des communautés nécessite de les intégrer au mieux dans les processus et instances de décisions liées à l’utilisation de ce qu’elles considèrent comme le patrimoine. Cette démarche doit s’appuyer sur les processus de décentralisation qui intègrent les représentants de ces communautés locales et font valoir leurs droits. En cas d’activité économique en zone forestière, le modèle économique doit veiller à une juste rémunération ou compensation financière des populations locales, ce qui implique une répartition équitable des revenus issus de l’activité.

La « gestion forestière à usage multiple » est une réponse à la question de l’implication des usagers qui s’inspire de l’approche par les « Communs » (Abanda Ngono, 2017). Elle est une forme de gestion durable des forêts qui vise non seulement à maintenir leur capital naturel, mais aussi à permettre à tous leurs usagers d’exploiter, de manière équitable, leurs ressources. Elle a été introduite dans les législations forestières des pays du Bassin du Congo dès le milieu des années 1990, mais elle reste peu appliquée. Deux raisons sont avancées par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique (CIRAD) : des populations peu impliquées dans cette gestion et des concessions forestières peu motivées faute d’incitations financières. Les procédures engagées jusqu’à présent ont en effet souvent favorisé des usages peu adaptés aux besoins des communautés locales, comme les services écologiques et le tourisme, sans reconnaître à ces communautés les droits coutumiers qui sont les leurs.

Crédit photo, Pierre Jacquemot

La gestion à usage multiple : les enseignements du CIRAD

Les chercheurs du Cirad sont partis d’une analyse des conflits d’usages de la forêt pour élaborer une gestion fondée sur le consensus quant à l’exploitation de ses ressources. « Il s’agit de faire passer au second plan les questions de biens publics internationaux, comme la protection de la biodiversité ou le stockage du carbone, pour mettre l’accent sur les bénéfices concrets qu’une telle gestion peut procurer aux usagers de la forêt. Cette approche a été mise en œuvre dans six concessions forestières, au Cameroun, au Gabon et en RD Congo. Cinq à sept villages ont été étudiés autour de chaque concession et 10 à 20 % des ménages de ces villages ont été interrogés ainsi que les entreprises forestières et les représentants gouvernementaux. Les conflits concernent principalement l’agriculture, la chasse, l’exploitation artisanale des ressources ligneuses et la collecte du bois de chauffage. C’est là, la pierre angulaire de la réussite d’une gestion forestière à usage multiple : pour convaincre les parties prenantes de changer leurs comportements, il faut qu’elles aient une idée claire des coûts et des bénéfices associés à sa mise en œuvre et que des incitations financières convaincantes soient élaborées pour les prendre en compte. Pour que la gestion forestière à usage multiple puisse devenir une réalité au sein des concessions forestières, tous les acteurs impliqués soulignent qu’il est essentiel de trouver des compromis réalistes. Ainsi, les entreprises forestières pourraient financer le développement local d’activités comme l’agroforesterie ou l’élevage, en bénéficiant de réductions d’impôts compensatoires. En contrepartie, les communautés locales, premières bénéficiaires de ces nouvelles activités, seraient tenues de réduire leurs activités illégales au sein des concessions forestières ».
(Extraits de « Pour une gestion à usage multiple des forêts du Bassin du Congo » CIRAD, décembre 2015).

La foresterie communautaire est-elle une solution ? Elle est une forme de gestion participative et décentralisée de la forêt à l’échelon de la communauté villageoise (Macqueen, 2013). Le développement de la foresterie communautaire, la gestion conjointe des forêts et d’autres formes de gestion participative (telles que les forêts communales) permettent d’améliorer significativement la participation des populations locales. Le principe de base est que les communautés savent gérer efficacement les forêts. Au cours des vingt dernières années, certains États africains en sont venus à accepter ce principe et à reconnaître officiellement les droits des communautés à contrôler et gérer les forêts.

Les forêts concernées sont en général caractérisées par des surfaces modestes, de 5 000 à 10 000 ha, et par un modeste potentiel en bois d’œuvre compte tenu de leur localisation dans le domaine agroforestier, très souvent fortement anthropien, notamment par la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis. Derrière la variété des situations, dans presque tous les cas, les communautés ont l’obligation de constituer une entité juridique pour pouvoir passer des accords officiels avec l’État. L’engagement officiel des communautés nécessite des compétences, de la formation, souvent dans un rapport de force difficile. Le risque est un accaparement par les élites, par ceux qui ont les compétences pour négocier la création d’un système et qui finissent par le contrôler à leurs propres fins. Si le mécanisme démontre la valeur économique de la foresterie concernée, il accroît par voie de conséquence les pressions exercées sur les communautés concernées.

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En fin de compte, la forêt a été décimée à l’Ouest de l’Afrique, elle est encore préservée dans son cœur central. Qu’en est-il de la volonté des États africains de s’engager dans la voie d’une économie verte ? En principe, ils disposent de nombreux atouts et des instruments pour gérer rationnellement leur patrimoine. Encore faut-il qu’une dynamique vertueuse soit engagée autour d’une mobilisation pour transformer les règles de l’économie verte en priorités politiques. Tout particulièrement, l’amélioration de la gouvernance forestière suppose, en s’appuyant sur une volonté politique forte, la définition de politiques et de textes législatifs pour le secteur, leur mise en œuvre effective ainsi que des administrations en capacité d’appuyer efficacement les opérateurs et de sanctionner les infractions aux règles établies. Elle implique enfin d’équilibrer la participation des différents acteurs concernés aux prises de décisions. L’implication des collectivités territoriales, des populations locales, des ONG et des entreprises, doit être prise en considération à tous les stades de la décision et de la mise en œuvre, afin de garantir une répartition équitable de la valorisation des ressources forestières.

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